La brochure est consultable sur unia.ch
Les patrons du Bade-Wurtemberg ont le bras long jusqu’à Bruxelles
Dans une brochure, Unia dénonce le rôle joué par les associations d’employeurs du sud de l’Allemagne dans les négociations entre la Suisse et l’Union européenne
Rédigée par Andreas Rieger, ancien président d’Unia, Joël Bühler, collaborateur scientifique de l’Union syndicale suisse, et le journaliste Michael Stötzel, la brochure intitulée L’attaque des employeurs du sud de l’Allemagne contre la protection des salaires en Suisse montre que depuis l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (UE), en 2002, les entreprises d’outre-Rhin ont développé une forte présence sur le marché suisse dans certaines branches, notamment dans les cantons frontaliers. Par exemple, dans la construction en bois et en métal ou la fabrication de cuisines, les sociétés allemandes ont ravi jusqu’à un quart des marchés du nord de la Suisse et de la Suisse orientale, selon les experts. Elles détiennent environ 10% du second œuvre à Bâle-Ville ou à Schaffhouse. Une enquête de la Chambre d’industrie du Bade-Wurtemberg indique que les entrepreneurs du lander ont réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de près de 3,7 milliards d’euros à l’étranger et que les commandes les plus nombreuses provenaient de notre pays. D’après les chiffres présentés par les auteurs, depuis 2016 quelque 40000 travailleurs en provenance d’Allemagne sont détachés en Suisse, ce qui représente la moitié de tous les détachés venus de l’UE. Ils sont partagés à parts égales entre les secteurs de la construction, de l’industrie et des services.
Comme le note l’étude du syndicat, sans les mesures d’accompagnement, «la situation deviendrait critique, les entreprises étrangères pourraient gagner des parts de marché encore plus importantes grâce aux salaires de dumping». En 2018, un tiers des près de 4000 sanctions prononcées à l’encontre de sociétés étrangères l’ont été envers des entreprises allemandes. Celles-ci cumulent 23% des sanctions prononcées pour les cas d’infractions les plus graves, où elles sont exclues du marché suisse pour une durée d’un à cinq ans.
Des lobbyistes bien introduits
Evidemment, les contrôles, amendes et exclusions ne plaisent pas aux entrepreneurs allemands, qui ont le bras long puisque, comme le fait remarquer la publication d’Unia, ils interviennent politiquement contre les mesures d’accompagnement. «Les patrons du Bade-Wurtemberg ont utilisé les chambres de l’artisanat, qui sont en principe tripartites, pour émettre des résolutions, des brochures, ainsi que leurs lignes directrices dans leur lobbying à Bruxelles. Toutes les revendications des négociateurs de l’UE dans les discussions sur l’accord institutionnel se retrouvent ainsi dans une résolution de 2015 de la Chambre des métiers du Bade-Wurtemberg dressant la liste desdits obstacles sur le marché intérieur de l’UE», explique Andreas Rieger à L’Evénement syndical. A Bruxelles, les employeurs badois-wurtembergeois peuvent compter sur des lobbyistes bien introduits, dont la brochure du syndicat tire les portraits.
«Le problème, c’est que le conseiller fédéral Cassis et le négociateur pour la Suisse Roberto Balzaretti étaient prêts à sacrifier une partie de la protection des salaires, manifestement parce qu’eux aussi jugent nos mesures d’accompagnement démesurées… Mais ils n’ont jamais regardé ce qu’il se passe en retour, car logiquement, la libre circulation devrait fonctionner dans les deux sens. En ce qui concerne le travail détaché, toutefois, c’est à sens unique. Lorsque l’on regarde de près, on voit en effet que chaque pays européen applique ses propres règles pour les travailleurs détachés en matière de marché du travail et de la construction, ce qui rend compliqué aussi les prises d’emploi pour les entreprises suisses en Allemagne», souligne l’ancien président d’Unia. Les travailleurs détachés de Suisse chez notre grand voisin ne sont qu’environ 1500, soit 25 fois moins que dans l’autre sens. «Les employeurs du Bade-Wurtemberg ne se plaignent d’ailleurs pas que de la Suisse, ils font des reproches aussi à l’Autriche, au Luxembourg ou à la France, qui est critiquée au même niveau que notre pays. Et, lorsque nous discutons avec des syndicalistes allemands, ils nous incitent à rester fermes et à défendre les mesures d’accompagnement, les contrôles sur les chantiers et la présence des syndicats sur le marché du travail, que veulent casser tant les employeurs du sud de l’Allemagne que l’UDC et une partie du patronat suisse. Le problème ne se situe donc pas entre l’Allemagne et la Suisse ou entre l’UE et la Suisse, il relève de la protection des salariés contre les intérêts patronaux, chez nous comme dans les autres pays européens.»