«Le plus dur est l’impression d’avoir été viré comme un malpropre, pour moi c’est le plus terrible», nous confiait fin février Christian devant la Tuilerie de Bardonnex. Employé depuis 1984 dans l’usine genevoise, ce contrôleur qualité a été licencié comme ses collègues fin 2020. «S’il n’y avait pas de boulot, de commandes, nous pourrions comprendre…» Mais non, les commandes ne manquaient pas. Le Canton de Genève était même prêt à garantir la production pour les deux prochaines années. Mais le groupe Gasser Ceramic, propriétaire de la tuilerie depuis 2009, a préféré, le carnet de clients en poche, enterrer une aventure industrielle vieille de près de 75 ans. Les tuiles habillant les toits genevois seront désormais produites à Rapperswil (BE). Avant peut-être d’être façonnées en Allemagne, en Pologne ou plus à l’est encore.
C’est toujours la même histoire. Des usines pourtant rentables sont fermées. Pour maintenir de hauts profits aux actionnaires, les managers concentrent ou délocalisent. Ces dernières années, en Suisse romande, nous avons perdu la raffinerie de Collombey, la verrerie de Moutier et la fonderie de Choindez. Saia-Burgess et Leclanché Capacitors ont quitté, respectivement, Morat et Yverdon. Et le secteur des hautes technologies n’est pas épargné. Citons, par exemple, la délocalisation de Symetis à Ecublens et, aujourd’hui, de Johnson & Johnson à Neuchâtel et Marin. A chaque fois, Unia tente de limiter les conséquences de ces licenciements collectifs, qui provoquent, outre la destruction d’emplois, une perte de savoir-faire et un véritable gâchis humain, si bien chanté par Bernard Lavilliers dans Les Mains d’or: «Je sers plus à rien, moi, y'a plus rien à faire […] J'voudrais travailler encore, travailler encore / Forger l'acier rouge avec mes mains d'or».
Dans le cas de la Tuilerie de Bardonnex, ce qui est rageant, c’est que tout est en place pour poursuivre l’activité. L’outil de production fonctionne, les tuiliers sont prêts à travailler, une coopérative ouvrière a été constituée et l’Etat offre sa garantie. Seul problème, le propriétaire du site, Argramat, une société spécialisée dans l’immobilier, a d’autres projets et s’y refuse. Les travailleurs et les syndicalistes de Syna et d’Unia invitent les autorités à mettre la main dans le cambouis et à procéder à une réquisition civile de l’usine. Au nom de l’intérêt général supérieur au droit à la propriété privée des moyens de production et à une loi du marché toute relative. Dans un monde idéal, fermer une usine devrait être considéré comme un délit. Dans le monde d’aujourd’hui, cela n’en reste pas moins un formidable gâchis humain, économique et patrimonial. Et, à l’heure où la catastrophe climatique nous oblige à privilégier les circuits courts, un attentat à l’encontre de l’environnement.