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Mode en ligne: pratiques coupables

Tri de dizaines de colis à la Poste.
© Olivier Vogelsang

En 2021, 250 millions de colis contenant des produits non alimentaires ont été envoyés à des clients en Suisse. Trois vêtements sur dix sont, dans nos frontières, achetés sur Internet. Parallèlement, les conditions de travail dans la production et la logistique se sont dégradées.

Des millions de colis de vêtements et de chaussures circulent en Suisse. Soutenu par diverses organisations, dont Unia, Public Eye lance une campagne contre les modèles d’affaires violant les droits humains et nuisant à l’environnement. L’ONG réclame l’intervention du Parlement

Opacité, rémunérations insuffisantes pour vivre, conditions de travail précaires, aberrations écologiques... Public Eye vient de publier une enquête sur la situation du commerce de la mode en ligne. Après s’être focalisée sur la production textile et avoir dénoncé exploitation, salaires de misère et violations des droits humains, l’ONG a analysé la situation de grandes entreprises du commerce en ligne. Et passé au crible dix plateformes parmi les plus connues de Suisse: About You, Alibaba, Amazon, Asos, Bonprix, Galaxus, La Redoute, Shein, Wish et Zalando. L’organisation s’est en particulier intéressée au degré de transparence sur la chaîne de l’approvisionnement et au versement ou non de salaires vitaux. Elle a également étudié les conditions de travail prévalant dans le domaine de la logistique. Un volet conduit avec l’aide d’Unia soutenant l’organisation dans sa campagne. Enfin, Public Eye s’est intéressé à l’aspect environnemental, plus précisément à la gestion des articles renvoyés par les consommateurs, menacés de destruction. Cette étude met en lumière des pratiques coupables. Experte pour l’industrie textile et responsable de la campagne d’information et de sensibilisation du commerce en ligne, Elisabeth Schenk fait état des principales conclusions.


Pourquoi Public Eye s’est-il focalisé sur le business de la mode en ligne?

La révolution numérique a changé les rapports de force dans le capitalisme de la mode. La pandémie de coronavirus a accéléré cette tendance. Aujourd’hui en Suisse, trois vêtements sur dix sont déjà achetés sur Internet – en 2016, cette manière de consommer ne représentait encore que 16% des chaussures et des vêtements vendus.

Quelles sont les principales conclusions de votre rapport sur le front du travail?

Parallèlement à l’essor du commerce en ligne, on a assisté, lors de la pandémie, à une dégradation des conditions de travail, avec le versement de salaires minimums et non vitaux sur les chaînes d’approvisionnement. Le personnel de la logistique est, de son côté, confronté à une grande précarité. Les multinationales concernées n’assument pas suffisamment leurs responsabilités en matière de transparence et de bonnes conditions d’emploi. Ce rapport dévoile que les entreprises ne paient toujours pas un salaire vital aux travailleurs dans la production et ne laisse entrevoir aucune perspective d’amélioration de leurs conditions d’existence, malgré leurs énormes bénéfices.

Comment les multinationales concernées pourraient-elles exiger le versement de salaires équitables sur les chaînes d’approvisionnement?

Les sites en ligne ne cessent de croître et affichent la claire ambition de poursuivre sur cette voie – Zalando vise par exemple l’objectif que, si un produit recherché ne figure pas dans sa gamme, c’est qu’il n’existe pas... Ces plateformes constituent des portes d’entrée à d’innombrables articles, plusieurs grandes marques en dépendent. Leur vaste assortiment et leur modèle d’affaires, basés sur la nouveauté et la guerre des prix, ont une influence grandissante sur les chaînes d’approvisionnement mondiales de l’industrie textile. Ces multinationales ont donc le pouvoir de décider à quelles conditions elles intègrent les articles dans leur l’éventail de produits. Pourtant, aucune d’entre elles n’impose à d’autres détaillants la transparence sur la chaîne d’approvisionnement. Nous n’avons trouvé aucun détaillant en ligne indiquant qu’au moins une partie de la main-d’œuvre des usines textiles reçoit un salaire vital.

Vous insistez aussi sur les mauvaises conditions de travail pour les employés de la logistique...

Aucune entreprise n’a effectivement garanti des emplois sûrs, réglementés et non précaires pour cette catégorie de travailleurs. Nous avons par ailleurs contacté Unia sur ces questions. Il y a un large potentiel d’amélioration. Des règles existent et doivent être appliquées.

Vos critiques portent aussi sur la question environnementale, en particulier sur le traitement de la marchandise renvoyée...

Seules quatre plateformes étudiées déclarent éviter la destruction d’articles renvoyés, mais aucune n’a mis en place de directive contraignante à ce sujet. Et il y a peu de communication sur cette question, même s’il semble qu’une grande partie des retours sera revendue. En 2021, 250 millions de colis contenant des produits non alimentaires ont été envoyés à des clients en Suisse. Selon nos estimations, le risque de destruction de la marchandise a concerné 1,2 million de paquets renvoyés, une part non négligeable... Cela correspond environ à un volume de 278 conteneurs jaunes standard de La Poste. Le risque de destruction est particulièrement élevé pour les articles à bas prix et pour les catégories de marchandises présentant un taux de renvoi très élevé comme les vêtements. A noter encore que, chez Amazon, Galaxus et Wish, des éléments concrets indiquent qu’ils proposent parmi leurs prestations un service de destruction, probablement parce que, pour les marchandises à bas prix, cette finalité coûterait moins cher que le stockage et le reconditionnement. C’est particulièrement choquant.

Quelles sont les solutions envisagées par Public Eye pour générer des changements de paradigmes? Que demandez-vous?

Les autorités politiques doivent agir et participer activement à un changement structurel en imposant des règles sociales et écologiques contraignantes à toutes les entreprises. Pour la plupart des acteurs du commerce en ligne, la transparence, de bonnes conditions de travail et la durabilité environnementale de leur production et de leurs articles ne sont pas des priorités. Bien au contraire... Il est nécessaire de ficeler un paquet législatif avec une obligation de transparence et de respect des droits humains, comprenant le versement d’un salaire vital, une interdiction de détruire les produits à l’état neuf, afin que les retours et les invendus ne finissent pas à la décharge, ainsi qu’une meilleure protection légale et des contrôles dans la logistique.

Et les consommateurs, ont-ils aussi un rôle à jouer?

Nous les invitons à soutenir l’appel* lancé au Parlement. Plus nous serons à le signer, plus nous aurons de poids. Notre campagne vise à informer et à sensibiliser la population à la problématique. Elle est aussi une invite à consommer moins, de manière responsable, en conscience, en s’interrogeant si l’article désiré est vraiment nécessaire, en identifiant les stratégies de marketing agressives des entreprises. Nous incitons encore les consommateurs à prendre soin des articles, à les réparer, à privilégier les offres de seconde main. Entre 2000 et 2015, la production de vêtements a doublé. En même temps, le nombre de jours où les vêtements ont été portés a diminué de 36%! On achète davantage d’habits et on les utilise moins longtemps. Non sans conséquence pour l’environnement. L’industrie textile représente 8% des émissions polluantes. Si on continue à ce rythme, d’ici à 2030, ces dernières augmenteront de 50%. Nous devons réduire notre consommation.


Pour signer l’appel, aller sur: unbox-fairfashion.ch 

L’enquête est disponible sur: publiceye.ch


 

Logistique: Défendre des travailleurs invisibilisés...

Rémunérations de misère, sous-traitance, multiplication des contrats temporaires, flexibilité et journées interminables, heures supplémentaires non payées: interlocuteur privilégié de Public Eye sur la question de la précarité à laquelle sont confrontés les travailleurs de la logistique, Unia soutient la campagne lancée par l’ONG et a participé à la définition de critères en matière de salaire vital. «Nous revendiquons la conclusion de conventions collectives de travail dans le secteur et davantage de contrôles des cantons et de la Confédération. Il faut aussi prendre des sanctions plus sévères à l’encontre des entreprises contrevenantes. Et procéder à des vérifications de mise en conformité», précise Anne Rubin, membre de la direction du secteur tertiaire d’Unia. La collaboratrice insiste encore sur l’importance pour le syndicat de pouvoir accéder à cette catégorie de personnel. «Les employés de la logistique des e-commerces travaillent le plus souvent dans des entrepôts ou dans les transports. Ils ont très peu de visibilité, en particulier du grand public qui, dès lors, ne se rend souvent pas compte de leurs conditions de travail. Ils font partie des nouveaux précaires. Nous devons les défendre et la branche doit être régulée.»

A noter encore qu’Unia travaille depuis de nombreuses années avec Public Eye, notamment dans le cadre de sa campagne Clean Clothes. Le syndicat avait notamment fait du lobbying pour inciter les entreprises de vêtements suisses à parapher l’accord sur la sécurité des bâtiments au Bangladesh à la suite de l’effondrement, en mai 2013, du Rana Plaza, consacré à la confection textile. Ce drame avait provoqué la mort de 1138 personnes. Seuls Coop, Migros, Tally Weijl et Triumph ont signé la convention en question.


Pour aller plus loin, Public Eye organise deux Webinaires

Le 8 juin, de 19h30 à 20h30: Tendances principales dans le commerce en ligne et informations de fond sur l’évaluation des entreprises de Public Eye avec un accent sur la transparence et le salaire vital.

Le 30 juin, de 19h30 à 20h30: Informations de fond sur le rapport avec un accent sur les conditions de travail dans la logistique. Participation d’Anne Rubin, experte d’Unia dans le domaine.

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