Infos sur la campagne, rapport et pétition sur: publiceye.ch
Les dessous pas chics de la «Fast Fashion»
Invitée à s’exprimer dans un webinaire de l’ONG Public Eye, la responsable du commerce chez Unia, Anne Rubin, a pu attester des conditions de travail précaires de la mode en ligne
Pour des vêtements qui n’ont rien à cacher, produits sans exploitation et qui ne finissent pas à la décharge: Public Eye a lancé au printemps une campagne dénonçant le modèle d’affaires de l’industrie de la mode en ligne coupable de violations des droits humains, de précarité du travail et d’atteintes à l’environnement. L’ONG a publié un rapport passant au crible les plateformes les plus connues en Suisse et a lancé une pétition qui demande au Parlement l’élaboration d’un paquet législatif imposant responsabilités et transparence au secteur. L’ex-Déclaration de Berne exige l’obligation de respecter les droits humains, de verser un salaire vital et d’être transparent afin d’éviter l’exploitation dans les lieux de production. Public Eye demande aussi l’interdiction de détruire les retours et les invendus. Enfin, l’ONG réclame une meilleure protection légale et des contrôles dans la logistique, afin de garantir le respect du droit du travail et de lutter contre les emplois précaires. Cette dernière revendication concerne particulièrement Unia, et la responsable du commerce de détail du syndicat, Anne Rubin, était l’invitée d’un webinaire de Public Eye le 30 juin pour faire le point.
Cadences infernales
«Les travailleurs et les travailleuses sont la face cachée du commerce en ligne, ils sont invisibles. Les seules personnes que l’on peut rencontrer sont les livreurs, mais ils sont si pressés qu’à peine le récépissé signé, ils doivent repartir.» La seconde difficulté, a expliqué Anne Rubin durant le séminaire interactif, c’est l’énorme pression sur les coûts et la chaîne de sous-traitance. «Zalando n’a pas de site de logistique en Suisse, mais des centres de traitement des retours gérés par des sous-traitants. De même, Digitec Galaxus sous-traite une partie de ses tâches, notamment à XPO.» Les plateformes et les marques refusent d’assumer leur responsabilité sociale vis-à-vis de ces sous-traitants. «Les salaires sont très bas, souvent de moins de 4000 francs sans treizième salaire. Il y a peu de sécurité des contrats et beaucoup de temporaires. Les cadences de travail sont infernales. Dans les centres de conditionnement et de retours, tous les gestes sont minutés. Chez Zalando, il faut assurer 35 retours par heure. Ce travail est réalisé essentiellement par des femmes migrantes, il demande beaucoup de concentration et d’agilité.» Dans le transport aussi les cadences sont infernales. «Les journées sont sans fin. Chez DPD, on a constaté des journées de quatorze heures. Il y a souvent du travail gratuit: l’entreprise prévoit un forfait pour son sous-traitant, mais comme la tournée dure plus longtemps, le livreur n’est pas payé entièrement et on aboutit à des salaires de l’ordre de 12 francs l’heure.»
Salaires de 17 francs
Alors que le commerce de détail est en partie organisé syndicalement, le commerce en ligne constitue, lui, un désert syndical. «Les employés de Digitec Galaxus et de Migros Online (ex-Le Shop) ne bénéficient pas de la CCT Migros», rappelle la membre de la direction du secteur tertiaire d’Unia, avant d’évoquer quelques actions entreprises par le syndicat. Unia est ainsi intervenu auprès des sous-traitants de Zalando, MS Direct et Ingram Micro, afin de tenter d’améliorer les conditions de travail. Le syndicat y a découvert des salaires de l’ordre de 17 francs l’heure. «Le personnel était essentiellement des femmes migrantes qui ne parlaient pas une langue nationale et se trouvaient dans une situation très vulnérable. Il y avait une surveillance et un minutage des tâches extrêmes, une grande flexibilité des horaires et un gros manque de respect du personnel. C’était assez scandaleux. Mais Zalando nous a dit n’être pas responsable de son sous-traitant.» Le syndicat a mené campagne en mobilisant le personnel et par des actions médiatiques, mais au bout d’un certain temps, il n’avait plus les ressources nécessaires pour poursuivre la lutte. «Le roulement du personnel était énorme et les employées que nous avions syndiquées n’étaient plus là après six mois.» Un autre syndicat, Syndicom, en profita alors pour conclure une CCT d’entreprise avec la direction de MS Direct. «A l’exception de cours de langue, cette CCT n’apportait quasiment rien.»
Quelques avancées
Unia a aussi travaillé à la construction syndicale dans les entreprises de livraison. En 2020, le syndicat a, par exemple, soutenu la grève des employés de XPO Logistics à Genève. Depuis près de deux ans, le syndicat a également été très actif chez DPD. Malgré un contexte très difficile, il a été obtenu une réduction des tournées et l’enregistrement du temps de travail sur plusieurs sites. A Genève, le personnel a, en outre, été internalisé. Des négociations pour une CCT sont en cours, mais, encore une fois, sans Unia.
En raison de cette situation, Unia revendique le respect des libertés syndicales, la responsabilité solidaire face aux sous-traitants, ainsi que la conclusion de CCT avec des standards minimaux et des contrôles de leur exécution. Le syndicat demande aux autorités d’accorder une meilleure protection aux employés à travers des contrôles, des mesures contre les plateformes qui contournent les lois, un retournement du fardeau de la preuve ou encore en facilitant la conclusion de CCT.
«Nous obtenons malgré tout certains résultats», note la syndicaliste, qui juge important de donner une visibilité à ces travailleurs de l’ombre et de montrer qu’il est possible d’arracher des améliorations en s’organisant et en se mobilisant. «Nous avons pu sensibiliser le monde politique et il y a, je pense, un début de prise de conscience d’une partie des employeurs qui essaient de développer des standards minimaux, même s’ils restent encore très insuffisants.»
«La lutte syndicale est compliquée, mais pour nous, il est essentiel de la mener, car ce modèle d’affaires est en train de contaminer une grand partie de l’économie», souligne Anne Rubin.
Et que peut-on faire en tant que consommateur? «On a un pouvoir énorme. Pour nous, les clients sont des acteurs, s’ils se solidarisent avec les travailleurs en lutte, ça peut faire mal. Je pense aussi qu’en tant que client, on peut poser des questions embarrassantes. Plus les clients interviendront, plus les marques devront se responsabiliser.»