La tension est à son paroxysme au Proche-Orient. 2018 est une année charnière: alors qu’Israël célèbre les 70 ans de sa création, les Palestiniens commémorent la Nakba («la catastrophe», en français), à savoir l’exil forcé de leurs terres. Une grande Marche du retour a débuté le 30 mars dernier, voyant des milliers de Palestiniens affluer à la frontière pour exiger le droit au retour des réfugiés. Avec pour seule arme des drapeaux, les manifestants ont pourtant été victimes de représailles des soldats israéliens. Le 14 mai dernier, jour du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, 60000 Palestiniens se sont mobilisés contre cette énième provocation pour demander la levée du blocus et la fin de l’injustice. Le bilan est dramatique du côté de Gaza: plus de 65 personnes ont été tuées et près de 2900 ont été blessées.
Citoyen palestinien de Gaza, Ziad Medoukh est directeur du département de français à l'Université al-Aqsa et coordinateur du Centre de la Paix de Gaza. Il nous livre son expertise sur la situation actuelle. Interview.
Comment en est-on arrivé là?
Plusieurs facteurs ont accéléré les événements dramatiques qui se sont déroulés le 14 mai dans la bande de Gaza. D’abord, la provocation américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y transférer son ambassade. Ensuite, l’échec du processus de paix qui plonge au quotidien 2 millions de Palestiniens dans le désespoir et la détresse. Et enfin, la célébration des 70 ans de la Nakba qui nous rappelle que rien n’a bougé et que, au contraire, la colonisation illégale des terres palestiniennes et l’injustice se poursuivent.
Vous tenez à ce qu’on ne parle pas d’affrontements…
La Marche du retour est une initiative de la société civile, pacifique et non violente. Jusque-là, nous avions l’image d’une résistance gazaouie violente, militaire et tenue par les instances politiques. Cette fois, on assiste à une large mobilisation populaire avec des jeunes, des anciens, des familles entières, des femmes et des personnes de tous les horizons politiques et sociaux. Des partis politiques ont essayé de récupérer ce mouvement, mais ils n’ont pas réussi. Chaque vendredi depuis le 30 mars, ce sont entre 10000 et 20000 Palestiniens qui marchent, uniquement munis de drapeaux aux couleurs de la Palestine, pour dire leur colère, exiger leur droit de retour et demander la levée du blocus. Le fait que les Palestiniens se mobilisent de manière pacifiste et sans couleur politique, ça dérange Israël.
A la suite des représailles d’Israël du 14 mai, certains pays ont renvoyé leurs ambassadeurs israéliens et des manifestations de soutien au peuple palestinien ont eu lieu. Est-ce suffisant?
Nous regrettons évidemment les réactions souvent trop timides de la communauté internationale. A cause du veto américain, les discussions au niveau de l’ONU sont bloquées et les autres Etats n’arrivent pas à obtenir la condamnation d’Israël pour ses crimes. Cela dit, le renforcement de la solidarité internationale avec les manifestations de soutien à travers le monde a remis du baume au cœur de la population gazaouie.
Peut-on parler d’essoufflement de la mobilisation?
Certes, le vendredi qui a suivi le massacre, il n’y avait que 5000 personnes qui marchaient le long de la frontière. Entre le début du Ramadan et la période de deuil, il y a eu un creux. Mais les manifestations vont se poursuivre et s’accélérer jusqu’au 5 juin, date de commémoration de la guerre des Six-Jours qui a ouvert la voie à l’occupation de la bande de Gaza et de la Cisjordanie par Israël.
Comment voyez-vous l’avenir à court terme?
Le point noir est la division interpalestinienne. Aujourd’hui, il y a deux gouvernements, un à Gaza aux mains du Hamas et un en Cisjordanie administré par l’Autorité palestinienne. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune coordination pour mener une offensive diplomatique visant à demander la levée du blocus et la condamnation des exactions commises. Face à cette nouvelle provocation, les deux pouvoirs doivent unifier leurs efforts pour obtenir une amélioration des conditions de vie des Palestiniens.
Quel est l’état d’esprit aujourd’hui de la population palestinienne?
Face à ce bilan très lourd, 65 morts et 2900 blessés juste le 14 mai, plusieurs sentiments se mélangent. La colère et l’indignation après ce nouveau massacre, la déception face à l’immobilisme de la communauté internationale et la peur d’une nouvelle offensive liée à l’impunité dont jouit Israël. Mais cette forte mobilisation populaire de la Marche du retour est aussi positive, et je pense que nous devrons développer davantage d’actions non violentes pour afficher nos revendications et affronter les agressions israéliennes. Je dirais enfin que les Palestiniens sont plus déterminés que jamais, ils ont l’envie de vivre et gardent l’espoir de lendemains meilleurs.