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«Peu auraient parié sur une issue aussi heureuse»

pancarte "régularisation"
© François Graf

Parmi les nombreuses actions de la Coordination asile pour la régularisation des 523 requérants déboutés des Balkans et des 175 Erythréens et Ethiopiens, une manifestation s’était déroulée à Lausanne en septembre 2005. Preuve d’une implication citoyenne particulièrement forte.

Il y a 20 ans, un mouvement vaudois de solidarité avait permis la régularisation de près de 700 personnes déboutées. La Coordination Asile a célébré cette lutte exceptionnelle.

Commémorer les victoires, pour se donner l’énergie de se mobiliser encore et toujours. C’était le sens de la fête organisée par la Coordination Asile le 26 octobre à Lausanne. Plus de 100 personnes ont répondu à l’appel: des militants de toujours, des politiciens de gauche, quelques personnes issues du groupe dit des «523», ayant fui la guerre des Balkans, ainsi que des «175» Erythréens et Ethiopiens, également venus chercher refuge ici. Autant de personnes déboutées de l’asile qui ont risqué l’expulsion il y a vingt ans, du fait de l’intransigeance de Berne. La mobilisation des milieux de gauche et au-delà, de la population civile aux quatre coins du canton, d’une majorité du Grand Conseil et des Eglises avait finalement abouti à une régularisation, au compte-goutte, de presque toutes et tous. Cette lutte aura duré plus de deux ans. La Coordination Asile a ainsi célébré ce combat collectif de désobéissance civile et de résistance face à des renvois iniques, qui semble, de nos jours, irréel face au durcissement de la politique d’asile et à la fragilisation du mouvement militant. 

Dans le foyer du centre d’art scénique l’Arsenic, des archives du photographe François Graf tournent en boucle sur un grand écran: des familles trouvant refuge dans des églises, des manifestants nombreux dans les rues de Lausanne, ou encore des artistes sur scène en soutien… En introduction à une projection d’archives de la lutte, avant un repas convivial, Yves Sancey, fer de lance du mouvement (actuellement responsable du journal du SEV), rappelle l’importance de se souvenir de cette incroyable solidarité face à cette crise politique unique. Il énumère les différentes paroisses – plus d’une vingtaine – devenues refuges, et la multiplicité des formes d’action: occupations, assemblées, manifestations, appels d’artistes, d’élus ou d’employeurs, expositions, spectacles, parrainages, camp de vacances pour les enfants, et même plainte pénale… Il remercie la Maison du peuple et le Point d’Appui (lieu d'accueil des Eglises réformées et catholiques pour les personnes migrantes, créé en 2003), ainsi que toutes les personnes présentes, absentes ou décédées depuis. 

Fin de l’exception vaudoise

«Si l’on se replace dans le contexte du printemps et de l’été 2004, peu parmi nous auraient parié sur une issue aussi heureuse et une telle mobilisation. Blocher venait d’être élu conseiller fédéral et voulait mettre fin à “l’exception vaudoise” qui avait permis la régularisation de 2500 déboutés de l’asile», explique Yves Sancey. Le Canton avait ensuite présenté 1273 dossiers de plus à Berne, qui avait consenti à en régulariser 750. Restaient sur la touche 523 personnes issues des Balkans. Un calcul comptable qui faisait fi des vécus personnels, de ces enfants nés en Suisse, de ces travailleurs et travailleuses dont on retirait tout à coup le permis de travail, ou encore de cet apprenti modèle qui ne pouvait imaginer tout recommencer dans le pays de ses parents dont il ne connaissait que le nom. Par ailleurs, «175 autres personnes, toutes originaires d’Ethiopie ou d’Erythrée, étaient purement et simplement écartées de l’examen fédéral, dans l’arbitraire le plus total», ajoute Yves Sancey. 

Le 24 juin 2004, pour faire face à cet «accord de la honte» entre Vaud et Berne, la Coordination Asile est créée. Trois ans après le refuge de Bellevaux – qui avait accueilli pendant quatre mois des personnes d’Ex-Yougoslavie, dans le cadre du mouvement également victorieux «En quatre ans, on prend racine» – l’idée de réoccuper des paroisses est lancée.

Me Christophe Tafelmacher, avocat et militant de longue date, souligne: «Ce mouvement est venu d’en bas et a transcendé les institutions et les partis. La société civile s’est mobilisée de manière remarquable.» 

Emue, Graziella de Coulon, cheville ouvrière du combat pour les droits des migrants, ajoute: «Je n’ai pas oublié les moments d’angoisse, de stress, de peur, mais aussi tous ceux passés avec vous, à partager, à rigoler, à jouer avec les enfants et à se réjouir de chaque petite victoire.» Elle raconte notamment cette nuit où elle a transféré des personnes d’une cachette à une autre, juste avant de se faire arrêter par la police qui avait fouillé son auto de fond en comble... 

Kamber K., ancien «523», témoigne: «Cela fait vingt ans qu’on lutte ensemble pour régulariser les gens. Je n’ai pas de mots, mais je tiens à remercier de tout mon cœur…» Mekonnen, l’un des «175», partage: «Quand on nous a interdit de travailler, cela faisait douze ans déjà que je travaillais au Beau-Rivage. C’était dur. Je tiens à remercier tout le monde. Cette lutte reste dans nos mémoires. Aujourd’hui, toute ma famille est naturalisée, et mon fils étudie la médecine.»

Les prises de parole sont nombreuses dont celles de Marianne Huguenin, ancienne syndique de Renens, de Brigitte Zilocchi, cofondatrice de Point d’Appui, ou encore de Luis Carlos Garcia Guerrero, militant du Collectif de soutien aux sans-papiers (créé en 2002), Pierre-Yves Maillard, président de l’USS, venu avec son voisin, ancien «523». Ce dernier, Ruzhdi, dit avoir été «sauvé» grâce au travail de la Coordination Asile. Diane Barraud, pasteure (actuellement à Point d’Appui), se souvient avoir échangé avec des paroissiens qui signaient la pétition, et d’autres qui claquaient la porte de l’église dès qu’il était fait mention de la lutte. 

Reste qu’à l’époque, même des radicaux s’engageaient, à l’instar du député Serge Melly, qui a joué un rôle clé dans la lutte en faisant passer une motion contre les renvois forcés, et en hébergeant la famille Demiri dans son alpage. «Lors de la désalpe, le père de famille avait conduit le troupeau et avait été applaudi», remémore Me Christophe Tafelmacher.

La lutte continue

Graziella de Coulon souligne: «Cette soirée, pour nous, est aussi l’occasion d’alerter sur la situation actuelle du droit d’asile. Cet immonde règlement Dublin a été introduit depuis des années et personne n’y échappe. Retour au premier pays européen touché, peu importe lequel, comme la Croatie par exemple qui a violenté des centaines de personnes, femmes et enfants compris… On expulse avec de plus en plus de violence, toujours à l’aube, avec un surnombre de policiers, en arrachant les enfants des bras des mères, en ignorant tout respect de la dignité.» Et de questionner: «Que manque-t-il pour retrouver un élan comme celui des 523? Nous devons nous remobiliser, stopper ce mépris de la migration et son utilisation comme support politique. Nous avons encore bien plus de 523 personnes à sauver de la politique raciste et irresponsable que nos gouvernants mettent en place et nous pouvons, comme en 2004, nous y opposer.»

Pauline Milani, historienne et membre de Droit de rester, conclut: «Nous avons besoin d’aide. Il y a 20 ans, on se battait pour des permis B, maintenant on se bat pour pouvoir seulement déposer des demandes d’asile! On aimerait beaucoup refaire une fête dans 20 ans pour parler de nos victoires…» 

Pour aller plus loin

«Face à la pénurie de main-d’œuvre, les personnes demandant l’asile sont une chance»

Photo de Graziella de Coulon

Devant les attaques contre le droit d’asile en Suisse et en Europe, la militante Graziella de Coulon en appelle à la solidarité et à la raison