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«Une deuxième Nakba dans la bande de Gaza»

Dans «Notes on displacement», Khaled Jarrar a accompagné une famille palestinienne dans leur fuite éprouvante de la Syrie à l’Allemagne.
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Dans «Notes on displacement», Khaled Jarrar a accompagné une famille palestinienne dans leur fuite éprouvante de la Syrie à l’Allemagne. 

Au cœur d’une actualité dramatique, la 12e édition des Rencontres cinématographiques «Palestine Filmer c’est exister» se tiendra à Genève du 29 novembre au 3 décembre

Au moment de la mise en page du programme de la 12e édition des Rencontres cinématographiques «Palestine Filmer c’est exister» (PFC'E) à Genève, le comité d’organisation s’est retrouvé, plus que jamais, face à une actualité dramatique. Après l’attaque terroriste sanglante du Hamas, les bombes du gouvernement israélien frappent la population civile gazaouie. Dans un communiqué, le comité du PFC’E écrit: «Israël provoque une deuxième Nakba dans la bande de Gaza: bombardements continuels rasant des quartiers entiers du nord au sud, déportation des habitantes et des habitants, bombardements des convois de déplacés, blocus total avec coupure de l'eau et de tout approvisionnement...»

«L’histoire se répète, mais avec une rare violence», résume l’attachée de presse, Vena Ward.

Le festival rappelle que, «depuis 75 ans, le peuple palestinien fait face de manière héroïque à la colonisation et à l'occupation de sa terre, et aux attaques d’un régime désormais ouvertement raciste, nationaliste et ne cachant plus sa volonté d'éliminer la population palestinienne». Et d’asséner: «Ce qui se passe à Gaza fait craindre le pire.»

Ce printemps, comme une prémonition, le comité d’organisation choisissait pour thème central: «Il y a 75 ans, la Nakba: les jeunes Palestiniennes et Palestiniens n’oublieront jamais.» En arabe, nakba signifie «catastrophe» ou «désastre». Elle fait référence à l’exode forcé et à l’expulsion de plus de 700000 Palestiniennes et Palestiniens pendant la guerre israélo-arabe de 1948 à 1949. Au-delà de la mémoire, le comité souligne que «la moitié des films sélectionnés a été réalisée par des jeunes cinéastes qui n'hésitent pas à questionner leur société, les injonctions politiques du “bon résistant”, à oser dire tout haut ce qu'on avait l'habitude de garder pour soi, à exprimer l'amertume face à l'impossibilité de vivre dans “un lieu sans peur et sans frontières”».

Journée internationale de solidarité

Lancé en 2012 par le Collectif Urgence Palestine Genève pour marquer les 10 ans des Missions civiles en Palestine, le PFC’E a été le premier festival francophone entièrement dédié au cinéma palestinien. Le prochain 29 novembre, lors de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, la soirée d’ouverture aura lieu au cinéma Spoutnik à Genève, dès 19h. Quatre cinéastes seront présents: Mais Darwazah, Khaled Jarrar, Mohanad Yaqubi et Saleh Saadi. Cette rencontre sera suivie à 20h30 de la projection du film de la réalisatrice Mais Darwazah My love awaits me by the sea. Il sera présenté au même moment au cinéma Oblò à Lausanne (20h30) et au cinéma ABC à La Chaux-de-Fonds le 3 décembre. Ce même jour, une table ronde avec les quatre cinéastes, animée par le réalisateur suisse Nicolas Wadimoff, interrogera les difficultés du cinéma palestinien, des tournages très difficiles à cause de l'occupation et de la colonisation israélienne au manque de moyens financiers, en passant par l'exil – vu comme un choix ou une nécessité? – des cinéastes, et bien sûr de la cruelle actualité.


«Un cinéma vivant et diversifié, malgré l'occupation»

Contactée par téléphone le 7 novembre, Céline Brun, membre de la commission de programmation des Rencontres cinématographiques, fait le point sur la situation et dévoile quelques films au programme de «Palestine Filmer c’est exister».

Comment les Rencontres se positionnent-elles face à la tragédie actuelle?
L’importance de donner la parole aux réalisatrices et aux réalisateurs palestiniens est encore plus essentielle. Lors de cette édition, plusieurs d’entre eux seront présents ou contactés par Zoom. Un de nos invités se trouve en Israël en ce moment, près de Haïfa, l’une habite au Caire et les autres travaillent à l’étranger actuellement. Leur présence et leurs films permettront d'échanger avec le public et de mieux comprendre la situation actuelle. Les associations de défense des droits humains et les représentants des agences onusiennes n'hésitent pas à parler d'une deuxième Nakba ou même de génocide à Gaza. Plus de 10000 personnes ont été tuées par les bombardements massifs israéliens et plus de 100000 déplacées.
La mémoire de la Nakba et la question de la transmission traversent notamment le documentaire intitulé Sarura de Nicola Zambelli – l’un des rares films non palestiniens à être présentés. Il se déroule aux portes du désert du Néguev où de jeunes Palestiniens tentent de récupérer, depuis une quinzaine d’années, les terres volées à leurs familles par les colons israéliens. Par des actions non violentes, «les jeunes du Sumud» protègent les habitants et restaurent les anciennes grottes du village de Sarura. Un des jeunes témoignera par visioconférence après la projection, ainsi que Budour Hassan d'Amnesty International. Quant au documentaire R21 AKA Restoring Solidarity de Mohanad Yaqubi, il nous fait voyager dans le monde du cinéma engagé des années 1960 aux années 1980.

La problématique migratoire est également présente…
Dans Notes on displacement, Khaled Jarrar a accompagné une famille palestinienne dans leur fuite éprouvante de la Syrie à l’Allemagne. Loin des images stéréotypées et déshumanisées de bateaux surchargés, nous devenons, grâce au réalisateur, un membre de la famille de Nadira, réfugiée depuis l'âge de 12 ans à Yarmouk à la suite d’un premier exil lors de la Nakba (1948), qui rêve d’une existence en sécurité.

Depuis 2012, le festival a proposé 229 films et invité près d'une cinquantaine de cinéastes palestiniens. Comment expliquer la richesse de ce cinéma, alors que la population palestinienne est estimée à 10 millions de personnes dont une majorité vivent à l’étranger?
Les réalisatrices et les réalisateurs palestiniens, avec très peu de moyens et tant de difficultés notamment pour voyager en Palestine même (checkpoints, mur d'apartheid, blocus de Gaza), et à l'étranger, ont un cinéma vivant et diversifié, très riche dans ses formes et ses écritures. Nous suivons de nombreux professionnels formés en Palestine, issus de l'Ecole de cinéma Dar Al-Kalima University à Bethléem ou de la formation donnée par l'association Shashat Women Cinema. Toutes et tous veulent partager leur vision, leur regard sur la Palestine, son peuple et son histoire, malgré les nombreux obstacles.
Nous visionnons une soixantaine de films par an, pour en programmer une vingtaine par édition. Dans cette édition, des documentaires, des films expérimentaux et des fictions seront présentés. Le film d’ouverture, My love awaits me by the sea, de la cinéaste Mais Darwazah, est très poétique, tout comme The Curve du cinéaste Rifqi Assaf, malheureusement décédé, mais à qui nous rendrons hommage lors d'une visioconférence avec le coscénariste du film. Il y a aussi dans notre programmation des films que l'on peut qualifier de «grand public». Par exemple, A House in Jerusalem, de Muayad Alayan, nous invite dans le passé d’une maison, pendant le deuil d’une épouse et d’une mère, où les drames ressurgissent. A Gaza Weekend de Basil Khalil est, par contre, une comédie ironique. L'actualité dramatique nous a fait réfléchir à sa diffusion, mais nous avons décidé de le maintenir pour montrer que Gaza est vivante. Les Gazaouis vivent depuis seize ans sous blocus. Ils et elles se relèveront, malgré les horreurs vécues aujourd'hui, comme en témoignera le réalisateur qui sera avec nous par visioconférence.


Programme complet sur palestine-fce.ch

Mots de cinéastes*

Mais Darwazah: «Je voulais mieux comprendre l’histoire d’amour compliquée que j’ai avec mon pays. Je ne voulais pas tomber amoureuse de l’endroit que j’ai cherché toute ma vie et qui m’est interdit. Je ne voulais pas non plus découvrir l’occupation et les atrocités subies par les Palestiniens, et repartir avec un sentiment d’inutilité et d’impuissance. Le livre de Hasan Hourani, Hasan is Everywhere, a tout changé. Sa capacité à créer un monde utopique, bien qu’il ait vécu sous l’occupation, m’a stupéfiée. Avec ses mots qui disent qu’il y aura toujours un endroit plus beau et plus serein, il m’a donné la force de visiter la Palestine.»

Khaled Jarrar: «Ma grand-mère Shafiqa a été contrainte de quitter sa maison à Haïfa, son arbre de jasmin, sa tasse de thé sur son balcon et sa vue sur la mer. J’ai hérité de ses souvenirs, à la fois magnifiques et douloureux. Ils me pourchassaient dans mes rêves comme des fantômes qui n’avaient pas l’intention de partir. J’ai essayé de m’échapper par la géographie, par l’émotion, par la psychologie, mais laisser le passé derrière moi s’est avéré impossible, quelque chose me ramenait toujours en arrière dans le temps.»

Mohanad Yaqubi: «A Londres où j’étudiais, la professeure m’a demandé si je connaissais le cinéma révolutionnaire palestinien. Estomaqué par ce qu’elle commença à raconter, moi, futur cinéaste palestinien, venu en Europe pour apprendre le métier et l’histoire du cinéma, je découvrais ma propre histoire et un héritage dont je n’étais absolument pas conscient.»

Basil Khalil: «Je pense qu’avec la comédie, on peut toucher des gens qui, autrement, ne voudraient pas entendre des histoires venues d’un endroit affecté par des problèmes aussi graves.»

Saleh Saadi: «L’homme palestinien a l’habitude de ne pas être connecté avec ses sentiments, de ne pas en parler. Juste d’aller de l’avant. Je suis heureux que Borekas, une histoire aussi personnelle, soit perçue comme universelle.»

Muayad Alayan: «Mon père et mon grand-père tenaient une boucherie à Jérusalem-Ouest, le quartier où se déroule A House in Jerusalem. Nous avons grandi en ayant l’impression qu’une partie d’eux-mêmes était figée dans le temps, dans ces maisons, dans ce quartier. Mon père avait l’habitude de nous conduire à l’école en passant dans ces rues et de nous raconter des histoires sur ses voisins et les magasins qui s’y trouvaient… des choses qui n’étaient plus là.»

* Propos tenus avant les événements de ce dernier mois, repris du site du festival.