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Un tableau paysan loin d’être bucolique

Exploitation agricole avec deux vaches et un drapeau suisse.
© Olivier Vogelsang

Les conditions de travail dans l’agriculture en Suisse sont des plus dures. Outre la pénibilité et les salaires de misère des ouvriers agricoles, les petits paysans souffrent également, n’arrivant pas à vendre leurs produits à leur juste valeur, à l’image du lait dont le prix s’effondre. Depuis 2000, des centaines d’exploitations agricoles disparaissent chaque année.

La Plateforme pour une agriculture socialement durable publie un livre sur les conditions de travail indignes de la main-d’œuvre agricole en Suisse

L’ouvrage Travailleurs et travailleuses agricoles à la peine est publié par la Plateforme pour une agriculture socialement durable et édité par le Cetim. Ce livre se fonde sur l’étude comparative de deux historiens, Gilles Bourquin et Jan Chiarelli, sur neuf cantons, couvrant la période de 2000 à 2018. Bilingue (français, allemand), il a pour objectif de mettre en lumière les rudes conditions de travail des ouvriers et des ouvrières agricoles, majoritairement issus de l’immigration, dont quelque 8000 seraient sans papiers. Il montre aussi les problèmes économiques et sociaux des exploitants agricoles et prouve, une fois de plus, que celles et ceux qui nous nourrissent ne sont pas reconnus à leur juste valeur. «Il reflète une réalité archaïque, indigne de toutes les personnes travaillant jour après jour pour produire notre alimentation et le mépris du dur labeur fourni», indiquent la Plateforme pour une agriculture socialement durable et le syndicat Uniterre dans le cadre de leur conférence de presse de sortie du livre tenue le 15 juin.

Sombre tableau

Le salaire moyen dans le secteur primaire ne représente que la moitié de celui des secteurs secondaire et tertiaire: 3251 francs brut pour plus de 53 heures de travail hebdomadaires en moyenne (dont est soustrait 990 francs environ pour les frais de logement et de repas). Les ouvriers agricoles ne sont toujours pas soumis à la Loi sur le travail. Chaque canton a son propre contrat-type de travail (CTT). En Valais, une convention collective de travail (CCT) rend ces dispositions obligatoires. Les disparités cantonales sont grandes: la durée de l’activité va de 45 heures à Genève à 66 heures à Glaris. La fourchette des salaires horaires de 11,85 à 17,50 francs. Les heures supplémentaires sont possibles sans demande d’autorisation ni limite en cas de nécessité. De surcroît, la majorité des employés n’a droit qu’à un jour et demi de congé par semaine.

Le tableau paysan, du côté employeur, est aussi loin d’être bucolique. Des centaines d’exploitations agricoles disparaissent chaque année (trois par jour depuis 2000), majoritairement des petites fermes. Il y a donc une concentration des terres. Le prix du lait s’effondre. Les paysans s’endettent. Les burn-out les frappent (le double par rapport au reste de la population selon une étude récente). Et les suicides sont en augmentation: 60 en 2009, 153 en 2015. En moins de vingt ans, ce sont plus de 30000 postes à avoir été biffés, soit un quart de la population active dans le secteur. Ce processus s’accompagne d’une augmentation du personnel étranger, pour compenser la diminution de la main-d’œuvre familiale.

La grande distribution en maître

Pourtant, 3,5 milliards de francs sont versés chaque année par la Confédération au secteur (quatre fois plus que dans les autres pays européens). Mais seule la moitié de ce montant profite réellement aux acteurs de la paysannerie suisse, selon l’étude, «l’autre moitié étant accaparée par les grandes chaînes de transformation et de distribution». Soit majoritairement Coop et Migros qui exercent une pression croissante sur les prix. «Les paysans sont asservis aux contraintes de la grande distribution et aux crédits hypothécaires. Donc, indirectement, les banques sont aussi subventionnées», dénonce Philippe Sauvin, secrétaire de la Plateforme pour une agriculture socialement durable. Cette dernière souligne dans son livre: «Les grandes enseignes contribuent largement à entretenir la situation précaire des salariés agricoles! En imposant des prix aux producteurs qui dépendent d’eux pour l’écoulement de leurs produits, mais qui leur permettent de maintenir des bénéfices confortables, les grandes chaînes de distribution ont une responsabilité majeure dans l’évolution de la paysannerie suisse.» Une diminution de leurs profits sur les produits agricoles offrirait donc un nouveau souffle au secteur. La Plateforme pour une agriculture socialement durable revendique aussi, depuis sa création en 2003, un CTT national contraignant ou une CCT en faveur des quelque 30000 ouvrières et ouvriers agricoles en Suisse, ainsi que l’application de la Loi sur le travail. «Les syndicats ont un rôle très important à jouer pour amener à une prise de conscience de cette réalité, estime Philippe Sauvin. C’est aussi une question de volonté politique. Jusqu’à présent les paysans sont otages des politiques néolibérales de libre-échange et des accords internationaux. Concrètement, rien n’est fait pour favoriser la souveraineté alimentaire.» La Plateforme pour une agriculture socialement durable en appelle ainsi, dans son livre, à profiter «de la percée politique verte à l’échelle nationale pour faire valoir l’essence même du développement durable dans ses trois dimensions: économique, écologique et, surtout, sociale. Une solidarité avec les travailleurs et les travailleuses agricoles n’a jamais été aussi actuelle.»

Couverture du livre.

Travailleurs et travailleuses agricoles à la peine, Landarbeiter und Landarbeiterinnen in Not, Plateforme pour une agriculture socialement durable, Editions du Cetim, 2020, 80 pages.

Livre en libre accès sur le site de la Plateforme pour une agriculture socialement durable dont font partie plusieurs associations et des syndicats (Uniterre, Unia, Sit, L’autre syndicat): agrisodu.ch

Ou à commander sur: cetim.ch

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