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Les mondes de la ferme et de la morgue devant l’objectif

Dans un garage, du matériel agricole côtoie un cercueil.
© Lucas Dubuis

Le photographe signe un ouvrage sensible où la vie et la mort dialoguent et s’entrelacent.

Photographe autodidacte et collaborateur d’Unia, Lucas Dubuis expose aux Journées photographiques de Bienne ses images sur un paysan et croque-mort publiées dans le recueil "De la terre à la terre". Sensible et étrange

De la ferme à la morgue: démarche singulière que celle entreprise par Lucas Dubuis racontant en images le quotidien de Dominique Theurillat, un paysan et croque-mort habitant Les Breuleux, dans le canton du Jura. Le photographe autodidacte, employé par Unia au département de la communication, explique ce choix par son questionnement sur la mort. «C’est pour moi un sujet de préoccupation, d’inquiétudes, qui me confronte à ma propre disparition. Mais plus largement un thème qui nous concerne tous et qui suscite souvent des craintes», précise celui qui a grandi dans la région du protagoniste de son livre, De la terre à la terre, paru aux Editions Haus am Gern. Le passionné de 44 ans justifie encore son approche par la personnalité de son modèle. «J’ai rencontré Dominique Theurillat au décès de ma grand-mère. J’ai beaucoup apprécié sa simplicité, son attitude calme et posée, son tact, sa chaleur humaine. Je m’attendais à tort à l’arrivée d’une personne en costard noir, austère, un peu le cliché de l’oiseau de mauvais augure.» Lucas Dubuis apprend dans la foulée que le responsable des funérailles travaille également comme paysan, aux côtés de son fils et de son frère. Cet homme «hors du commun, exerçant deux métiers n’ayant a priori rien à voir ensemble et qui semblait en paix avec la mort» le fascine. Il lui propose alors de le suivre dans ses activités parallèles, dans ce petit village des Franches-Montagnes, à plus de mille mètres d’altitude. Un environnement exigeant où l’élevage de bovins et de chevaux est privilégié dans les exploitations agricoles, en raison d’une terre difficilement cultivable. Ce labeur ne s’est pas révélé suffisamment rentable pour le Breulotier qui, pour compléter ses moyens financiers, s’est tourné vers la profession de croque-mort, apprise sur le tas.

Pas de voyeurisme

Durant plusieurs mois, Lucas Dubuis accompagne Dominique Theurillat dans ses tâches partagées entre ses responsabilités sur le domaine familial et la prise en charge de défunts de la région, devenue sa principale source de revenus. Le photographe braque son objectif sur ces microcosmes où vie et mort dialoguent, s’entrelacent. Où l’on passe de l’écurie à la chambre funéraire aseptisée, du garage abritant un stock de cercueils au hangar occupé par un tonneau à lisier fertilisant, des soins aux animaux aux toilettes mortuaires... Des allers-retours confrontant le spectateur à une certaine étrangeté face au mélange des activités. Le créatif veille cependant à immortaliser des scènes qui ne choquent pas. Pas de voyeurisme. Pas d’images frontales de personnes décédées. Mais une série de clichés traitant le sujet avec délicatesse, pudeur et parfois aussi humour. A travers ce travail, on découvre ou devine des gestes du métier, entre préparation du corps, habillement, maquillage; on prend conscience des coulisses de la mort, de ses codes et de ses rituels. Lucas Dubuis complète ses photos par des propos de son protagoniste arborant ses différentes casquettes avec pragmatisme. Sans tabou, ni fioritures. Bon sens terrien et sincérité du ton. La démarche débouche sur un recueil sensible «qui a surtout pour but de parler de la condition humaine et de la thématique du travail». Et fait référence, précise encore le photographe, à un verset de la Genèse, portant sur les contraintes des êtres, condamnés à trimer leur vie durant et à mourir: «C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes à la terre d’où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière.»

Une photographie humaniste

Pratiquant la photographie depuis 2009, Lucas Dubuis, qui a étudié la sociologie et le journalisme, apprécie ce médium pour son potentiel narratif et la capacité des images à transmettre des idées, à stimuler l’imagination, «hors champ». Un support qu’il utilise également dans le cadre de son travail à Unia. Le porte-parole et collaborateur du département communication emporte toujours son appareil lors d’actions et de manifestations. Autant d’occasions contribuant encore à aiguiser le regard du passionné qui documente des mouvements sociaux et collabore également avec des représentants de la scène culturelle indépendante biennoise. «Je m’intéresse surtout à la photographie humaniste, au document et à l’essai photographique permettant de montrer, de raconter une histoire intérieure», indique Lucas Dubuis, qui signe avec De la terre à la terre son deuxième recueil de photographies, après la publication en 2016 de Quiet Novosibirsk, consacré à la Sibérie occidentale. Parallèlement à ses travaux personnels, le photographe accepte aussi des mandats. Ses images paraissent régulièrement dans les médias et différentes publications.

Journées photographiques de Bienne, jusqu’au 28 mai.

Livre De la terre à la terre, Dominique Theurillat, paysan et croque-mort, disponible aux Editions Haus am Gern, au prix de 35 francs, sur: edition-hausamgern.ch/terre

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