Comédienne et danseuse, Solange Schifferdecker voit ses projets artistiques de nouveau mis sur pause en raison de la crise sanitaire. Et plaide pour des aides efficaces et pour la création du statut d’intermittent
Hier aurait dû se dérouler la première représentation des Bacchantes, une nuit de folie ordinaire, au théâtre du Galpon, à Genève. Un spectacle dans lequel Solange Schifferdecker se partage, avec deux comédiennes, le rôle de Dionysos. La nouvelle flambée de coronavirus en aura décidé autrement, entraînant la fermeture du lieu. «Heureusement, nous avons continué à répéter», soupire la jeune femme de 36 ans, néanmoins démoralisée, après le semi-confinement de ce printemps, par cette nouvelle pause forcée. Et inquiète pour les projets sur le plus long terme. «La situation dans la culture se révèle particulièrement alarmante pour ces prochaines années», se désole Solange Schifferdecker qui, même sans tenir compte de la crise actuelle, s’est toujours montrée favorable à la création du statut d’intermittent. Et pour cause. Cette native du Jura habitant Lausanne se retrouve, indépendamment de son talent, régulièrement confrontée à des périodes de chômage. Et, partant, à des pressions pour travailler également dans d’autres professions. De quoi mettre à rude épreuve son optimisme et sa confiance en elle, fragilisés par l’instabilité financière inhérente à ces aléas. Sans parvenir toutefois à la détourner de sa passion. La comédienne et danseuse monte sur les planches depuis l’âge de 10 ans jouant, enfant déjà, dans des troupes d’amateurs. Si, universitaire, elle s’est essayée à d’autres disciplines, son intérêt pour la voie artistique l’a rattrapée.
Voyages formateurs
Solange Schifferdecker fréquente alors l’Académie Teatro Dimitri, à Verscio, au Tessin. Son bachelor en poche, elle part ensuite un an se perfectionner à Brno, en République tchèque, où elle explore le «théâtre physique». Un courant à la croisée entre le jeu d’acteur et la danse où le corps et le mouvement se situent au centre du processus créatif. «Le corps humain, “civiliséˮ, peut alors prendre d’autres formes, exprimer d’autres aspects, révéler une nature animale ou végétale. On travaille sur le geste et l’intention qui l’accompagne», précise la trentenaire, qui s’est frottée durant son séjour à une vision très différente de celle de ses études antérieures. «Il a fallu apprivoiser de nouveaux repères. S’ouvrir à d’autres vérités.» Riche expérience professionnelle, mais aussi de vie. Solange Schifferdecker se souvient d’un pays alors encore marqué par le communisme. «Il y régnait une atmosphère particulière, notamment dans les commerces. Et parfois, de nostalgie de l’ancien régime.» De retour en Suisse, la voyageuse tourne dans des spectacles et enchaîne parallèlement des petits boulots pour faire bouillir la marmite, avant de s’installer à Bruxelles quatre années durant. But de ce départ: élargir ses connaissances en danse contemporaine, entre autres. Un nouveau défi qui l’aidera à mieux maîtriser mouvements et gestion de l’espace. Un stage de deux mois et demi en danse Butoh, à Dharamsala, en Inde, complète encore son cursus et contribue à libérer la jeune femme des carcans artistiques.
D’un costume à l’autre
«Le Butoh est une danse née au Japon au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et du bombardement de Hiroshima. Elle pulvérise toutes les formes de l’art traditionnel, jugées impuissantes à évoquer des problématiques nouvelles. Tout est alors possible. Sans limite», précise Solange Schifferdecker, animée par un besoin d’approfondir sa recherche des langages du corps, explorant nombre de voies propres à enrichir son vocabulaire gestuel et théâtral.
En 2016, la Jurassienne défait définitivement ses valises à Lausanne et travaille avec le Studio d’action théâtrale à Genève. Depuis, elle a joué dans plusieurs pièces, se glissant dans les costumes les plus divers. «Je ne suis pas attirée par des rôles en particulier. Ce qui m’intéresse, c’est la multiplicité. Interpréter une variété de pulsions, y compris les plus sombres. Le théâtre me permet d’expérimenter ces aspects pluriels de la personnalité. C’est un espace de liberté. Une géniale parenthèse dans le quotidien», s’enflamme Solange Schifferdecker, aussi nourrie par les échanges avec le public. Par cette joie de partager une sensibilité. Une réflexion sur la vie. Un imaginaire. «J’ai un plaisir fou à amener le spectateur dans un autre univers.» Reste que les occasions de se produire s’avèrent insuffisantes et le métier difficilement viable, d’autant plus en ces temps troubles. Aussi, l’artiste a-t-elle élargi ses activités.
Le bonheur tapi dans l’authenticité
Depuis le mois de septembre dernier, Solange Schifferdecker propose ses services de massothérapeute et donne des cours d’expression et de conscience du corps. «Ces domaines me fascinent», indique celle qui s’est aussi formée, en 2017, en Body-Mind Centering. «Il s’agit d’une étude du corps qui passe par l’expérience, principalement par des explorations de mouvements et de toucher, à travers la connaissance de l’anatomie et de la physiologie», explique l’éducatrice somatique, insistant encore sur son intérêt pour la machine humaine et son appétit insatiable d’élargir ses connaissances en la matière. «Une recherche sans fin. Je n’arrêterai jamais», sourit celle que rien n’effraie plus que la monotonie. Sauf, peut-être, une société qui musèlerait la liberté d’expression, serait fermée à la diversité. Ce scénario mettrait à mal l’importance que Solange Schifferdecker accorde à un besoin fondamental, celui d’être authentique, synonyme pour elle de bonheur.
Pour se ressourcer, l’artiste compte sur son travail mais aussi sur des gestes simples: s’occuper de ses plantes potagères et décoratives, lire et, surtout, se promener dans la nature. Avec un attrait particulier pour la montagne. «J’aime son côté désertique. Sa grandeur. Sa puissance. Ce lien avec la croûte terrestre», affirme la menue comédienne, qui semble toutefois, dans ses quêtes et son ancrage artistique, aussi solide qu’un roc...