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Les zadistes toujours mobilisés

Rassemblement des soutiens aux zadistes à Nyon.
© Thierry Porchet

Un petit air de Zad, de colline et de carrière. C’est là, juste derrière la gare de Nyon, que se sont tenus pendant trois jours conférences, discussions, théâtre, musique, et récolte de signatures sur l’initiative cantonale pour une sauvegarde du patrimoine naturel et des ressources, dite initiative «Sauvons le Mormont».

La lutte pour sauver le Mormont se poursuit. La semaine dernière, le collectif «Zad de la colline» a exprimé pacifiquement, durant trois jours, son soutien aux zadistes comparaissant devant le Tribunal d’arrondissement de Nyon. Lundi, le verdict est tombé: les militants échappent à la prison. En parallèle, une initiative a été lancée pour préserver le site

Lundi 17 janvier, il y a comme un petit air de Zad à Nyon. Juste derrière la gare, la musique retentit et les odeurs de nourriture et de café titillent les papilles. Des jeunes jonglent, expérimentent des jeux en bois, discutent. Au milieu passent les voitures, tranquillement. Aucune remarque ne fuse de la part des militants écologiques. La tolérance est d’or. Zadio Rad, la radio qui avait commenté avec un humour piquant l’évacuation de la Zad du Mormont le 30 mars 2021 retransmet ses enregistrements et donnent la parole aux personnes présentes.

Pendant ce temps, à quelques centaines de mètres, deux militants se trouvent devant les juges dans le Tribunal d’arrondissement. Chacun son audience dans deux salles distinctes, puisque la jonction des causes a été refusée, comme dans les autres procès en cours à Lausanne ayant trait à de la désobéissance civile pacifiste. Un avocat pour l’un, deux pour l’autre, et quelques personnes dans l’assistance. Ce n’est que le début. Lors de ces trois premiers jours d’audience, ce sont sept personnes ayant fait appel de leurs ordonnances pénales les condamnant à plusieurs mois de prison ferme, qui sont auditionnées. Une cinquantaine d’autres attendent leur convocation. Devant le bâtiment du Tribunal, c’est une «acti-danse» qui réchauffe la foule, suivie d’une pièce de théâtre: un procès burlesque qui renverse les rôles, une mise en abîme d’une justice vaudoise ubuesque qui condamne à tour de bras des désobéissants civils. Alors qu’au même moment son homologue genevoise acquitte d’autres manifestants écologistes.

Initiative pour le Mormont

Derrière la gare, l’air est frais malgré un soleil généreux, au milieu de cette joyeuse et pourtant révoltée jeunesse, de nombreux anciens sont présents dont des membres de l’Association pour la sauvegarde du Mormont (ASM). La campagne de récolte de signatures pour l’initiative «Sauvons le Mormont» lancée par l’ASM, les Verts, les partis de gauche ainsi que Pro Natura, bat son plein. Sa cheville ouvrière, Alain Chanson assène, parlant des zadistes: «Ils doivent être innocentés.» Celui qui se bat depuis le début du siècle pour sauver la colline dont la biodiversité (orchidées, chats sauvages, vipères aspics, chamois, etc.) et la riche histoire en fait un lieu d’exception, ne peut que remercier celles et ceux qui pendant plus de cinq mois ont attiré l’attention sur ce bout de terre grignoté par Holcim depuis 1953, et sur la pollution occasionnée par le béton. L’initiative veut ainsi également inscrire dans la Constitution l’utilisation de matériaux alternatifs dans la construction.

Le recours de l’ASM au Tribunal fédéral pour sauver le plateau de la Birette (une partie du Mormont) est pour sa part toujours pendant. «Nous avons encore eu des échanges de courrier il y a peu», confie Alain Chanson. Pour lui, Holcim doit cesser de creuser et, pourquoi pas, importer du ciment par train pour fabriquer le béton. Mais à condition que l’usine n’engendre pas d’effets nocifs pour la colline et les habitants de la région. «Holcim brûle des plastiques qui viennent de Genève et de la Suisse romande, et même des pneus de France. Et les explosifs ébranlent nos maisons.» Le témoignage du vice-président de Pro Natura Vaud et ancien conseiller communal, vilipendé par une partie de la population pour son soutien à la Zad, fait étrangement écho à des scandales dénoncés régulièrement contre la multinationale, mais dans des pays du Sud.

Alain Chanson.
Alain Chanson, président de l’ASM et vice-président de Pro Natura Vaud, a témoigné du procès auquel il a pu assister. Pendant trois jours, la radio alternative Zadio Rad a retransmis témoignages, poèmes, chants, débats… © Thierry Porchet

 

Sortir du béton?

Concernant les emplois, les initiants veulent soutenir la reconversion des travailleurs par l’introduction d’un revenu de transition écologique (RTE) ou par l’octroi de bourses. Venu soutenir les zadistes, Eric Ducrey, président de la construction d’Unia Fribourg, comprend bien sûr que les travailleurs soient inquiets pour leur emploi, mais estime que l’avenir de nos enfants prime. «Pour l’instant, à part la filière bois, rien n’est proposé par l’ORP concernant la construction durable, déplore-t-il. Si les scories d’incinération ou la brique ne sont pas la panacée en terme d’impact sur l’environnement, c’est toujours mieux que le béton. Le mélange terre-paille ou même l’isolation avec du papier sont d’autres possibilités.»

Peu avant une table ronde sur le thème du béton intrinsèquement lié au développement du capitalisme au même titre que le pétrole, deux «bardes» du collectif ayant pu assisté à une audience – à huis clos partiel –, relaient le déroulé du procès, avec talent. «Ils sont bons, commente Me Gaspard Genton, avocat avec Me Saskia von Fliedner d’un des deux jeunes hommes auditionnés ce jour-là. Le procureur a clairement tenu une position de principe: dans la vie, il y a des règles qu’on suit, sinon c’est la prison. Il a estimé également que les droits fondamentaux ne font pas partie de l’ordre juridique suisse. Ce qui est faux. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, il est strictement interdit de priver de liberté quiconque participe à une manifestation pacifique. Or notre client a déjà passé deux jours en prison au moment de son arrestation.» Et de conclure: «On espère vraiment l’acquittement.»

Justice et politique indissociables

Au micro, devant un public attentif, l’une des bardes rappelle le retrait de la plainte d’Holcim. Ce dernier s’étant par ailleurs arrogé un droit que la société n’avait pas, puisque les terrains sont soumis à des contrats de prêts à usage aux fermiers alentour. Qui plus est, l’accusé n’a pas opposé de résistance active. L’ultimatum du 29 mars adressé à l’association des Orchidées (regroupant les zadistes) ne le désignait pas nommément. Et l’arrestation a eu lieu le lendemain. «Les trois chefs d’accusation tombent, selon la barde entre résumé de la plaidoirie des deux avocats et commentaires. L’Etat ne garantit pas notre droit à la vie et à un environnement sain. La liberté d’expression et de réunion pacifique est bafouée.» Elle rappelle que justice et politique sont indissociables. «On demande aux militants d’être cohérents alors que les personnes au pouvoir ne le sont pas. On leur demande aussi une efficacité irréprochable, alors que l’Etat n’en montre aucune contre le dérèglement climatique. Pour le procureur, si l’accusé est acquitté, il risque d’y avoir d’autres occupations… Et c’est en effet tout ce qu’on peut espérer!» Aux applaudissements nourris succèdent les propos lancés par Jacques Dubochet fervent défenseur des militants écologistes sur Zadio Rad après l’expulsion: «Ils dansaient, ils chantaient, ils croyaient en l’avenir… Mais ils vont continuer.» Le soir-même plus de 350 personnes manifestaient dans les rues de Nyon à la lueur des flambeaux.

Une "barde" au micro.
Témoignage d’une «barde» du collectif Zad de la colline, sorte de rapporteuse spéciale de procès, dont le huis-clos partiel a restreint l’accès aux centaines de personnes venues soutenir les zadistes inculpés. © Thierry Porchet

 

Pas de prison pour les Zadistes

Lundi 24 janvier, au moment du bouclage de ce journal, le verdict est tombé pour les sept premiers inculpés ayant fait appel à la suite de leur ordonnance pénale liée à l’expulsion de la Zad du Mormont. Le ministère public vaudois est clairement désavoué par le Tribunal d’arrondissement de Nyon. Les sept militants écologistes n’iront pas en prison. Pour cinq d’entre eux, les peines sont clairement allégées: entre 10 et 15 jours-amende avec sursis, des frais de justice en sus pour certains. L’une des activistes est acquittée et indemnisée pour détention illicite au poste de police. Un autre dédommagé de 200 francs pour tort moral, car il n’était même pas sur les lieux au moment de l’évacuation de la Zad. «C’est un soulagement que la justice n’envoie pas des militants en prison, mais les peines ne sont pas raisonnables du point de vue des droits fondamentaux. La liberté de manifester n’est toujours pas reconnue. Autrement dit, c’est satisfaisant d’un point de vue strictement pénal, mais pas de celui des droits humains», résume l’une des avocates, Me Saskia von Fliedner, dont le client écope de 10 jours-amende à 30 francs avec 2 ans de sursis et 1330 francs de frais de justice pour empêchement d’accomplir un acte officiel. Il avait retardé l’intervention de la police en étant suspendu en hauteur. Sa peine a été atténuée pour mobile honorable, autrement dit ses motivations écologistes. Les autres chefs d’accusation, dont la violation de domicile, n’ont pas été retenus par le juge. Me Saskia von Fliedner: «Ça donne le ton pour les prochains jugements. Mais cela dépendra des différentes situations, car les dossiers ne sont pas tous les mêmes. Dans tous les cas, il faut espérer que le Ministère public revoie sa copie.»


La désobéissance civile, un droit démocratique

Dans une lettre datée du 3 novembre 2021, trois rapporteurs spéciaux de l’ONU se disent «préoccupés par les arrestations, conditions de détention et allégations de détentions arbitraires de plusieurs manifestants, ainsi que de personnel médical» lors de l’évacuation de la Zad du Mormont. Pour les rapporteurs, les manifestants exerçaient de manière «légitime» «leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique». Ils rappellent l’importance pour tous les Etats de «protéger la désobéissance civile pacifique, car la société civile a un rôle moteur dans les efforts de relèvement après les catastrophes naturelles et dans le contexte des crises humanitaires, sanitaires et climatiques». Ils concluent que «les actes de désobéissance civile menés de manière non violente doivent être protégés par les droits à la liberté de conscience, d’expression et de réunion pacifique». Dans sa réponse détaillée, le Canton de Vaud conteste «les allégations d’usage excessif de la force par la police». Il indique que «les conditions de détention des zadistes étaient dictées par la situation extraordinaire de cette évacuation». Et de rappeler par ailleurs ses actions contre le dérèglement climatique au travers de son plan climat. Celui-ci a pour objectif de «réduire de 50 à 60% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030» et d’atteindre «la neutralité carbone au plus tard en 2050».

Holcim se défend

La multinationale estime que son site d’Eclépens «fait figure de modèle pour l’industrie du ciment de demain»

L’Evénement syndical aurait souhaité donner la parole au président de la commission du personnel d’Holcim à Eclépens, mais sa direction a refusé: seul le département communication a le droit de répondre aux médias. Et par écrit. Voici donc les réponses d’Arthur Got, porte-parole d’Holcim.


Si l’initiative «Sauvons le Mormont» aboutit dans les urnes, quel sera, selon vous, l’impact sur l’usine d’Holcim à Eclépens?
Holcim a pris note du lancement d’une initiative populaire sur le Mormont*. En tant qu’entreprise, nous respectons le processus démocratique en cours. En parallèle, nous réitérons notre ouverture au dialogue avec tous nos interlocuteurs.

A terme, comment voyez-vous l’avenir de l’usine d'Eclépens? L'avenir de la carrière? Et plus largement du béton qui nécessite non seulement du calcaire, mais énormément de sable?
L’usine d’Eclépens fait partie des meilleures cimenteries d’Europe en matière d’écobilan et fait figure de modèle pour l’industrie du ciment de demain, grâce à ses projets actuels en matière de combustibles alternatifs, d’énergies renouvelables et de biodiversité. Le site produit par exemple depuis peu sa propre électricité, grâce à une installation solaire de 3650 m2 et à une turbine qui valorise plus de 90% de la chaleur résiduelle de l’usine. Grâce au lancement de la production à Eclépens du ciment Susteno, qui préserve à la fois les ressources naturelles, évite la mise en décharge et réduit les émissions de CO2 d’environ 10% par rapport à un ciment de masse suisse déjà optimisé, nous contribuons à promouvoir l’économie circulaire dans la construction au niveau régional. Ce ciment est le premier d’Europe à revaloriser des matériaux de démolition qui vont normalement en décharge.
Le ciment et le béton sont indispensables à l’approvisionnement du canton en matériaux de construction locaux et durables. Grâce à eux, d’importants projets de construction et d’infrastructures en Suisse romande comme le CEVA à Genève, le barrage de Nant de Drance, le métro M2 de Lausanne ou actuellement l’Hôpital des enfants du CHUV voient le jour. La pérennisation de nos réserves en matières premières est à cet égard essentielle; tant au niveau économique qu’écologique, cela a du sens de produire nos matériaux de construction là où les matières premières sont disponibles. C’est pourquoi une nouvelle étape d’exploitation au Mormont est prévue. Elle fait actuellement l’objet d’une procédure en cours. Les premières écritures de l’Office fédéral de l’environnement sont à cet égard tout à fait favorables. 

Certains militants dénoncent la pollution émanant des fours de l’usine d’Eclépens avec l’incinération de plastiques provenant notamment de Genève et de pneus importés de France voisine, un taux de cancer important dans la commune, des maisons ébranlées, etc. Que répondez-vous à ces critiques?
Ces accusations sont fausses et infondées. Les mesures sismographiques effectuées dans le village d’Eclépens démontrent que la norme sur les vibrations est respectée, comme l’ont d’ailleurs confirmé les jugements du Tribunal cantonal de 2018 et 2020. Ainsi, notre responsabilité n'est en rien engagée quant aux fissures qui nous sont occasionnellement rapportées par certains habitants de la commune. Nos émissions sont quant à elles régulièrement mesurées par un institut externe, ainsi qu’en continu par nos propres instruments. Les dernières mesures publiées par le Canton de Vaud montrent que toutes les normes d’émissions de l’air sont respectées à Eclépens.
 
Pourquoi Holcim a-t-il retiré sa plainte pour violation de domicile à l’encontre des zadistes? Et que pensez-vous du maintien des condamnations à des peines de prison ferme?
Holcim a retiré sa plainte contre les zadistes en mai 2021 et n’est depuis plus impliqué dans les procédures en cours. Nous ne formulons donc pas de commentaire sur le dossier qui est entre les mains des autorités judiciaires. En parallèle, nous souhaitons souligner que Holcim assume ses responsabilités vis-à-vis de l’environnement et de la société et prend très au sérieux les préoccupations de tous ses interlocuteurs. Nous avons également à plusieurs reprises cherché le dialogue avec les zadistes et appelé à une évacuation pacifique des lieux tout au long de l’occupation.

* Le porte-parole renvoie à la prise de position d’Holcim à ce sujet sur son site: holcim.ch

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