Durant tout le courant de l’automne, les négociations salariales dans les entreprises et dans les branches mobilisent Unia. Il s’agit de décrocher des augmentations significatives pour 2025 alors que la hausse du coût de la vie a fait dégringoler les salaires réels ces dernières années. Cette lutte essentielle pour des rémunérations correctes ne doit, toutefois, pas faire perdre de vue un autre objectif poursuivi par le syndicat, celui de l’amélioration des conditions de travail et de vie, dont la baisse du temps de travail reste l’un des éléments centraux. Rappelons que, depuis près de deux siècles, les combats du mouvement ouvrier et socialiste ont permis de réduire de moitié la durée du travail. Mais on passe encore une trop grande partie de sa vie au boulot (et dans les transports pour s’y rendre), surtout en Suisse, où la durée moyenne hebdomadaire de 41,7 heures dépasse celle des autres pays européens.
Il faut battre ici en brèche une idée reçue: si l’économie suisse affiche de bons résultats, ce n’est pas parce que nous trimons plus que les autres, non, c’est parce que nous travaillons toujours mieux. La croissance de notre PIB repose, en effet, en grande partie sur l’augmentation de la productivité, qui progresse grosso modo de 1% par année depuis le début du siècle. Nous avons continuellement besoin de moins d’heures pour produire la même quantité de biens et de services.
Mais couplée à des conditions de travail parfois dégradées, cette pression sur la productivité entraîne des risques pour la santé. Un actif sur quatre serait surmené. Et les employés à plein temps présentent un risque plus élevé de développer des cancers, comme vient de le révéler une étude scientifique de l’Université de Fribourg.
Alors, c’est quand qu’on ralentit?
Si nous avions utilisé les gains de productivité acquis depuis deux décennies pour réduire le temps de travail, plutôt que de remplir les poches des actionnaires et des managers, nous aurions pu commencer à aménager la semaine de quatre jours.
L’intelligence artificielle et la robotisation vont encore nous permettre de lever le pied. Même si les tâches à accomplir par les humains ne manqueront pas à l’avenir, qu’on songe seulement aux services à la personne, aux soins ou à l’éducation. La réduction des horaires a l’avantage de favoriser le partage du travail et la création d’emplois, ainsi qu’une meilleure répartition des tâches dans le ménage. Bosser moins correspond aux aspirations d’une nouvelle génération de salariés souhaitant disposer d’un jour de congé dans la semaine pour s’occuper des enfants ou s’adonner à une passion. Diminuer les heures de boulot favorise sans aucun doute l’épanouissement personnel. Et encourage la transition écologique. Traverser la ville à vélo afin d’aller acheter ses pâtes dans un magasin sans emballages prend plus de temps que de faire livrer ses repas à domicile.
«Une réduction du temps de travail permet de négocier le tournant écologique et de la numérisation de manière socialement juste», résume Unia, dans son manifeste Plus de temps pour vivre, repenser le travail.*
Pour mettre en œuvre ce véritable projet de société, il faut effectivement repenser notre rapport au travail. Le journaliste et fondateur de L’Evénement syndical, Jean-Claude Rennwald, le montre bien dans son ouvrage La semaine de 4 jours, paru cette année aux Editions de l’Atelier.
Mais, comme il le souligne, des concessions des employeurs supposent un syndicalisme fort. Ainsi, si Unia Valais a obtenu à l’automne 2023 une diminution d’une heure et demie par semaine entièrement payée en faveur des paysagistes, le dialogue social tourne souvent en rond et des mesures de lutte sont à envisager. C’est en stoppant les locomotives que les cheminots allemands ont obtenu au printemps dernier le passage de 38 à 35 heures par semaine, leur per- mettant de gagner un temps précieux pour leur santé, l’égalité et le climat.
* Le syndicat organise le 26 octobre à Berne une journée de réflexion sur ce thème, voir le programme.