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Plus d’hommes qu’ailleurs, mais toujours trop peu

Les trois éducateurs du Centre de vie enfantine de Chailly.
© Olivier Vogelsang

Medjait, Alexandre et Daniel ont fait le choix d’un métier souvent réservé aux femmes. Un plus pour le Centre de vie enfantine de Chailly à Lausanne, où ils apportent leur sensibilité et leurs compétences. Et un engagement permettant de briser les clichés de genre.

Avec cinq hommes, sur trente-cinq éducateurs et éducatrices, le Centre de vie enfantine (CVE) de Chailly dépasse de loin les statistiques nationales en matière de représentation des hommes dans la profession. Témoignages

La petite enfance est, dans le domaine social, celui qui compte le moins d’hommes, avec une moyenne de 5% qui évolue peu. C’est dans le but d’encourager la gent masculine à s’engager davantage dans les professions sociales, que le programme national MenCare a lancé cet automne la campagne «hommes dans le social», avec le soutien du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes.

«Les activités de soins au sens large sont connotées comme étant essentiellement des compétences féminines, remarque Gilles Crettenand, coordinateur de la campagne. L’idée est de sensibiliser les jeunes à ce qu’est une profession sociale, de les questionner sur l’accès à ces métiers pour les hommes en détricotant les normes sociales, les biais de genre, et de communiquer sur l’image de ces activités professionnelles, sur le fait que l’on peut être viril, masculin, tout en travaillant dans le care.»

Mélanie Jemelin est directrice du Centre de vie enfantine (CVE) de Chailly* dans lequel travaillent 35 éducateurs et éducatrices, apprentis inclus, dont cinq hommes. Elle apprécie le fait d’avoir des équipes mixtes, mais n’explique pas vraiment cette représentation masculine bien au-dessus de la moyenne suisse: «Alexandre et Medjait travaillaient déjà au CVE à mon arrivée, et j’ai par la suite reçu de très bons dossiers de candidatures masculines. On tente de former des équipes équilibrées, tant au niveau des diplômes, que des âges et de la mixité, et si, à compétences égales, on choisit le dossier d’un homme, c’est dans cette optique.»

«Les crèches sont très prenantes, pour l’accueil d’éducateurs hommes, mais l’offre est encore trop faible, observe Gilles Crettenand. S’il y en a un c’est bien, s’il y en avait 2 ou 3 dans une équipe, ce serait un signal fort pour les hommes, car ne voir que des femmes peut refroidir certains candidats. On souligne également que ces professions ont du sens et donnent des possibilités de temps partiel, ce qui attire beaucoup de personnes en réorientation professionnelle.»

Au CVE de Chailly, les trois éducateurs témoignant dans cette page ne se prédestinaient pas à travailler en crèche, mais aucun ne regrette ce choix.

* Les CVE de Chailly et de Beaumont à Lausanne font partie de la Fondation «La Pouponnière et l’Abri», dont les premières activités remontent à 1914.


Medjait Kasa, éducateur et formateur dans le groupe des Moyens (enfants de 2,5 à 4,5 ans)

«Je suis originaire de Macédoine et j’ai grandi dans un village où les enfants étaient beaucoup entre eux. Adolescent, je m’occupais des plus petits, mais après cette période, je n’ai plus eu de contacts avec des enfants. J’ai fait une école professionnelle électrotechnique, car cette formation offrait plus de débouchés dans ma région», explique Medjait, éducateur et formateur.

Aux prémices de la guerre qui allait ravager l’ex-Yougoslavie, le jeune homme a la possibilité de fuir le conflit en venant en Suisse: «J’avais la chance d’avoir un membre de ma famille arrivé ici avant moi, et j’ai pu le rejoindre en 1991.» Medjait travaille quelques années dans la viticulture et apprend la langue, avant de chercher une nouvelle voie professionnelle. «Une fois la décision prise de rester ici, j’ai commencé à réfléchir au domaine vers lequel je souhaitais m’orienter et suis allé voir une psychologue du travail.» Le secteur social semblant être celui qui lui correspond le mieux, Medjait effectue un premier stage dans le milieu hospitalier, puis un second dans la petite enfance, qui le décide à devenir éducateur. Il commence alors la formation de trois ans et a 30 ans lorsqu’il obtient son diplôme.

«A cette époque, les hommes étaient encore plus rares qu’aujourd’hui, mais je me suis retrouvé dans la première classe qui en comptait deux. Pendant les stages, j’ai d’abord été le seul homme, avant de me retrouver dans des structures où nous étions deux ou trois. Les éducatrices voyaient la présence d’un éducateur homme comme un enrichissement pour elles-mêmes et pour les enfants. Atterrir dans ce milieu presque exclusivement féminin, où j’étais bien accueilli, était plutôt valorisant pour moi!»

Les valeurs d’abord

Ce bon accueil des éducatrices n’empêche pas le Lausannois d’adoption d’apprécier la présence de collègues masculins: «Au CVE de Chailly, où je suis depuis 2010, j’ai eu la chance d’être quelque temps dans le même groupe qu’Alexandre et cela m’a beaucoup plu. Entre hommes, on a des affinités différentes, et j’appréciais de pouvoir partager mon quotidien professionnel avec un collègue masculin. Toutefois, pour mon premier emploi et les suivants, je cherchais avant tout un lieu dont les valeurs correspondaient aux miennes, et ce n’est pas la présence d’hommes dans une structure qui a guidé mes choix.»

Il ajoute que, sur ses vingt ans de carrière, il n’y a eu que deux fois où des parents ont émis le souhait que leur enfant change de groupe, du fait de sa présence. «Dans les deux cas, cela s’expliquait par un vécu particulier. Après discussion entre la direction, les parents et moi-même, on a pu continuer et une fois la confiance établie, tout s’est bien passé. Quand leurs enfants ont quitté le groupe, les parents nous ont même remercié de ne pas avoir accédé à leur demande.»

«Dommage qu’il n’y ait pas plus d’hommes»

«Au niveau de la répartition des tâches dans l’équipe, il y a une concertation. Je vais aussi jouer à la poupée et faire des coiffures, même si ce ne sont pas les mêmes que lorsqu’une de mes collègues s’en charge! Ce n’est pas parce que je fais cela moins bien que je vais éviter de le faire», note encore Medjait.

Vingt ans d’activité, principalement avec des enfants de la tranche d’âge 2,5 ans à 4,5 ans n’ont pas entamé l’enthousiasme de l’éducateur, qui semble doté d’une patience à toute épreuve: «Je ne me lasse absolument pas avec les années, j’ai toujours autant de plaisir, mais je trouve dommage qu’il n’y ait pas plus d’hommes dans le métier. C’est une profession peu valorisée, regrette le jeune quinquagénaire. Et traditionnellement, on associe plutôt les femmes à tout ce qui touche aux enfants en bas âge. J’espérais que le nombre d’hommes augmente avec le temps, mais ça reste insignifiant, malheureusement.»

Une présence qui temporise les relations entre femmes

Emilie, éducatrice au CVE depuis 2012, regrette également que si peu d’hommes s’orientent vers cette profession: «Les relations entre collègues féminines peuvent rapidement devenir conflictuelles, et la présence d’un homme permet de les temporiser. Une personnalité aussi calme que Medjait apaise d’autant plus les choses!» s’exclame la native de Nancy. «Dans les activités, avoir une figure masculine est très positif pour les enfants, et on se complète. On a chacun nos attirances pour certaines activités, Medjait et moi par exemple aimons sortir en forêt, alors que certaines de mes collègues le font moins volontiers.»

Dans le centre. Des enfant courent.
Un accueil chaleureux et joyeux au Centre de vie enfantine de Chailly, qui a une longueur d’avance en matière de représentation masculine dans le domaine de la petite enfance. © Olivier Vogelsang

 


Alexandre Archimi, éducateur depuis treize ans, au CVE de Chailly depuis 2009

«M’orienter dans ce métier n’était pas une évidence, explique Alexandre, éducateur et jeune père de famille. J’ai mis du temps à savoir ce que je voulais faire dans la vie, et je m’étais finalement lancé dans un CFC d’employé de commerce, histoire d’avoir un papier pour entrer dans la vie active. J’avais beaucoup de liens avec mes petits-cousins et, étant doué en orthographe, j’aidais une amie à corriger ses travaux durant sa formation d’éducatrice. Cela m’a donné envie de me lancer dans la même voie.» Le jeune homme commence alors par faire des remplacements au CVE de Beaumont à Lausanne, tout en travaillant comme employé de commerce à Nyon.

«Au début, j’étais le seul homme, et ensuite nous étions trois, dont Medjait, que je connais depuis treize ans. Comme employé de commerce ou dans la petite enfance, je n’ai pas rencontré beaucoup d’hommes sur ma route! Cela ne m’a toutefois jamais dérangé, car être entouré de collègues femmes m’a toujours plu. La société évolue heureusement, et la présence d’un homme est davantage perçue comme un atout. C’est bien vu et bien accepté, de manière générale», se réjouit le trentenaire.

«Etre père semble valider mes compétences»

«Il y a un an et demi, je me suis décidé à travailler en nurserie, chose que je n’aurais jamais envisagé avant de devenir père! En étant parent, on fait un peu partie d’un groupe, et je remarque que des parents semblent rassurés d’apprendre que je le suis aussi. C’est comme si être père validait d’autant plus mes compétences», constate l’éducateur, dont la fille aura bientôt 4 ans.

«Je suis toujours ravi d’accueillir les bébés le matin, et le lien qui se crée, c’est assez magique. Je n’entre pas dans les stéréotypes et préfère chanter que manier le marteau, mais je pense que cela n’a rien à voir avec le fait que je sois un homme, les centres d’intérêt varient simplement d’une personne à l’autre.»


Daniel Kadima, 21 ans, apprenti de 1re année chez les Moyens

Né en Suisse et originaire du Congo, Daniel est le cadet d’une fratrie de six. «Comme j’ai une grande famille, avec beaucoup d’enfants, je me suis beaucoup occupé de mes neveux et de mes cousins. Voyant que j’étais à l’aise avec les enfants, mes frères et sœurs m’ont encouragé dans cette voie. Devenir éducateur n’était toutefois pas mon idée de départ. Je m’étais d’abord intéressé à la vente d’articles de sport, comme je suis aussi footballeur, mais j’ai vite réalisé que c’était compliqué, surtout au niveau des horaires, et je voulais trouver un métier qui me plaise vraiment.»

«Un choix pas évident pour mes parents, vu ma culture»

Daniel effectue alors un stage, puis un préapprentissage au CVE de Beaumont. «Travailler avec des enfants m’a tout de suite plu, mais pour mes parents, mon choix n’était pas évident, vu ma culture. Maintenant heureusement, ils sont très contents et me soutiennent énormément.»

«Avoir comme formateur un homme comme Medjait, qui est déjà là depuis longtemps, me permet d’avoir un modèle, de savoir comment me comporter», explique celui qui est aussi milieu de terrain du FC Echallens.

«Ça se passe aussi très bien avec les collègues femmes, c’est même drôle parfois. Etre un jour dans un groupe où il n’y aurait pas d’hommes ne me dérangerait pas, même si c’est une autre façon de faire. En ce qui concerne les parents, j’ai parfois senti une réticence de la part de certains, du fait que je suis un homme, mais notre rôle est aussi de les rassurer, on essaie de dialoguer. Heureusement, je n’ai pas rencontré de problèmes particuliers par rapport à cela.»