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Les inégalités face à la retraite: une date révélatrice

Gros plans sur les mains d'une femmes. D'un côté un billet. De l'autre de la petite monnaie.
© Neil Labrador/archives

A leur arrivée à la retraite, plus de 11% des femmes doivent faire appel à des prestations complémentaires. De plus, quelque 30% des ayants droit n’en font pas la demande.

En huit mois, les hommes touchent autant de rentes que les femmes en une année. Le 29 août a marqué l’Equal Pension Day 2022 en Suisse

Nous y sommes: le 29 août a correspondu au moment de l’année 2022 où les hommes ont perçu autant de rente de retraite que les femmes sur douze mois. Car en Suisse, les femmes touchent au moins un tiers de rente en moins que les hommes. Et rien n’est fait pour régler le problème: au contraire, les citoyennes et les citoyens suisses devront se prononcer dans les urnes le 25 septembre sur une nouvelle détérioration des rentes des femmes. L’Union syndicale suisse (USS) tient donc à attirer l’attention sur cette discrimination, à l’occasion de l’«Equal Pension Day» 2022, ou «Jour de l’égalité des pensions», en montrant chiffres à l’appui à quel point il est urgent d’agir.

Le Gender Pension Gap (c’est-à-dire l’écart entre femmes et hommes en matière de rente de retraite) actuel montre combien la répartition des chances professionnelles d’hier était inégale. Car les femmes interrompent plus souvent leur activité lucrative et sont plus nombreuses à travailler à temps partiel, essentiellement afin d’assumer des tâches domestiques et familiales. Les écarts de salaires entre femmes et hommes contribuent également aux importantes différences de niveaux de rentes. Le travail de nombreuses femmes aboutit donc aujourd’hui à des rentes scandaleusement basses. Il est vrai que les femmes peuvent compter sur l’AVS: après la première grève des femmes en 1991, des avancées importantes ont été introduites pour ces dernières, à savoir les bonifications pour tâches d’assistance et tâches éducatives, et le partage des revenus (splitting). Ces mesures réduisent les écarts de salaires et de rentes des femmes et font que le montant de leur AVS est à peu près équivalent à celui des hommes. Or, la rente AVS est aujourd’hui plafonnée à 2390 francs par mois. Contrairement à ce que la Constitution prévoit depuis 50 ans, personne en Suisse ne peut couvrir ses besoins à la retraite uniquement avec son AVS.

La prévoyance professionnelle (caisse de pension) ne saurait guère apporter le complément nécessaire aux femmes – a fortiori à la génération approchant de l’âge de la retraite. Aujourd’hui encore, presque une femme sur trois ne perçoit aucune rente du 2e pilier. Et lorsqu’elles en touchent une, la rente moyenne ne correspond qu’à la moitié environ de celle des hommes. La moitié des femmes ayant pris leur retraite en 2020 reçoivent de leur caisse de pension une rente inférieure à 1167 francs par mois. Et dans les branches d’activités typiquement féminines, des rentes oscillant entre 500 et 800 francs par mois sont monnaie courante.

La pauvreté à la retraite touche avant tout les femmes

Il est désolant de constater qu’à peine retraitées, plus de 11% de toutes les femmes doivent solliciter des prestations complémentaires (PC) pour joindre les deux bouts (voir tableau ci-dessous). En 2021, les bénéficiaires de PC ont perçu en moyenne 1200 francs. Ce montant correspond aux trois quarts du manque à gagner des femmes en matière de rentes. On sait par ailleurs que jusqu’à 30% des ayants droit ne réclament pas leurs prestations complémentaires – par honte ou par crainte des conséquences.

Et cela alors même que, globalement, les femmes travaillent tout autant que les hommes. Mais elles s’occupent de leurs enfants et de leurs proches à côté de leur activité lucrative, sont bien plus souvent victimes de sous-emploi que les hommes et assument à la retraite une part colossale des activités de prise en charge de leurs petits-enfants. En 2018, selon la dernière publication de l’Office fédéral de la statistique (OFS) traitant de cette question, un tiers de tous les enfants de moins de 13 ans étaient pris en charge par leurs grands-parents, qui jouent ici un rôle essentiel en fournissant 160 millions d’heures de travail non rémunéré par an. Résultat: en 2021, près de 150000 femmes ont dû recourir aux prestations complémentaires de l’AVS, les bénéficiaires masculins étant deux fois moins nombreux dans ce cas. Les femmes divorcées ou veuves sont les plus touchées.

Graphique.
Source: USS

 

AVS 21, un scrutin décisif sur un projet de démantèlement au lieu des améliorations urgentes qui s’imposent!

Cette année, l’Equal Pension Day précède de quelques jours le scrutin décisif sur AVS 21. Une majorité du Parlement dominé par la droite et le centre cherche dans cette réforme à augmenter l’âge de la retraite des femmes. Soit à faire des économies sur le dos des femmes. Concrètement, chaque femme s’expose à perdre 26000 francs de rente AVS. Une telle baisse de rente aurait un caractère permanent. Même les femmes proches de l’âge de la retraite ne sont pas épargnées, malgré les «mesures de compensation» prévues (lire encadré ci-dessous).

Même en comparaison historique, le projet est mauvais pour les femmes. A ce jour, un relèvement de l’âge de la retraite de ces dernières n’a été accepté qu’une seule fois aux urnes, soit lors de la 10e révision de l’AVS (1997). Il était toutefois accompagné de généreuses mesures de compensation et en faveur de l’égalité, qui ont abouti en définitive à l’égalité dans le 1er pilier.

Toutes les autres tentatives de relever l’âge de la retraite des femmes ont échoué. Une comparaison avec les efforts antérieurs montre encore que le nouveau projet est extrêmement pingre dans l’indemnisation des femmes obligées de travailler plus longtemps.

En comparaison, on constate que, depuis la 10e révision de l’AVS, seule la 11e, rejetée dans les urnes par 67,9% de non, prévoyait des compensations encore plus basses que le présent projet (voir tableau ci-dessous). L’unique augmentation fructueuse de l’âge de la retraite, soit la 10e révision de l’AVS, prévoyait en contrepartie d’assez bonnes mesures de compensation (84%). Les mesures de compensation les plus généreuses figuraient dans PV 2020 (99%). Il est vrai qu’elles étaient aussi censées combler les baisses de rentes dues à la diminution du taux de conversion LPP.

Graphique.
Source: USS

 

Textes Gabriela Medici, première secrétaire adjointe de l'USS/L'Evénement syndical.

Maigre compensation au profit de la génération transitoire

Les exemples suivants montrent concrètement ce que la réforme AVS 21 signifierait pour les femmes si elle entrait en vigueur en 2024*

Jana a 58 ans et fait ainsi partie de la première cohorte de femmes qui devront travailler jusqu’à 65 ans en raison d’AVS 21. Son emploi de spécialiste de l’accompagnement en ville de Zurich lui procure un salaire annuel de 65000 francs (100%). Elle a un enfant qu’elle est seule à élever. Elle a travaillé pendant dix ans à temps partiel (50%), afin de s’occuper de son enfant. Si elle souhaite partir à la retraite à 64 ans, elle risque avec l’entrée en vigueur d’AVS 21 de toucher 936 francs de rente AVS en moins par an que sans cette réforme. Et si elle prend sa retraite à 65 ans, la baisse sera de 792 francs par an par rapport au statu quo.

Nicole, infirmière de 54 ans vivant à Bâle-Campagne, reçoit un salaire annuel de 79000 francs (80%). Elle a deux enfants et a divorcé après vingt ans de mariage. Quand ses enfants étaient petits, elle a travaillé à 40% pendant dix ans. Son ex-mari a toujours travaillé à plein temps comme informaticien (salaire annuel: 98000 francs). Si Nicole veut prendre sa retraite à 64 ans – pour autant que son état de santé lui permette de travailler jusque-là –, elle risque de voir sa rente AVS diminuer de 1008 francs par an. Et si elle continue jusqu’à 65 ans, sa réduction de rente atteindra 1224 francs par an avec AVS 21.

La situation n’est pas plus rose en tenant compte de la rente versée par la caisse de pension. Maya, 56 ans, en est un bon exemple. Elle a travaillé à plein temps pendant dix ans, jusqu’à la naissance de sa fille. Après divers emplois à taux d’occupation réduit, elle est employée chez Coop depuis seize ans. Son taux d’occupation est de 50% et elle est divorcée. Elle fait partie des «gagnantes» de la réforme de l’AVS, car si elle travaille jusqu’à 65 ans, elle recevra 25 francs de plus de rente AVS par mois en cas d’adoption du scrutin. Elle peut s’attendre à une rente mensuelle de 1000 francs par mois de sa caisse de pension. Pour autant que cette dernière n’aligne pas le taux de conversion en vigueur pour les femmes sur celui des hommes. Maya devra ainsi se débrouiller avec une rente de retraite de moins de 3200 francs par mois au total.

Ces exemples sont loin de constituer des cas particuliers. Au contraire, les mesures temporaires destinées à la génération transitoire ont volontairement été maintenues à un bas niveau. Dans les dix années à venir, près d’un demi-million de femmes partiront à la retraite. Or, le Parlement a conçu les compensations d’AVS 21 de telle façon que moins de la moitié d’entre elles soient financièrement avantagées par rapport à aujourd’hui en travaillant plus longtemps. En particulier, les femmes ayant travaillé à côté de leurs tâches familiales s’exposent à des baisses de rentes oscillant entre 600 et 1340 francs par an. Même les femmes les plus directement touchées, qui font partie de la génération transitoire, verront leurs conditions se dégrader sensiblement. Les suppléments de rentes plafonnés à 160 francs par mois ne doivent pas faire illusion. Outre que seules 40000 femmes en bénéficieront, ils ne représentent que 60 francs de plus par rapport aux rentes auxquelles les femmes peuvent prétendre dans la loi actuelle, lorsqu’elles travaillent jusqu’à 65 ans.

* Date prévue de l’entrée en vigueur d’AVS 21. Les compensations concerneraient les femmes nées entre 1961 et 1969.

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