Face à la forteresse européenne et aux durcissements des lois migratoires, la légitimité des textes se doit d’être questionnée. Et c’est ce qui arrive de plus en plus, puisque le «délit de solidarité» semble être devenu l’ultime rempart face aux injustices politiques migratoires européennes. Les exemples ne manquent pas. Dernier cas médiatisé en Suisse romande: l’histoire de ce pasteur du canton de Neuchâtel accusé d’avoir enfreint l’article 116 de la Loi sur les étrangers. Son «crime»? Avoir offert l’hébergement et de la nourriture à un requérant d’asile débouté, ou plutôt un être humain sans toit et ayant faim. Et il n’est pas le seul à avoir été interpellé par la police pour avoir fait preuve de charité ou tout simplement d’entraide envers son prochain. Au Tessin, en 2017, Lisa Bosia Mirra, députée au Grand Conseil, était condamnée à verser 8800 francs, avec sursis, et 1000 francs d’amende pour avoir facilité l’entrée en Suisse de jeunes gens bloqués à la frontière italo-suisse. Dans le canton de Vaud, plusieurs perquisitions ont eu lieu chez des parrains et des marraines de requérants déboutés.
Une chasse aux sorcières en somme, qui ne touche pas que la Suisse. En France, les interpellations ne manquent pas. L’une des dernières situations ayant fait grand bruit: les «trois de Briançon» qui ont symboliquement passé la frontière franco-italienne au mois d’avril avec des migrants, en réaction à l’action de blocage le jour précédent d’un groupuscule d’extrême droite. Leur procès a été repoussé en novembre. Reste qu’une avancée considérable a eu lieu cet été, à la suite de la dénonciation d’associations de défense des droits humains ayant demandé l’abolition du «délit de solidarité» au Conseil constitutionnel… qui leur a finalement donné raison, du moins en partie. L’instance a ainsi estimé que l’aide désintéressée aux migrants en situation irrégulière ne pouvait pas être poursuivie, en vertu du principe de Fraternité. Mais l’aide à l’entrée irrégulière, qui concerne les trois militants de Briançon, reste toutefois punissable…
Parler de «délit de solidarité» est en soi paradoxal. Comment peut-on allier deux mots de sens aussi contradictoire? Comment en est-on arrivé à estimer que la solidarité pouvait être un délit? Alors que le vivant – humains, animaux, végétaux – est fondé sur cette qualité intrinsèque. Pour ceux qui en douteraient, le livre L’entraide, l’autre loi de la jungle, écrit par deux scientifiques, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, démontre avec de multiples exemples à l’appui que l’humain est foncièrement coopératif. Ce sont les systèmes, la machine néolibérale entre autres, qui pervertissent son essence solidaire. Un premier pas, en vertu du principe d’humanité, serait de rayer enfin l’article 116 de la Loi sur les étrangers qui criminalise des humains venant en aide à d’autres humains.