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«Sans le commerce équitable, notre coopérative de café n’existerait plus»

Josephat Sylvand dans la boutique des Magasins du Monde à Lausanne
© Olivier Vogelsang

Dans le bureau de l’Association romande des Magasins du Monde, Josephat Sylvand, responsable des exportations de café pour la coopérative tanzanienne KCU, souligne l’importance du commerce équitable pour les quelque 70000 cultivatrices et cultivateurs.

Les Magasins du Monde fêtent leur demi-siècle d’existence. A cette occasion, le représentant de la coopérative de café Kagera, Josephat Sylvand, a fait le déplacement depuis la Tanzanie. Entretien.

Dans le bureau lausannois des Magasins du Monde, Josephat Sylvand demande un thé. «Ça m’arrive de boire du café, mais peu», dit-il en anglais avec un sourire espiègle, lui, le représentant de la coopérative tanzanienne de café Kagera (KCU – Kagera Cooperative Union) qui regroupe plus de 60000 cultivatrices et cultivateurs. Celle-ci représente le premier partenariat créé dans les années 1970 avec une poignée de militants alertant sur les inégalités et les injustices du commerce mondial, prémices des Magasins du Monde (MdM). Josephat Sylvand, responsable des exportations, a donc été tout naturellement invité, à la mi-mai, par l’association romande des MdM pour ouvrir les feux des festivités de son 50e anniversaire. Interview.

Qui sont les membres de votre coopérative KCU?
Notre coopérative se situe dans la région de Kagera au nord-ouest de la Tanzanie, près de l’Ouganda et du Rwanda. Elle appartient aux 60000 à 70000 agricultrices et agriculteurs présents dans trois districts. Leurs terrains sont petits, en moyenne 0,5 à 1,6 acre (soit entre 2 et 6 hectares, ndlr) où seule la famille élargie travaille. Ils cultivent le café, mais leurs cultures sont très diversifiées pour répondre à leurs besoins quotidiens et, à petite échelle, à la vente sur les marchés locaux: manioc, maïs, haricots, patates douces, courges, épinards, papayes, oranges, fruits de la passion, bananes... Ils sont donc autonomes pour leur alimentation et propriétaires de leur maison. Le café leur permet essentiellement de gagner un peu d’argent, entre 800 et 1200 francs par année, pour les frais d’études de leurs enfants, pour améliorer leur logement – comme installer l’électricité ou refaire le toit –, acheter du bétail ou des vêtements... Le café est récolté une fois par an entre mai et juillet après la saison des pluies. Les autres cultures poussent à un autre rythme tout au long de l’année.

Quelle est l’histoire de KCU? 
Dès les années 1970, nous avons collaboré avec les MdM, puis, dès 1990, avec Claro (le fournisseur des MdM). Mais KCU existe depuis les années 1950 déjà. S’il n’exportait alors pas le café, il le vendait à des intermédiaires locaux. Sans le commerce équitable, notre coopérative n’existerait plus. Dans les années 1980, les prix se sont effondrés. En Tanzanie, la vente de café des coopératives ne payait même plus les frais de production. KCU avait déjà le label Max Havelaar et nos producteurs étaient donc indépendants des fluctuations et touchaient déjà le double du salaire. Grâce à Claro et aux Magasins du Monde, la coopérative reçoit des primes sociales, ce qui représente 20 centimes de dollars par livre (1 livre = 2,6 kilos, ndlr) de café pour investir dans des projets locaux sociaux et environnementaux. Soit environ 1 million de dollars par an. Cet argent sert au développement économique des 141 coopératives primaires locales de paysans et de paysannes. Celles-ci décident de leurs investissements, par exemple pour rénover l’école du village, pour développer l’eau potable à domicile – permettant ainsi d’alléger le travail des femmes puisque ce sont elles qui vont aux puits –, pour des ponts, des routes, des centres de soins, pour les frais scolaires (l’école publique est gratuite, mais seulement les sept premières années), pour les assurances maladie, pour rendre les projets écologiques et durables, pour planter de nouveaux arbres… Depuis 2023, 10000 petits plantons de caféiers sont distribués annuellement, car nos caféiers ont une septantaine d’années et ne produisent plus autant de fèves. Un autre projet financé par Claro a permis la construction de petits fours de cuisson plus écologiques. Ils nécessitent beaucoup moins de bois et produisent moins de fumée. Ce qui représente aussi un allègement du travail des femmes en charge de la cuisine.

Qu’en est-il du label bio?
Notre production est à 30% labellisé bio, mais la plupart de nos cultures sont naturelles. Les petits producteurs n’utilisent pas de pesticides ni d’engrais chimiques. La labellisation coûte cher, mais nous avons l’objectif d’atteindre 50% de certification. Claro ne nous achète que le café bio. La région de Kagera est la seule qui fait pousser du café robusta à 80%. Les autres 20% sont de l’espèce arabica. Le robusta est indigène et n’a traditionnellement pas de problème de maladies. Les paysans n’utilisent donc pas de pesticides. Si les changements climatiques génèrent actuellement davantage de pathogènes, les cultivateurs de café y répondent grâce à des solutions biologiques. Les cultures d’arabica hors commerce équitable utilisent des pesticides subventionnés par le gouvernement.

Quels sont les effets concrets du changement climatique dans votre région?
Les inondations sont plus nombreuses. Rien que la semaine dernière, des personnes sont mortes en Tanzanie. Dans la région de Kagera, des maisons et des plantations ont été détruites. Nous avons aussi plus de périodes de sécheresse. Et, par conséquent, plus de pathogènes et de maladies. D’ailleurs, l’Institut de recherche sur le café en Tanzanie développe une nouvelle variété résistante aux maladies et aux sécheresses. L’instabilité des conditions climatiques génère beaucoup de problèmes. Il manque de la pluie à certains moments de la croissance ou, au moment de la récolte, du soleil essentiel pour pouvoir étaler les fèves et les faire sécher. Car laissés dans une pièce en tas, les grains chauffent et sont brulés de l’intérieur, ce qui dégrade leur qualité.

Votre café est-il bu par les Tanzaniens?
Pas même 5% de notre café est bu en Tanzanie. Nous avons l’habitude de boire du thé. Cependant, nous vendons localement le café qui sort de notre usine de torréfaction. Mais, bien sûr, le Nescafé est aussi présent dans notre pays.

Quel est votre rôle en tant que responsable des exportations?
Un de mes rôles est de chercher plus de marchés, car nous pourrions exporter davantage. Le 90% de notre production arrive en Europe – dont 70% en Allemagne. Le reste est distribué au Japon, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Chine… Je m’occupe de la logistique du transport. Ce qui n’est pas simple. Les bateaux sont souvent retardés, car ça bouchonne au port. 
Nous devons nous adapter aux besoins des consommateurs et aux régulations. Par exemple, dès janvier 2025, pour exporter en Europe, nous devrons prouver que le café ne vient pas de terres déforestées depuis, au moins, novembre 2020.

Que signifie le commerce équitable pour vous?
Le fair trade, c’est comme une religion, une philosophie. Des groupes usent de ce label, mais ne se comportent pas avec l’éthique inhérente. Certains n’ont par exemple pas redistribué les primes sociales aux fermiers. A KCU, les producteurs sont très loyaux et fidèles, car la coopérative appartient à ses membres. La transparence est très importante. C’est leur argent. Ils discutent démocratiquement et décident comment le distribuer. Pour résumer, nos bénéfices économiques, sociaux et écologiques sont liés au commerce équitable. Max Havelaar, Claro et les Magasins du Monde permettent ce pont entre le Nord et le Sud.


Les Magasins du Monde, un pont vertueux

«Partout dans le monde, des personnes continuent d'être exploitées et des écosystèmes détruits au nom du seul profit. Pour faire changer les choses, les Magasins du Monde n'ont jamais baissé leurs exigences et souhaitent montrer que le modèle du commerce équitable fonctionne et permet de grandes avancées, dans les pays du Sud mais aussi ici, au Nord.» Le message de l’association romande des Magasins du Monde (MdM), à l’occasion de son 50e anniversaire, souligne l’importance de développer encore et toujours des liens de solidarité Nord-Sud, promouvant des conditions de travail dignes d’un bout à l’autre de la chaîne de production et de commercialisation. Depuis un demi-siècle, MdM tout comme l’un de ses fournisseurs principaux, Claro Fair Trade, ont à cœur de suivre la devise africaine: «Quand beaucoup de petites personnes font beaucoup de petites choses dans beaucoup de petits endroits, elles peuvent changer la face du monde.» 
Pour mémoire, de 1974 à 1990, les produits du commerce équitable étaient encore absents des grandes surfaces. Les Magasins du Monde ont ainsi joué un rôle essentiel dans le lancement du label Max Havelaar qui a permis d’élargir les débouchés commerciaux. Mais malheureusement, la multiplication des labels brouille parfois les pistes, selon Lara Baranzini, coordonnatrice et porte-parole de l’association romande des MdM: «Les acteurs de l’économie classique, y compris des grosses multinationales, peuvent en produire et les commercialiser, même si en parallèle, ils ont des activités qui ne s’apparentent pas au commerce équitable. Dans ce domaine, comme dans celui de l’environnement, certains labels sont du domaine de la communication et du marketing et ne sont vérifiés par aucune instance extérieure.» Dans les filières du «commerce équitable et solidaire», dont font partie les MdM, les bénéfices ne sont par exemple pas distribués à des actionnaires, mais utilisés pour des projets sociaux et environnementaux ou pour des campagnes de sensibilisation. Tout au long de ses 50 ans, de nombreuses campagnes ont été menées avec des ONG pour valoriser, dès les débuts, le café Ujamaa de Tanzanie, puis les sacs de courses en jute plutôt qu’en plastique (déjà en 1977), dénoncer l’huile de palme dans la fabrication de chocolat (1995) ou encore encourager la solidarité Nord-Sud et la justice climatique. Depuis quelques années, le commerce équitable local s’invite aussi dans les 35 MdM de Suisse romande qui fonctionnent grâce à plus de 700 bénévoles. Lara Baranzini conclut: «Si nous sommes encore là aujourd’hui, c’est grâce à l’immense travail de ces personnes qui se questionnent sur l’état du monde. Leur dévouement incarne les valeurs fondamentales du mouvement: un engagement politique fort, un partenariat basé sur le long terme et la solidarité, tant avec les producteurs du Sud qu'avec les générations futures.»


Pour davantage d’informations et pour le programme des activités à venir, aller sur: magasins-du-monde.ch/campagnes/autrement-depuis-50-ans

 

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