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Récit d’une garde à vue

Prune et Anthony sont au cœur de l’action, solidaires. Un peu plus loin, des camarades de Renovate Switzerland sensibilisent les passants et distribuent des flyers d’information.
© Renovate Switzerland

Prune et Anthony sont au cœur de l’action, solidaires. Un peu plus loin, des camarades de Renovate Switzerland sensibilisent les passants et distribuent des flyers d’information.

A la suite de l’action contre UBS à Genève, quatre personnes militantes de Renovate Switzerland ont été privées de liberté pendant 28 heures. Témoignage de l’une d’elles

Lundi 20 novembre, Prune se rend à Genève avec plusieurs autres militants de Renovate Switzerland. La veille, elle a travaillé dans son café, puis fêté ses 43 ans en famille, notamment avec ses trois enfants entre 5 et 12 ans. C’est sa première action de désobéissance civile proprement dite. Par contre, ce n’est pas la première fois qu’une succursale d’UBS se trouve dans le viseur des lanceurs et des lanceuses d’alerte. Cette fois-ci, ce ne sont pas les investissements fossiles qui sont ciblés, mais son vaste secteur immobilier qui devrait faire de la banque, selon Renovate Switzerland, «un acteur majeur dans la rénovation thermique des bâtiments». Or, au rythme actuel, il faudrait cent ans pour rénover le parc immobilier suisse.

Prune témoigne, convaincue de l’importance de mettre en lumière l’urgence climatique, pour que les pouvoirs publics prennent de réelles mesures.

Le matin de l’action, Prune n’imagine pas qu’elle sera arrêtée si longtemps. Sur la façade de la banque, avec son camarade Anthony, elle écrit «100 ans?» avec une peinture orange lavable. Puis, tous deux s’assoient en tailleur devant l’établissement. Les badauds s’arrêtent, les prennent en photo, expriment leur irritation ou les encouragent. Après un certain temps, la police arrive, entoure le secteur d’un ruban de signalisation. Prune raconte: «L’un des policiers nous demande: “Vous croyez vraiment pouvoir encore changer quelque chose?” Ils sont très calmes, presque impassibles, nous disent que nous n’avons pas d’autorisation de manifester. Anthony leur répond que le droit international prévaut.»

Sur la façade de la banque, avec son camarade Anthony, elle écrit «100 ans?» avec une peinture orange lavable.
Photo Renovate Switzerland

Fouille et détention

Les activistes sont embarqués dans deux voitures différentes au poste de la Servette. «Je suis alors placée dans un box avec une table et des bancs. Une policière met mes affaires dans un sac. Je dois me déshabiller, d’abord le haut, puis le bas. Mes habits sont fouillés, mais pas mon corps heureusement. Je demande si c’est possible de fermer la porte. On me répond qu’elle doit rester entrouverte. Elle garde mon soutien-gorge, ma montre, mes élastiques pour cheveux. A partir de là, ma notion du temps est floue», continue Prune. Elle est interrogée par un policier, dit n’avoir rien à déclarer sans la présence d’un avocat. On lui signifie alors qu’elle va être déplacée avec ses trois camarades dans un autre poste, pour la nuit, en attendant de voir le procureur. C’est à ce moment que Prune réalise que deux autres écologistes ont été arrêtés; Greg, ingénieur en informatique, avait pourtant comme seul rôle, celui de sensibiliser les passants et Willy, dentiste à la retraite, n’a fait que distribuer des flyers. Surtout, elle s’inquiète pour ses enfants, car leur père est dans un train pour Berlin… Ils sont ainsi sous la seule responsabilité de leur jeune homme au pair de 16 ans. «J’ai demandé à pouvoir téléphoner. Il était 15h30 environ. Au début, le policier rechigne en me disant que j’aurais dû anticiper. Sauf que je n’imaginais pas rester une nuit au poste! Je dois aussi prévenir mes employés… Je comprends que je n’ai droit qu’à un seul coup de fil. Donc j’appelle mon compagnon, qui ne répond pas. Je lui laisse un message sur sa combox lui demandant de prévenir tout le monde… Quel stress pour lui aussi!»

Prune est transférée dans une cellule. «Je m’interdis d’angoisser. Ça résonne bien, je chante. Ça aide. J’entends aussi Willy qui tente de convertir un gardien au Qi Gong», explique celle qui s’accroche aux moments poétiques. «Puis, on me met des menottes et dans une camionnette avec mes camarades dans des cages séparées. On a juste l’occasion d’échanger deux ou trois mots à travers les parois. Tout au long du trajet, je regarde mes poignets menottés, en me disant que cette criminelle ce n’est décidément pas moi! Tout me semble si disproportionné. Quelqu’un sifflote L’Internationale, et je l’accompagne.»

Une nuit en cellule

Prune est alors placée seule dans une cellule d’environ 4 mètres carrés avec un matelas et des WC turcs. «Il faut demander pour avoir de l’eau, du PQ, éteindre la lumière ou pour savoir l’heure. Les agents ne répondent pas tout de suite aux sonnettes, donc les gens tapent régulièrement contre les portes à grand fracas. Je dois attendre pour passer devant le procureur, probablement demain après-midi, si j’ai de la chance. Je demande à faire un téléphone, qu’on me refuse. Je n’ai jamais été aussi privée de communication et j’espère que tout va bien chez moi. Je mange un Quick Lunch Maggi, du pain, de l’eau qu’on me transmet par le passe-plat. On s’amuse à taper des rythmes contre la paroi avec un voisin de cellule, jusqu’à ce que les phalanges me fassent mal. Je ne dors pas trop mal...» Le mardi matin, Prune est réveillée vers 8h avec du pain et du café. «Toujours pas d’information. J’essaie de rassurer mes proches par la pensée. Pourquoi nous garder aussi longtemps? Pour nous décourager?», questionne-t-elle.

Finalement, un agent l’emmène «dans un bureau avec un gros drapeau suisse comme seul décor». Il est muni d’un ordre du procureur pour le prélèvement des empreintes digitales (de chaque doigt) et de l’ADN (par un frottis dans la bouche). Puis, elle se retrouve de nouveau en cellule, avant d’être convoquée chez le procureur. «Il est plutôt sympathique. Il m’informe de mes droits. Il me demande si je veux faire venir un avocat, mais je renonce à contrecœur, car je préfère rentrer le plus rapidement chez moi pour rassurer mes enfants.» L’audience ne dure qu’une dizaine de minutes, durant lesquelles Prune indique n’avoir rien à déclarer. Elle est libérée peu après, récupère ses affaires, sa carte d’identité, sort par une porte de garage. Elle est accueillie, tout comme ses camarades de prison, par des militants de Renovate qui l’attendent dans la bise froide avec du thé chaud… L’arrestation aura duré 28 heures. Les murs de l’UBS ont été nettoyés en l’espace d’une petite heure. La résistance civile continue.

Liberté d’expression en danger

«Les activistes pacifiques sont toujours plus criminalisés en Suisse.» Le titre du dossier de humanrights.ch, daté du 17 octobre, résume la situation. L’organisation de défense des droits humains analyse les nombreuses arrestations, les restrictions à la liberté d’expression et les condamnations d’activistes, surtout climatiques, mais aussi féministes, depuis quelques années. Selon cette étude, les règlements se durcissent également concernant le droit de manifester. Mais la résistance continue, au travers des actions de Renovate Switzerland dans la rue, dans les tribunaux, auprès de la Cour européenne des droits de l’homme ou encore à l’Université de Berne où, le 16 décembre, un symposium est organisé sur «la désobéissance civile et les procès climatiques».

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