Terreur chez Franck Muller SA
Mardi 04 décembre 2007
Mobbing, injures et licenciements abusifs sont monnaie courante, dénonce Unia
Une centaine d'employés de Franck Muller SA ont démissioné ou ont été licenciés au cours de ces dernières années à Genève, estime Unia. Dépressions, burn-out et malaises se sont multipliés. Le syndicat s'inquiète pour l'avenir de l'entreprise.
«La gestion du personnel chez Franck Muller est tyrannique.» Olivier Amrein n'a pas de mots assez durs pour décrire la situation qui prévaut au sein de la société horlogère Franck Muller, à Genève. Depuis quelques années, le syndicaliste d'Unia et ses collègues ont vu passer des dizaines d'employés de la firme dans leurs bureaux. Plus de doute possible pour Unia; mobbing, injures, harcèlement moral et licenciements abusifs sont monnaie courante de la part de certains cadres dans la société rachetée en 2004 par le financier Vartan Sirmakes à l'horloger Franck Muller. «Beaucoup d'employés nous interrogent notamment sur la meilleure manière de démissionner et nous racontent les traitements qu'ils ont subis», explique Olivier Amrein. Une dizaine de cas ont été déposés ou le seront prochainement auprès du Tribunal de prud'hommes. Une condamnation pour harcèlement sexuel a en outre été prononcée à l'encontre de l'entreprise par ce même tribunal en juin 2006. Le jugement précisait que la direction avait failli à son obligation de faire cesser le harcèlement.
Une centaine de départs
«Depuis 3 ans environ, ce sont plus d'une centaine de travailleurs qui ont été licenciés ou ont décidé de démissionner en raison de cette situation intolérable», assure Olivier Amrein. Un chiffre à mettre en rapport avec le total de 600 personnes employées dans le canton Genève, dont environ 350 sur le site principal de Genthod. «Des licenciements intervenant à la fin de chaque mois, la terreur s'est installée chez les travailleurs», explique-t-il. «S'ils n'essuient pas sans broncher les offenses et n'obéissent pas immédiatement à tous les ordres, même les plus incohérents, beaucoup d'employés estiment qu'il y a de fortes chances qu'ils soient les prochains sur la liste», continue-t-il. Conséquences: dépressions, burn-out et malaises se sont multipliés, constate le syndicaliste.
«Jusqu'à 17 heures par jour»
Certains licenciements se révèlent clairement abusifs au regard de la convention collective de travail de la branche selon Unia. Olivier Amrein présente le cas d'un employé ayant été congédié pour ne pas avoir accepté davantage d'heures supplémentaires que celles prévues dans son contrat: «Lors des périodes précédant les salons d'exposition, j'acceptais d'effectuer 10 heures par jour, mais pas plus. Ils ont décidé de me renvoyer lorsque j'ai refusé de travailler le samedi de Pâques», témoigne Jorge Ferreira, ex-employé à l'assemblage des montres renvoyé en avril dernier. «Certains de mes collègues acceptaient jusqu'à 17 heures d'affilée», se souvient-il. Son cas sera prochainement présenté devant les Prud'hommes. Unia exige que l'abus des heures supplémentaires prenne fin, car elles seraient utilisées de manière excessive et trop fréquente chez Franck Muller SA. D'autant qu'il n'est pas rare, selon les témoignages recueillis par Unia, qu'elles ne soient pas payées au tarif prévu par la convention collective de travail, soit 25% de plus que le salaire horaire ordinaire. Mais aucun dialogue n'est possible avec la direction, regrette le syndicat. Un autre cas pour licenciement abusif est actuellement pendant devant les Prud'hommes: insultée dans son atelier, une jeune femme a été licenciée sur-le-champ, puis accusée de comportements agressifs récurrents.
Mobbing
Le mobbing a également pris des proportions alarmantes, selon Olivier Amrein et les quatre employés et ex-employés que L'Evénement syndical a rencontrés. «Si une personne ne plaît pas, n'accepte pas toutes les exigences de ses supérieurs, questionne des décisions prises, ou ose se plaindre, des pressions inacceptables sont souvent exercées sur elle», dénonce le permanent syndical. Railleries, isolement, mutation à un poste ne correspondant pas aux qualifications de l'employé et fausses accusations seraient les principales méthodes utilisées. Jacques Ogi, ex-responsable d'atelier à l'électroplastie, témoigne: «L'un de mes supérieurs hiérarchiques m'a insulté en juin. Je l'ai dénoncé aux ressources humaines. Suite à cela, on m'a dit que je n'avais plus le droit de me déplacer dans les ateliers et on m'a coupé ma connexion internet. Mon responsable a commencé à refuser de signer mes commandes de matériel. Puis on m'a donné des délais intenables pour exécuter des travaux qui nécessitaient un matériel particulier. J'ai craqué et ai déposé ma démission le 13 septembre.» L'ex-employé a été sérieusement atteint dans sa santé. Il déposera prochainement une plainte aux Prud'hommes.
Entreprise viable?
La cause d'un tel désastre? Pressé par les délais de livraison parfois extrêmement courts et les exigences de rentabilité élevées, l'horloger se serait petit à petit laissé aller à un mode de gestion autoritaire, probablement jugé plus efficace pour répondre à une demande parfois capricieuse, explique en substance Olivier Amrein. Le syndicaliste et de nombreux travailleurs s'interrogent aussi sur la nomination à des postes clefs de personnes entretenant des liens personnels avec la direction, appartenant parfois à la même famille, et dont le profil ne correspondrait pas nécessairement aux exigences professionnelles du poste. Le sentiment que ceux-ci «peuvent tout se permettre» est très fort chez certains membres du personnel. Olivier Amrein va même jusqu'à s'inquiéter pour l'avenir de l'entreprise: «Des conditions de travail de ce type nous amènent inévitablement à nous poser des questions sur la qualité des produits confectionnés par la société Franck Muller.»
Christophe Koessler
Le patron: «J'ai lu Germinal»
«Nous sommes exemplaires!» Le financier et propriétaire de l'entreprise Franck Muller SA, Vartan Sirmakes, ne reconnaît aucun des problèmes soulevés par le syndicat Unia. «J'ai lu Germinal et je connais la politique. Les directives patronales et syndicales concernant les conditions de travail sont strictes, mais nous les respectons.» L'employeur en veut pour preuve le nombre de plaintes déposées devant les tribunaux: «Il n'y a eu qu'environ 10 plaintes cette année aux Prud'hommes.» «Dans une grande entreprise, il y a toujours des dérapages entre les employés. Cela arrive partout.» Et de continuer: «Suite à votre article, j'organiserai des réunions dans les ateliers pour demander aux travailleurs s'ils sont contents de leurs conditions de travail. Je n'hésiterai pas à faire appel à des journalistes pour rapporter l'événement», annonce Vartan Sirmakes. Et si les travailleurs ont peur de s'exprimer librement? «On peut imaginer faire un vote à bulletin secret», répond le financier. «Nous sommes ouverts. Nous n'imposons pas le port d'un vêtement particulier. Les gens doivent se sentir heureux quand ils viennent le matin.» Vartan Sirmarkes affirme ne pas s'opposer non plus à la constitution d'une commission du personnel indépendante, contrairement aux affirmations d'Unia: «On ne peut pas les en empêcher...»
CK
«La gestion du personnel chez Franck Muller est tyrannique.» Olivier Amrein n'a pas de mots assez durs pour décrire la situation qui prévaut au sein de la société horlogère Franck Muller, à Genève. Depuis quelques années, le syndicaliste d'Unia et ses collègues ont vu passer des dizaines d'employés de la firme dans leurs bureaux. Plus de doute possible pour Unia; mobbing, injures, harcèlement moral et licenciements abusifs sont monnaie courante de la part de certains cadres dans la société rachetée en 2004 par le financier Vartan Sirmakes à l'horloger Franck Muller. «Beaucoup d'employés nous interrogent notamment sur la meilleure manière de démissionner et nous racontent les traitements qu'ils ont subis», explique Olivier Amrein. Une dizaine de cas ont été déposés ou le seront prochainement auprès du Tribunal de prud'hommes. Une condamnation pour harcèlement sexuel a en outre été prononcée à l'encontre de l'entreprise par ce même tribunal en juin 2006. Le jugement précisait que la direction avait failli à son obligation de faire cesser le harcèlement.
Une centaine de départs
«Depuis 3 ans environ, ce sont plus d'une centaine de travailleurs qui ont été licenciés ou ont décidé de démissionner en raison de cette situation intolérable», assure Olivier Amrein. Un chiffre à mettre en rapport avec le total de 600 personnes employées dans le canton Genève, dont environ 350 sur le site principal de Genthod. «Des licenciements intervenant à la fin de chaque mois, la terreur s'est installée chez les travailleurs», explique-t-il. «S'ils n'essuient pas sans broncher les offenses et n'obéissent pas immédiatement à tous les ordres, même les plus incohérents, beaucoup d'employés estiment qu'il y a de fortes chances qu'ils soient les prochains sur la liste», continue-t-il. Conséquences: dépressions, burn-out et malaises se sont multipliés, constate le syndicaliste.
«Jusqu'à 17 heures par jour»
Certains licenciements se révèlent clairement abusifs au regard de la convention collective de travail de la branche selon Unia. Olivier Amrein présente le cas d'un employé ayant été congédié pour ne pas avoir accepté davantage d'heures supplémentaires que celles prévues dans son contrat: «Lors des périodes précédant les salons d'exposition, j'acceptais d'effectuer 10 heures par jour, mais pas plus. Ils ont décidé de me renvoyer lorsque j'ai refusé de travailler le samedi de Pâques», témoigne Jorge Ferreira, ex-employé à l'assemblage des montres renvoyé en avril dernier. «Certains de mes collègues acceptaient jusqu'à 17 heures d'affilée», se souvient-il. Son cas sera prochainement présenté devant les Prud'hommes. Unia exige que l'abus des heures supplémentaires prenne fin, car elles seraient utilisées de manière excessive et trop fréquente chez Franck Muller SA. D'autant qu'il n'est pas rare, selon les témoignages recueillis par Unia, qu'elles ne soient pas payées au tarif prévu par la convention collective de travail, soit 25% de plus que le salaire horaire ordinaire. Mais aucun dialogue n'est possible avec la direction, regrette le syndicat. Un autre cas pour licenciement abusif est actuellement pendant devant les Prud'hommes: insultée dans son atelier, une jeune femme a été licenciée sur-le-champ, puis accusée de comportements agressifs récurrents.
Mobbing
Le mobbing a également pris des proportions alarmantes, selon Olivier Amrein et les quatre employés et ex-employés que L'Evénement syndical a rencontrés. «Si une personne ne plaît pas, n'accepte pas toutes les exigences de ses supérieurs, questionne des décisions prises, ou ose se plaindre, des pressions inacceptables sont souvent exercées sur elle», dénonce le permanent syndical. Railleries, isolement, mutation à un poste ne correspondant pas aux qualifications de l'employé et fausses accusations seraient les principales méthodes utilisées. Jacques Ogi, ex-responsable d'atelier à l'électroplastie, témoigne: «L'un de mes supérieurs hiérarchiques m'a insulté en juin. Je l'ai dénoncé aux ressources humaines. Suite à cela, on m'a dit que je n'avais plus le droit de me déplacer dans les ateliers et on m'a coupé ma connexion internet. Mon responsable a commencé à refuser de signer mes commandes de matériel. Puis on m'a donné des délais intenables pour exécuter des travaux qui nécessitaient un matériel particulier. J'ai craqué et ai déposé ma démission le 13 septembre.» L'ex-employé a été sérieusement atteint dans sa santé. Il déposera prochainement une plainte aux Prud'hommes.
Entreprise viable?
La cause d'un tel désastre? Pressé par les délais de livraison parfois extrêmement courts et les exigences de rentabilité élevées, l'horloger se serait petit à petit laissé aller à un mode de gestion autoritaire, probablement jugé plus efficace pour répondre à une demande parfois capricieuse, explique en substance Olivier Amrein. Le syndicaliste et de nombreux travailleurs s'interrogent aussi sur la nomination à des postes clefs de personnes entretenant des liens personnels avec la direction, appartenant parfois à la même famille, et dont le profil ne correspondrait pas nécessairement aux exigences professionnelles du poste. Le sentiment que ceux-ci «peuvent tout se permettre» est très fort chez certains membres du personnel. Olivier Amrein va même jusqu'à s'inquiéter pour l'avenir de l'entreprise: «Des conditions de travail de ce type nous amènent inévitablement à nous poser des questions sur la qualité des produits confectionnés par la société Franck Muller.»
Christophe Koessler
Le patron: «J'ai lu Germinal»
«Nous sommes exemplaires!» Le financier et propriétaire de l'entreprise Franck Muller SA, Vartan Sirmakes, ne reconnaît aucun des problèmes soulevés par le syndicat Unia. «J'ai lu Germinal et je connais la politique. Les directives patronales et syndicales concernant les conditions de travail sont strictes, mais nous les respectons.» L'employeur en veut pour preuve le nombre de plaintes déposées devant les tribunaux: «Il n'y a eu qu'environ 10 plaintes cette année aux Prud'hommes.» «Dans une grande entreprise, il y a toujours des dérapages entre les employés. Cela arrive partout.» Et de continuer: «Suite à votre article, j'organiserai des réunions dans les ateliers pour demander aux travailleurs s'ils sont contents de leurs conditions de travail. Je n'hésiterai pas à faire appel à des journalistes pour rapporter l'événement», annonce Vartan Sirmakes. Et si les travailleurs ont peur de s'exprimer librement? «On peut imaginer faire un vote à bulletin secret», répond le financier. «Nous sommes ouverts. Nous n'imposons pas le port d'un vêtement particulier. Les gens doivent se sentir heureux quand ils viennent le matin.» Vartan Sirmarkes affirme ne pas s'opposer non plus à la constitution d'une commission du personnel indépendante, contrairement aux affirmations d'Unia: «On ne peut pas les en empêcher...»
CK