Un second Hirak en perspective
Réfugié en Suisse, le syndicaliste algérien Raouf Mellal s’attend à un nouveau soulèvement populaire dans son pays
Il y a quatre ans, le mouvement Hirak avait suscité un vaste élan d’espoir en Algérie. Pour mémoire, le 22 février 2019 et durant plusieurs mois, des millions d’Algériens avaient manifesté pacifiquement contre un cinquième mandat du président Bouteflika et, plus généralement, en faveur d’un changement radical du système politique et social. L’élection d’Abdelmadjid Tebboune avait toutefois refermé cette parenthèse en ouvrant une brutale reprise en main de la société. Aujourd’hui, alors que le pays s’enfonce dans la crise sociale, le régime tente de trouver une échappatoire en traquant les derniers contestataires. «On voit désormais se former des queues pour acheter de la semoule et de l’huile. Cela risque d’exploser à tout moment et d’être très violent», prévient Raouf Mellal.
Ce syndicaliste algérien est réfugié en Suisse depuis 2020. Cadre juridique au sein de Sonelgaz, le groupe énergétique public, il aurait pu couler des jours tranquilles dans son pays s’il n’avait attrapé le virus de la justice sociale. En 2013, il participe à la création du Syndicat national autonome des travailleurs de l'électricité et du gaz (Snateg), dont il devient président. «Le pouvoir n’a pas apprécié notre volonté de former un mouvement syndical indépendant et nous avons été violemment réprimés», raconte le juriste, qui est alors licencié. «Grâce à la solidarité entre les travailleurs, j’ai pu tout de même gagner ma vie et continuer la lutte.»
Raouf Mellal s’exprime d’une voix posée, on sent qu’il ne manque pas de détermination ni de courage.
Accusé d’espionnage...
En 2017, le Snateg organise des grèves dans le groupe pour des augmentations salariales. «Quelque 1300 travailleurs sont licenciés en trois jours. Ils ont été depuis réintégrés par petits groupes, à l’exception d’une dizaine de syndicalistes.» Lui vit un calvaire, les gendarmes frappent à sa porte presque chaque jour. «J’étais convoqué pour discuter avec un colonel ou un commissaire et on me demandait à chaque fois si je travaillais pour un gouvernement étranger ou si j’étais partie prenante d’un complot.» N’en pouvant plus, avec sa compagne et son jeune fils, il quitte sa ville natale de Guelma, dans l’est de l’Algérie, pour rejoindre la capitale. Là, en changeant tous les six mois de domicile et en vivant dans une quasi-clandestinité, il retrouve un peu la paix.
Il devient président de la Confédération syndicale des forces productives (Cosyfop), qui se retrouve derrière les quatre grèves générales lancées pendant le Hirak. Celle du 10 mars 2019 verra tout le pays à l’arrêt, poussant Bouteflika vers la sortie. A l’automne, la dernière tentative de grève générale en faveur d’élections transparentes ne prend pas et Tebboune devient président le 19 décembre.
Raouf Mellal apprend qu’un mandat d’arrêt est lancé contre lui. Le militant a déjà été arrêté des dizaines de fois, mais a toujours été libéré au bout de quelques jours sous la pression internationale. Le syndicaliste est venu à plusieurs reprises à Genève déposer des plaintes auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT) et il est en contact avec les fédérations syndicales internationales. Cette fois, on l’accuse d’espionnage et il comprend qu’il risque gros. Il s’enfuit en Tunisie et s’envole de là vers notre pays au début 2020.
Il atterrit dans un centre d’enregistrement à Zurich et traverse une période difficile jusqu’à ce qu’il obtienne le droit d’asile et puisse faire venir sa famille en Suisse. Il vit aujourd’hui au bout du lac.
Genève, ville de cœur
«Genève est une ville de cœur. Alors que je me sentais un peu étranger à Alger, la diversité, la tolérance et le vivre-ensemble que l’on rencontre ici ne m’ont jamais fait ressentir cela.» Depuis son arrivée dans notre pays, Raouf Mellal est devenu papa d’une fillette et son garçon est aujourd’hui âgé de 8 ans. «Il s’intègre très bien, c’est devenu un vrai Suisse», s’amuse-t-il. Lui-même ne ménage pas ses efforts pour s’intégrer, il suit des cours de français à l’université pour obtenir une maîtrise de traduction.
Ce qui lui tient également à cœur, c’est la poursuite de son combat. «A Genève, je peux travailler avec les organisations internationales. Nous avons besoin de faire entendre notre voix. En Algérie, en raison de la répression, il n’est pas possible de s’exprimer. Le Code pénal a été réformé et toute personne qui critique le gouvernement peut être considérée comme un terroriste.» Il cite le cas du syndicaliste Amine Felih récemment condamné à une année de prison ferme pour une publication sur les réseaux sociaux. «Il n’a même pas critiqué le président ou l’armée, il s’est contenté de déplorer l’augmentation des prix.»
Retrait incompréhensible
Il y a aussi ces amendements concernant les droits syndicaux. «Les syndicats passent sous la tutelle du Ministère du travail et risquent la dissolution.» Dans ces conditions, Raouf Mellal et ses camarades n’ont pas compris que l’Algérie soit retirée de la liste des pays examinés par la Conférence internationale du travail.
«Nous nous étions mis d’accord avec les syndicalistes des pays arabes pour que l’Algérie continue de figurer sur la liste, mais la Confédération syndicale internationale a choisi de la retirer. Nous n’avons pas reçu d’explications, c’est l’incompréhension. La situation est pourtant devenue plus critique. Cela ne peut qu’encourager l’autoritarisme du gouvernement.»
Raouf Mellal et ses camarades demandent à l’OIT de faire pression pour que la Cosyfop soit reconnue comme une organisation légale. Il y a aujourd’hui des scellés sur les portes de ses bureaux, ses comptes bancaires sont gelés et ses membres forcés de militer dans la clandestinité.
Raouf Mellal s’engage encore pour le rassemblement des forces d’opposition. «Durant le Hirak, nous étions éparpillés politiquement. Il faut que nous trouvions un consensus et, pourquoi pas, aller vers un second Hirak. L’objectif est d’obtenir un Etat démocratique et des libertés fondamentales.»