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Parité des genres… et des classes sociales

Hémicycle d'un parlement.
© Thierry Porchet/archives

Soutenus par les syndicats et les partis de gauche, les collectifs féministes se battent pour une parité entre hommes et femmes dans les Parlements et les autres institutions politiques. Economiste réputée, la Française Julia Cagé vient de franchir un pas de plus. Elle propose d’introduire une parité sociale à l’Assemblée nationale française et dans tous les législatifs pour une meilleure représentation des classes populaires.

Professeure d’économie à Sciences Po Paris et femme clairement orientée à gauche, Julia Cagé a publié il y a deux ans Libres et égaux en voix*. C’est dans cet ouvrage qu’elle suggère d’introduire une double parité, d’une part entre hommes et femmes, d’autre part entre catégories sociales.

2,6% d’employés, 0,7% d’ouvriers

Julia Cagé formule cette proposition radicale à partir du constat que la proportion de parlementaires issus des classes populaires s’est effondrée. Aujourd’hui, il n’y a plus que 2,6% d’employés à l’Assemblée nationale et 0,7% d’ouvriers! Or, ces deux catégories sociales représentent près de la moitié de la population active. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France comptait 20% de députés des catégories populaires. Au Parlement suisse, on est pratiquement à zéro dans les deux cas. «Ces chiffres, commente Julia Cagé, alimentent l’idée que la démocratie est confisquée par certains, et nourrissent la défiance et l’abstention. Il est primordial d’agir: il faut changer les règles du jeu, donc la loi. Si on ne force pas les choses, elles ne s’amélioreront pas d’elles-mêmes.» Effectivement, si l’on ne parvient pas à faire bouger les lignes dans ce domaine, l’abstention et le national-populisme continueront de progresser, que ce soit le Rassemblement national en France ou l’UDC en Suisse.

Classes populaires: 50% sur les listes

Julia Cagé veut obliger les partis politiques à présenter aux élections législatives 50% de candidats issus des classes populaires, c’est-à-dire ouvriers, employés ou travailleurs précaires, comme c’est le cas avec les 50% de femmes. Elle ajoute que le non-respect de cette règle ne devrait pas être sanctionné par une amende. Si le taux de 50% des candidats des classes populaires n’était pas atteint par un parti, aucun de ses candidats ne pourrait se présenter. Cette proposition a déjà donné de l’urticaire aux élus de droite. Député de la macronie, Robin Reda a déclaré à L’Obs, le 9 juin dernier: «Quel est l’objectif? Institutionnaliser la lutte des classes à l’Assemblée nationale? Les députés ne doivent pas devenir des lobbyistes d’une profession ou d’une classe sociale.» Comme si ce n’était pas déjà le cas depuis la nuit des temps!

Déjà un grand progrès

La mise en œuvre de l’idée de Julia Cagé aurait des effets bénéfiques pour la représentation des classes populaires, mais elle pose au moins deux questions. Une fois élus, ces hommes et ces femmes des catégories populaires pourraient-ils s’imposer face aux députés issus des grandes écoles s’ils n’avaient pas reçu une solide formation politique au préalable? En introduisant un nouveau quota après celui fondé sur le sexe, ne risque-t-on pas de générer de nouvelles demandes de ce type, reposant sur la religion, l’ethnie ou encore sur le clivage Français-immigrés, le jour où ces derniers obtiendront les droits de vote et d’éligibilité? Julia Cagé n’élude pas le problème, tout en soulignant qu’en introduisant ces données dans la représentativité politique, on risque de les figer. Avant d’ajouter: «Améliorer notre représentativité quant à la représentativité de genre et de catégorie socioprofessionnelle serait déjà un progrès formidable.»

* Julia Cagé, Libres et égaux en voix, Editions Fayard, 2020.

Pour des télés vraiment libres

«Il est grand temps de réinvestir la question de la gouvernance et de la propriété des médias et de créer enfin des télés vraiment libres. De garantir les conditions de la survie d’une pensée libre. De mettre fin à l’OPA de quelques milliardaires sur l’ensemble du débat d’idées.» C’est en ces termes que Julia Cagé conclut un autre essai, Pour une télé libre. Contre Bolloré*. Car, pour Julia Cagé, une démocratie digne de ce nom doit disposer de médias reposant sur des bases démocratiques. Or, avec le milliardaire Vincent Bolloré (et quelques autres!), patron de choc et ami d’Eric Zemmour, on est loin du compte. Il possède en effet des salles de spectacle comme l’Olympia, les maisons d’édition du groupe Editis, l’agence de communication Havas (publicité) en passant par l’institut de sondage CSA, mais aussi des chaînes de télévision telles que Canal +, C8, CNews et la radio Europe 1. Il est aussi présent dans la presse écrite (Prisma Media, premier groupe de magazines en France: Journal du Dimanche, Paris-Match, Géo ou Ça m’intéresse). Pour garantir la liberté de la communication et le pluralisme de l’information, Julia Cagé propose que la nomination du directeur ou de la directrice de la rédaction d’une chaîne de télé soit agréée par au moins 60% des journalistes, que la pluralité des points de vue s’exprime à l’intérieur de chaque chaîne, que l’indépendance des autorités de surveillance des chaînes soit renforcée, ou encore que l’on mette fin aux abus de position dominante des géants de l’internet. Tout cela suppose enfin un financement public du service public. Or, le Parlement français a supprimé la redevance, sous l’impulsion du Rassemblement national et d’Emmanuel Macron. En Suisse, l’UDC et ses alliés rêvent d’en faire de même…

* Julia Cagé, Pour une télé libre. Contre Bolloré, Editions du Seuil, 2022.

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