Les conventions collectives, remparts contre la précarité
Mardi 04 septembre 2007
Travail sur appel, travail temporaire, faux indépendants, la précarisation du travail prend de l'ampleur en Suisse
Le travail temporaire explose, le travail sur appel, le travail à l'heure et les petits boulots sont légion. La précarisation des formes du travail fait son chemin en Suisse. Le rôle des syndicats est crucial pour y mettre un coup d'arrêt...
«Nous valons plus que nos outils. Du respect!» Sous cette devise, l'Union syndicale suisse (USS) lançait, le 1er Mai dernier, la campagne contre la précarisation du travail. Une précarisation qui touche de nombreux secteurs et tout particulièrement celui des services, comme la restauration ou le commerce. Simple exemple, Le Shop, le magasin en ligne de Migros, engage des personnes avec des contrats intitulés «contrat sur appel»! L'explosion du travail temporaire, qui a plus que doublé en 10 ans, passant de quelque 100000 travailleurs en 1995 à 216000 en 2006, illustre cette précarisation grandissante.
Unia s'engage dans cette lutte pour le respect, qui passe aussi par la défense de la convention de la construction. Le syndicat prépare également, pour janvier prochain, un important colloque sur le travail sur appel et sur les alternatives possibles, ainsi qu'une brochure sur les droits des salariés à l'heure.
Pourquoi cette précarité grandissante? Qui touche-t-elle? Le point avec Alessandro Pelizzari, secrétaire syndical à Unia Genève, qui termine une thèse sur le travail précaire en Suisse à l'Université de Fribourg.
Quelles sont les causes de cette précarisation du travail?
Il y en a deux. D'une part, une volonté politique à la fois des patrons et des pouvoirs politiques de baisser les coûts de production, ce qui implique une flexibilisation des horaires de travail, de la forme de rémunération et de l'organisation du travail. Tout cela pour reporter le risque de l'entreprise sur les travailleurs. D'autre part, une volonté de flexibiliser l'accès au marché du travail pour pouvoir engager et licencier quand le patron le juge utile. Cette volonté se traduit par le recours accru au travail temporaire. Le résultat est une armée grandissante de travailleurs jetables, à la merci du patron et difficilement accessibles pour les syndicats. La politique sociale joue également un rôle par le fait que l'on pousse les chômeurs, les invalides, à accepter n'importe quel boulot.
Combien de salariés sont touchés en Suisse et dans quelles branches?
Dans une étude qui date de 4 ans, le Seco parlait de 4 à 11% des salariés, selon différentes définitions du travail précaire. Le deuxième chiffre me paraît plus réaliste et correspond aux études faites par Caritas, qui par ailleurs chiffrait à 20% le taux d'emplois précaires pour les femmes.
Les branches où l'on trouve le plus d'emplois précaires sont par exemple l'économie domestique avec plus de 25% des emplois, ainsi que la vente et la restauration avec des taux de 15 à 20%. Le second œuvre également, où l'on peut trouver sur un chantier 70 à 80% de temporaires.
Quelles sont les formes de ce travail précarisé?
Ce sont toutes les formes d'emploi qui ne contiennent aucune garantie par rapport aux salaires, aux horaires, ou à la capacité de planifier un avenir proche. En Suisse, on trouve trois formes principales de travail précaire:
- le travail temporaire, surtout dans les métiers du bâtiment, et de plus en plus dans l'industrie. Le cas flagrant est Rolex à Genève qui tourne avec 30% de temporaires. C'est devenu un mode de gestion des ressources humaines. Cela permet aussi d'affaiblir l'influence du syndicat dans l'entreprise. Un temporaire, faute d'intégration sur son lieu de travail, aura plus de peine à lutter pour ses droits.
- le travail sur appel, une forme que l'on retrouve surtout dans les branches où les femmes sont majoritaires comme la vente ou la restauration, mais aussi dans un secteur «masculin» comme celui des services privés de sécurité.
- les faux indépendants, dont le nombre augmente suite à la libre circulation. Sur les chantiers, de nombreux petits artisans travaillent en réalité pour une seule boîte générale de construction. On en trouve aussi dans les transports. Chez Planzer par exemple, la plus grande entreprise suisse de transport, un grand nombre de chauffeurs sont forcés de racheter leur camion. Ils supportent l'ensemble des risques...
Une autre forme de travail se généralise auprès des jeunes: après l'Université ou la matu, les stages sont désormais le seul moyen pour entrer sur le marché du travail. Inversement, la fin de l'activité professionnelle se précarise de plus en plus. La tranche d'âge proportionnellement la plus touchée par le travail sur appel est celle des plus de 60 ans!
Quelle peut être la réponse des syndicats à cette précarisation?
La lutte pour les conventions collectives est l'un des moyens syndicaux les plus forts contre la précarisation. Le conflit dans la construction en est l'exemple phare. La convention nationale fixe précisément les horaires de travail, les salaires, c'est un des bastions contre la précarisation. Les mesures d'accompagnement sont bâties autour d'elle. Ce n'est pas un hasard si les patrons s'attaquent à cette convention. On l'a vu en Allemagne, le vide conventionnel avait fait chuter les salaires de 25%. En Suisse, si le rempart de la convention du bâtiment tombe, les autres conventions, à terme, tomberont aussi, sans parler des branches où il n'y a pas de convention du tout...
Propos recueillis par Sylviane Herranz
«Nous valons plus que nos outils. Du respect!» Sous cette devise, l'Union syndicale suisse (USS) lançait, le 1er Mai dernier, la campagne contre la précarisation du travail. Une précarisation qui touche de nombreux secteurs et tout particulièrement celui des services, comme la restauration ou le commerce. Simple exemple, Le Shop, le magasin en ligne de Migros, engage des personnes avec des contrats intitulés «contrat sur appel»! L'explosion du travail temporaire, qui a plus que doublé en 10 ans, passant de quelque 100000 travailleurs en 1995 à 216000 en 2006, illustre cette précarisation grandissante.
Unia s'engage dans cette lutte pour le respect, qui passe aussi par la défense de la convention de la construction. Le syndicat prépare également, pour janvier prochain, un important colloque sur le travail sur appel et sur les alternatives possibles, ainsi qu'une brochure sur les droits des salariés à l'heure.
Pourquoi cette précarité grandissante? Qui touche-t-elle? Le point avec Alessandro Pelizzari, secrétaire syndical à Unia Genève, qui termine une thèse sur le travail précaire en Suisse à l'Université de Fribourg.
Quelles sont les causes de cette précarisation du travail?
Il y en a deux. D'une part, une volonté politique à la fois des patrons et des pouvoirs politiques de baisser les coûts de production, ce qui implique une flexibilisation des horaires de travail, de la forme de rémunération et de l'organisation du travail. Tout cela pour reporter le risque de l'entreprise sur les travailleurs. D'autre part, une volonté de flexibiliser l'accès au marché du travail pour pouvoir engager et licencier quand le patron le juge utile. Cette volonté se traduit par le recours accru au travail temporaire. Le résultat est une armée grandissante de travailleurs jetables, à la merci du patron et difficilement accessibles pour les syndicats. La politique sociale joue également un rôle par le fait que l'on pousse les chômeurs, les invalides, à accepter n'importe quel boulot.
Combien de salariés sont touchés en Suisse et dans quelles branches?
Dans une étude qui date de 4 ans, le Seco parlait de 4 à 11% des salariés, selon différentes définitions du travail précaire. Le deuxième chiffre me paraît plus réaliste et correspond aux études faites par Caritas, qui par ailleurs chiffrait à 20% le taux d'emplois précaires pour les femmes.
Les branches où l'on trouve le plus d'emplois précaires sont par exemple l'économie domestique avec plus de 25% des emplois, ainsi que la vente et la restauration avec des taux de 15 à 20%. Le second œuvre également, où l'on peut trouver sur un chantier 70 à 80% de temporaires.
Quelles sont les formes de ce travail précarisé?
Ce sont toutes les formes d'emploi qui ne contiennent aucune garantie par rapport aux salaires, aux horaires, ou à la capacité de planifier un avenir proche. En Suisse, on trouve trois formes principales de travail précaire:
- le travail temporaire, surtout dans les métiers du bâtiment, et de plus en plus dans l'industrie. Le cas flagrant est Rolex à Genève qui tourne avec 30% de temporaires. C'est devenu un mode de gestion des ressources humaines. Cela permet aussi d'affaiblir l'influence du syndicat dans l'entreprise. Un temporaire, faute d'intégration sur son lieu de travail, aura plus de peine à lutter pour ses droits.
- le travail sur appel, une forme que l'on retrouve surtout dans les branches où les femmes sont majoritaires comme la vente ou la restauration, mais aussi dans un secteur «masculin» comme celui des services privés de sécurité.
- les faux indépendants, dont le nombre augmente suite à la libre circulation. Sur les chantiers, de nombreux petits artisans travaillent en réalité pour une seule boîte générale de construction. On en trouve aussi dans les transports. Chez Planzer par exemple, la plus grande entreprise suisse de transport, un grand nombre de chauffeurs sont forcés de racheter leur camion. Ils supportent l'ensemble des risques...
Une autre forme de travail se généralise auprès des jeunes: après l'Université ou la matu, les stages sont désormais le seul moyen pour entrer sur le marché du travail. Inversement, la fin de l'activité professionnelle se précarise de plus en plus. La tranche d'âge proportionnellement la plus touchée par le travail sur appel est celle des plus de 60 ans!
Quelle peut être la réponse des syndicats à cette précarisation?
La lutte pour les conventions collectives est l'un des moyens syndicaux les plus forts contre la précarisation. Le conflit dans la construction en est l'exemple phare. La convention nationale fixe précisément les horaires de travail, les salaires, c'est un des bastions contre la précarisation. Les mesures d'accompagnement sont bâties autour d'elle. Ce n'est pas un hasard si les patrons s'attaquent à cette convention. On l'a vu en Allemagne, le vide conventionnel avait fait chuter les salaires de 25%. En Suisse, si le rempart de la convention du bâtiment tombe, les autres conventions, à terme, tomberont aussi, sans parler des branches où il n'y a pas de convention du tout...
Propos recueillis par Sylviane Herranz