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Stop au système néocolonial de la dette!

Des activistes de Debt for Climate sont intervenus lors du dernier Forum économique mondial de Davos pour faire entendre leur voix, réclamant l’annulation de la dette des pays du Sud.
© Debt for Climate / Raimond Lueppken

Des activistes de Debt for Climate sont intervenus lors du dernier Forum économique mondial de Davos pour faire entendre leur voix, réclamant l’annulation de la dette des pays du Sud.

Le 27 février dernier, militants et syndicats ont réclamé l’annulation de la dette des pays du Sud global, qui alimente des mécanismes de dépendance entre Nord et Sud avec un impact environnemental désastreux

Le 27 février 1953, les gouvernements français, britannique et américain annulaient plus de la moitié de la dette allemande accumulée lors des deux guerres mondiales, celle-ci passant alors de 19,8 à 7,3 milliards d'euros. Un tel scénario aujourd’hui serait difficilement envisageable, mais pas impossible à en croire la campagne internationale Debt for Climate. Menée par des activistes du Sud global, elle demande l'annulation de l'énorme dette de ces pays, à l’image du Sri Lanka, de la Zambie, du Pakistan ou encore du Ghana, ensevelis sous des montagnes de dettes extérieures.

C’est ainsi que le 27 février dernier, 70 ans après l’annulation d’une partie de la dette allemande, des centaines de militants, notamment des syndicats, sont descendus dans les rues du monde entier pour faire valoir cette exigence auprès des pays du Nord. Afin de mieux comprendre ce mouvement et ses revendications, Alexandra Gavilano, scientifique de l’environnement et militante de Debt for Climate Suisse, et Juan Pablo Olsson, sociologue de l'environnement et cofondateur de Debt for Climate, répondent à nos questions.

Pourquoi demander l'annulation de la dette des pays du Sud?
Les pays du Sud ayant une importante dette extérieure sont souvent les plus touchés par les conséquences de la crise climatique, mais sont aussi ceux qui émettent historiquement très peu de gaz à effet de serre. Le Pakistan, par exemple, a d'abord connu une vague de chaleur mortelle en 2022, suivie d'inondations tout aussi meurtrières, dont les conséquences n'ont pas encore pu être entièrement surmontées. Ces dettes empêchent les pays concernés d'investir dans une quelconque adaptation ou transition écologique. Au contraire, ils doivent approuver de nouveaux projets de promotion des énergies fossiles pour couvrir leurs dettes qui ont souvent de graves répercussions sur les populations locales et leurs moyens de subsistance, et font obstacle à une société respectueuse du climat.
C'est pourquoi Debt for Climate demande l'annulation inconditionnelle de la dette de tous les pays concernés du Sud mondial. Ainsi, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ne pourront plus contraindre ces Etats à accorder de nouvelles concessions pour l'exploitation de matières premières fossiles sur leur territoire. Des milliards d'énergies fossiles pourraient alors rester dans le sol, ce qui permettrait de faire un premier pas important à l'échelle mondiale vers une protection efficace du climat, tout en mettant fin au système de dette construit sur des mécanismes néocoloniaux.

A quel point les syndicats des pays du Sud sont-ils impliqués dans ce mouvement?
Les syndicats se sont réunis avec des féministes, des scientifiques et les militants de la cause environnementale, car ils sont en première ligne pour lutter pour la justice sociale, elle-même directement liée au système de dette néocoloniale. Tous ensemble, ils ont réussi à faire naître ce mouvement, en Argentine, en Afrique du Sud, en Uruguay, au Chili, mais aussi dans les Caraïbes et ailleurs sur le continent africain.

Quel rôle la Suisse doit-elle jouer?
La Banque nationale suisse et la Commission fédérale des finances, qui nous représentent au FMI dans le groupe de vote et le conseil exécutif, ont un mandat clair de la part du monde politique: reconnaître les besoins des pays les plus pauvres et accorder du poids à la compatibilité sociale et environnementale du développement économique. Ce mandat n'est pas rempli! En Suisse, nous avons le privilège de pouvoir consulter en ligne le mandat du Parlement et de disposer d'une base démocratique nous permettant d'exiger le respect de la stratégie, non pas en mettant l'accent sur la maximisation des profits des multinationales locales, mais en nous engageant réellement pour le respect de la stratégie du FMI. Mais pour cela, nous avons besoin que la population suisse, et surtout les travailleurs, se joignent aux mouvements climatiques et s'engagent main dans la main pour un changement socialement juste et durable.

Quel est le lien entre la dette extérieure et la dette climatique?
Il est avant tout lié au fait que la dette climatique a surtout été causée dans le Nord et que les conséquences sont déjà ressenties par les pays du Sud.
Alors que l'on parle ici de développer les énergies renouvelables, il ne vient à l'idée de personne d'attirer l'attention sur les conséquences que cela aura pour les personnes et l'environnement dans le Sud. Prenons le cas actuel du Pérou, où le gouvernement fait preuve d'une extrême violence contre les manifestations généralement pacifistes de la population en grande partie indigène. Nous considérons que l'origine du problème est la destruction extrême de l'environnement dans le sud du Pérou par des multinationales comme Glencore, qui exploitent non seulement l'or, le cuivre, mais aussi le lithium pour la transition énergétique européenne. Tout comme la découverte de gisements de pétrole génère de nouvelles concessions de forage à la société française Perenco au mépris du peuple péruvien.
Le lien entre le système de la dette et les concessions de telles entreprises est complexe, mais il apparaît clairement une fois que l'on a identifié le système.

Dans quelle mesure l'endettement des pays du Sud est-il une forme de néocolonialisme?
Les grands acteurs du crédit et de la dette sont le FMI et la Banque mondiale. Ils affirment que leur objectif est de «soulager la pauvreté dans le monde», tout en gardant à l'esprit leurs bénéfices, et leur principale préoccupation est donc de s'assurer que les débiteurs remboursent leurs intérêts et leur crédit à temps et régulièrement.
La Banque mondiale ou le FMI imposent aux pays du Sud global ce que l'on appelle des «programmes d’ajustements structurels» afin d'aménager leurs économies de telle manière qu'ils ne dépensent pas trop d'argent pour des choses non rentables comme la santé ou l'éducation. Notons que 73 des 85 prêts accordés par le FMI pour soutenir la pandémie de Covid-19 étaient conditionnés à des coupes dans les services publics...
L'équilibre des pouvoirs est rompu depuis le début: la Banque mondiale et le FMI ont été créés après la Seconde Guerre mondiale et ont favorisé les riches et les puissants de l'époque, qui continuent à jouer ce rôle aujourd'hui. Un exemple en est que chaque vote à la Banque mondiale ou au FMI nécessite 85% des voix pour être adopté. Ainsi, si un pays détient 16% des voix, il dispose d'un droit de veto sur toutes les décisions, ce qui est le cas des Etats-Unis, et ce dans les deux institutions. Même si l'ensemble du Sud global s'unissait contre une politique du FMI et de la Banque mondiale, il ne pourrait pas l'arrêter.

Et les multinationales dans tout ça?
Leur implication dans le système de la dette est clairement établie. Sans annulation de la dette, il ne sera pas possible de mettre au pas les multinationales. Et pourquoi pas? Parce que tous les pays endettés doivent rembourser leur prétendue dette – sinon ils subiront la force brutale de la Banque mondiale et du FMI. Et comme les dettes sont généralement payées en devises étrangères, des investissements étrangers sont nécessaires. Et c'est là qu'interviennent Shell, BP, Exxon et tous les autres géants du genre, qui sévissent encore librement sur la planète.
Aucun pays endetté du Sud ne peut refuser les multinationales lorsqu'elles viennent en visite et brandissent leurs devises. Le Royaume-Uni tente-t-il de contrôler le comportement de Shell ou de BP, les Etats-Unis celui d'Exxon, l'Italie celui d'Eni ou la France celui de Total? Non, ces entreprises sont considérées comme indépendantes, et en tout cas trop puissantes pour être influencées.
Nous voyons même comment la Banque mondiale et le FMI poussent les pays à développer davantage les gisements de pétrole et de gaz afin qu'ils puissent rembourser leurs dettes, comme au Sénégal ou au Mozambique où le FMI a proposé l'extraction de charbon et de gaz comme solution à la crise de la dette et à la catastrophe climatique du pays.
En résumé, la dette financière agit comme un genou sur la nuque du Sud global. Elle est l'outil qui contraint ces pays à poursuivre le processus d'extraction et de destruction. Pour continuer à avoir accès aux crédits internationaux, les pays doivent prouver qu'ils sont de «bons emprunteurs» et qu'ils remboursent les crédits antérieurs. Pour ce faire, ils doivent accepter des contrats étrangers en devises fortes afin de pouvoir rembourser leurs crédits. Et le cycle se poursuit ainsi, avec en son sein l'exploitation toujours plus grande des ressources de la planète: les contrats d'extraction, les forages, l'exploitation minière, la déforestation, etc., qui sont payés en monnaie forte, monnaie qui servira à payer les dettes financières.


Plus d’infos sur debtforclimate.ch/fr et debtforclimate.org/fr

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