Le procès à la suite du licenciement de l’horloger et délégué d’Unia de la vallée de Joux s’est poursuivi au Tribunal des prud’hommes. Récit de la dernière audience
En ce jeudi 11 février, le président du Tribunal des prud’hommes à Yverdon-les-Bains tente une ultime conciliation, sans succès. Dans la salle: d’un côté, l’horloger licencié et délégué syndical, Mickaël Béday, avec son avocat Me Mattenberger; de l’autre, le patron, Pierre Dubois, et l’ancien directeur industriel, Raphaël Ackermann, accompagnés de leur avocat Me Moinat. Après une première audience en septembre 2020, le procès reprend avec l’audition de la dernière témoin, secrétaire syndicale d’Unia à la vallée de Joux. Celle-ci rappelle notamment que les relations étaient conflictuelles dans l’entreprise Dubois & Dépraz, tout en précisant: «La personne des RH se plaignait de Mickaël, mais pas de son travail.» La secrétaire de la fédération patronale avait dû intervenir lors de la problématique de la compensation des heures supplémentaires que l’entreprise ne voulait pas payer, donnant raison à l’interprétation du délégué syndical. Une procédure semblable s’était répétée pour le paiement des heures non travaillées pendant le déménagement des postes de travail. «Le RH lui avait dit que cela allait coûter cher à l’entreprise», se souvient la témoin. C’est à partir de ce moment, début 2019, que la pression commence à sourdre. «Mickaël m’avait dit que ça commençait à sentir le roussi», souligne-t-elle. Après avoir reçu un avertissement pour un bavardage et un oubli de timbrage, le délégué évite même de tracter pour la grève féministe du 14 juin par peur de représailles. Parallèlement, il remet un certificat médical à son entreprise pour l’informer de ses troubles de l’attention.
Secrétaire syndicale pas informée
Le 24 juin, il est licencié avec effet immédiat, sous motif qu’il n’a pas retouché des pièces comme demandé par le contrôleur. Une mise à la porte brutale pour le jeune homme – sous le choc et encore traumatisé ainsi qu’il le rappellera durant l’audience – et sans que la secrétaire syndicale ait été informée au préalable. Alors que, comme le mentionne Me Mattenberger, l’article 4.6 alinéa 9 de la CCT horlogère stipule: «Le délégué syndical et ses adjoints ne peuvent pas être licenciés pour des motifs en relation avec leur activité de délégué syndical; demeure réservés les cas d’abus. Ces cas sont préalablement discutés entre le secrétaire patronal, le secrétaire syndical et la direction de l’entreprise.»
Me Moinat, au contraire, met en exergue, face aux demandes syndicales, l’ouverture de l’entreprise qui, en 120 ans, n’a jamais essuyé une procédure prudhommale. L’avocat questionne, d’un ton agressif (qui lui est reproché par le président), la témoin: «S’il a déplacé des post-it (indiquant les pièces à retoucher, ndlr), exprès, pour cacher au contrôleur qu’il n’a pas fait les retouches, est-ce grave ou non?» «Professionnellement, ce n’est pas bien. Mais ce n’est pas à moi de dire si c’est grave ou pas», répond-elle.
Ce point est au cœur de la plaidoirie des deux avocats: l’erreur du jeune ouvrier était-elle volontaire ou non? Cette faute valait-elle un licenciement? Ou son engagement syndical dérangeait-il au point de le mettre à la porte à la moindre erreur?
Tour de magie
Me Moinat a, pour l’exemple, apporté une petite boîte de l’entreprise avec plusieurs mouvements à l’intérieur, et deux post-it. «Mickaël Béday devait sortir les deux mouvements et les corriger. Or, il est revenu à son poste et n’a rien fait. C’est un mensonge, pas une inadvertance. Cela met à mal la réputation du contrôleur et de l’entreprise. Délégué syndical ou pas, cette faute était inacceptable.»
Me Mattenberger taxe sa démonstration de «tour de magie», évoquant que, dans la réalité, il y avait certainement beaucoup d’autres boîtes. Il rappelle que même une témoin, ex-collègue de Mickaël Béday, invitée à la barre par la partie adversaire en septembre, a confié avoir «commis des erreurs sur des modules, sans jamais avoir subi de menaces de licenciement» et que «cette erreur pouvait ne pas être intentionnelle». L’avocat rappelle les troubles de santé communiqués par le délégué syndical à sa direction peu avant, et le fait qu’aucune discussion n’a eu lieu entre la direction et Mickaël Béday, ni avec la permanente syndicale, pour tenter de comprendre. Il mentionne aussi que le jeune horloger était employé depuis 2013 déjà, que la pression a commencé à s’exercer à la suite de ses succès syndicaux pour faire appliquer la CCT. Le dernier entretien d’évaluation était d’ailleurs bon. «La faute n’était pas si grave, puisqu’un contrôle était encore prévu. Et, de surcroît, elle n’a pas pu être intentionnelle», indique encore l’avocat. Selon lui, c’est l’engagement syndical de Mickaël Béday qui dérangeait. Le licenciement est donc clairement abusif, car les motifs n’étaient pas suffisants. Dans sa plaidoirie, il souligne l’importance de cette affaire, la Suisse étant souvent montrée du doigt pour le manque de protection des délégués syndicaux.
Quatre heures après le début de l’audience, Me Moinat offre, malgré lui, une conclusion teintée d’ironie, en laissant tomber la boîte, par inadvertance. Les pièces se mélangent, il recolle les post-it n’importe où. Tout un symbole.
La décision de la Cour devrait parvenir ces prochains jours.
«Halte aux licenciements antisyndicaux!»
Le jour de l’audience, Unia a lancé un Appel* intitulé «Halte aux licenciements antisyndicaux!» pour soutenir Mickaël Béday qui «s’est battu pour les droits et les intérêts de ses collègues de travail durant plusieurs années au sein de l’entreprise». «Victime d’une cabale antisyndicale à la suite de plusieurs actions victorieuses de défense des intérêts et des droits de ses collègues, Mickaël a été licencié en juin 2019 pour des motifs fallacieux, indique l’Appel. Ce licenciement constitue une attaque frontale contre le statut de délégué syndical, contre la liberté syndicale et contre notre capacité en tant que travailleurs de nous organiser.» Dans un communiqué, le syndicat souligne: «Tolérer que les délégué-e-s syndicaux soient victimes de représailles revient à rendre impossible la défense collective des droits des travailleuses et des travailleurs. La Suisse avait été mise sur la liste noire de l’Organisation internationale du travail (OIT) en raison de l’absence de protection contre les licenciements antisyndicaux.» Le Conseil fédéral a lancé un processus de médiation en juin 2019 qui n’a toujours pas abouti. «C’est un véritable scandale», s’insurge le syndicat, qui exige un renforcement du cadre légal pour respecter la convention 98 de l’OIT sur les droits syndicaux. Le texte prévoit la possibilité de réintégration en cas de licenciement antisyndical et l’amélioration de la protection contre les licenciements.
*L’Appel est signé par l’USS, l’USV, le SSP, le SEV, Syndicom, Sud, l’Organisation socialiste des travailleurs, les sections vaudoises du PS, des Verts, de Solidarités, du POP et de la Jeunesse socialiste, Décroissance et Alternative, Solidarité et Ecologie, ainsi que l’association Metis’Arte.
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