Pénibilité, salaires, journées sans fin: la parole à quelques maçons
Les maçons vaudois ont décidé de poser les outils les 7 et 8 novembre prochain. Retour sur l’importance de cette mobilisation avec quelques témoignages recueillis sur le chemin de l’assemblée du 7 octobre à Lausanne
C’est vendredi soir. Bien que harassés par une semaine de travail, les maçons répondent présent. Dans le train bondé qui emmène les travailleurs de la construction du Chablais et de la Riviera jusqu’à Lausanne, lieu de la grande assemblée générale des maçons vaudois du 7 octobre, les langues se délient.
Gomes, 51 ans, est manœuvre depuis 2018. Auparavant, il était ouvrier agricole. «Je me lève à 4h30 pour être à 6h15 au dépôt. Le travail débute à 7h15. Faire huit heures par jour, plus le déplacement, c’est déjà beaucoup. Il suffit d’un accident sur la route pour aller ou revenir du chantier et notre journée s’allonge. On perd énormément de temps dans ces déplacements. Passer à 13 heures ou 14 heures par jour pour travailler, c’est exclu. Notre assemblée doit décider d’agir. Nous avons besoin du patron, mais lui a aussi besoin de nous. Si on fait grève, il faut que tous y participent.»
Fernando Da Costa, 59 ans, travaille dans la construction depuis des années. «Les patrons font ce qu’ils veulent. A l’époque, le déplacement pour Lausanne était payé 10 francs, maintenant beaucoup moins. C’est aussi un problème à régler. Je suis content d’arriver à la préretraite. Plus on avance, moins on gagne: nos salaires baissent, car on a davantage d’impôts, de cotisations sociales. Et les patrons ne veulent rien donner. J’ai été de toutes les manifestations, de toutes les grèves. Je suis là par solidarité avec ceux qui ont encore des années de travail devant eux. Avec la retraite des femmes passée à 65 ans, c’est les 67 ans qui guettent tout le monde. Notre retraite anticipée risque d’être attaquée. Pour moi, il faut faire la grève tout de suite.»
Agim, 57 ans, est coffreur dans une grande entreprise. «Cette assemblée est importante pour tous les ouvriers. Moi, il me reste trois ans à travailler, je viens pour les jeunes. Tous les jours, le patron nous demande d’en faire plus. Ce n’est plus comme avant. Depuis une quinzaine d’années, la situation se dégrade. La pénibilité est énorme. Il y a aussi les déplacements: moi, je suis fixe et je touche quelque chose, mais tous les temporaires qui travaillent chez nous n’ont rien. Leur contrat démarre au moment où ils sont sur le chantier. Ce n’est pas correct. Le syndicat devrait faire quelque chose contre ça. Il y a aussi la pause de quinze minutes qui doit nous être payée, comme à Genève. Il y a quatre ans, on nous a dit que ce serait le cas, mais on n’a toujours rien. Les intempéries sont également à régler. S’il pleut, moi je ne travaille pas, c’est ma santé qui est en cause. Mais beaucoup de temporaires, payés à l’heure, y vont quand même. Et les 48 heures de travail par semaine, sans le déplacement? Vous ne trouverez aucun ouvrier d’accord avec ça. C’est clair, il faut faire la grève, et ne pas avoir peur. Certains patrons disent de ne pas participer, sinon ils vous mettent à la porte, d’autres nous disent: c’est ton choix. Pour moi, c’est notre droit, il faut y aller.»
Fred, 38 ans, est chef d’équipe dans le génie civil. «Je suis là parce que je ne veux pas bosser 60 heures par semaine. J’ai une vie à côté, une famille, trois enfants. Quand je pars travailler, ils dorment, si on prolonge nos journées, ils dormiront aussi quand je rentrerai… La pénibilité? C’est le métier qui le veut, mais il faut améliorer beaucoup de choses. Par exemple, pour les intempéries, ce serait que le fonds soit utilisé. Pour qu’on puisse arrêter une journée plutôt que d’être sous la pluie. Il y a aussi un problème avec le personnel temporaire. Ça change tout le temps, certains ne comprennent pas un mot. Nous sommes confrontés à la pénurie de main-d’œuvre, c’est difficile de gérer, même sur un petit chantier. Je suis là aussi ici pour les salaires. Ils ne tiennent pas la route. A chaque fois, il faut se battre pour avoir des miettes. Le travail est dur, physique, à l’extérieur, il doit être payé convenablement. J’ai une famille, je veux la voir. Je veux travailler pour vivre, pas vivre pour travailler. A la fin du mois, je dois pouvoir payer mes factures et profiter un peu de la vie. Pour les collègues manœuvres avec une famille, ça devient très difficile.»
Lors de l’assemblée qui a suivi au Palais de Beaulieu, c’est à l’unanimité que les maçons ont décidé de faire grève les 7 et 8 novembre (voir L’ES du 12 octobre). Dans l’unité, ils ont exprimé leur forte détermination à lutter contre les attaques inacceptables de la Société suisse des entrepreneurs et contre son refus d’augmenter les salaires sans contreparties.