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«Une mesure discriminatoire à l’encontre des frontaliers»

Chaque jour, environ 230000 travailleurs traversent la frontière pour venir travailler en terres helvétique.
© Olivier Vogelsang / archives

Chaque jour, environ 230000 travailleurs traversent la frontière pour venir travailler en terres helvétique. En cas de perte d'emploi, ces salariés dépendent du système de chômage français. 

Les partenaires sociaux français ont validé un projet d’accord sur l’assurance-chômage qui pénaliserait les frontaliers. Le Groupement transfrontalier européen est prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

La réforme de l’assurance-chômage française est revenue sur le tapis avec la nomination du gouvernement Barnier. Un chantier de grande ampleur dans un contexte de déficit budgétaire assez aigu. Les frontaliers, à savoir les travailleurs qui vivent en France et travaillent en Suisse, en Belgique, en Allemagne ou au Luxembourg, sont directement concernés, puisque la législation européenne prévoit que l’indemnisation des chômeurs se fait par le pays de résidence. Les plus de 231000 travailleurs qui traversent chaque jour la frontière pour venir travailler en terres helvétiques dépendent donc du système de chômage français. 

Le contexte est le suivant: la France se trouve dans une situation économique délicate avec une dette qui augmente et une volonté de réduire ses dépenses. Les partenaires sociaux avaient pour mission de trouver une solution qui permette d’économiser 400 millions d’euros supplémentaires par an dès 2025. Le cas des frontaliers a évidemment été évoqué, car il coûte très cher à l’Unédic, l’association chargée de la gestion du chômage, car les revenus de ces travailleurs sont beaucoup plus élevés. D’après un rapport, en 2023, l’Unédic a versé 1 milliard d’euros d’indemnités aux 77000 chômeurs frontaliers mais ne s’est vu rétrocéder que 200 millions d’euros par les quatre pays voisins… En effet, le système de compensation prévoit un reversement des cotisations chômage à la France, mais seulement l’équivalent de trois à cinq mois. Or, la durée d’indemnisation des chômeurs frontaliers est souvent plus longue que celle des autres travailleurs. Un surcoût estimé à 803 millions d’euros l’année dernière, et donc des milliards d’euros sur lesquels la France a dû s’asseoir.

Différence de traitement

Après plusieurs séances de négociations, les partenaires sociaux se sont accordés le 14 novembre à Paris sur un projet qui serait défavorable aux frontaliers. Les détails ne sont pas encore précisément connus, mais il s’agirait de mettre en place un nouveau modèle de calcul de l’allocation chômage avec un coefficient réducteur qui prendrait en compte la différence de niveau de vie entre le pays de travail et la France, le but étant de diminuer le montant de l’indemnité. Comment cet abattement sera-t-il appliqué et à qui? Les modalités sont encore floues, mais René Deléglise, président du Groupement transfrontalier européen (GTE), partenaire d’Unia, dénonce un scandale. «C’est une mesure discriminatoire, car elle se base sur la nationalité et le lieu de résidence. Si le projet passe la rampe, il y aura une différence de traitement entre ceux qui travaillent en France et ceux qui travaillent dans un autre pays. Concrètement, un cadre qui gagne 6000 euros par mois en France sera indemnisé différemment d’un frontalier qui gagne le même salaire, juste parce qu’il est frontalier. C’est un scandale! Si on modifie les règles, on le fait pour tout le monde! De plus, c’est une infraction totale aux lois européennes qui garantissent la liberté de circulation des citoyens et des travailleurs européens.»

«On chiffre les économies à plusieurs milliards d’euros sur quatre ans, donc il ne s’agira pas d’un petit ajustement, commente René Deléglise, remonté. Ce projet d’accord a été négocié dans notre dos. Nous n’avons pas été consultés, nous, les représentants des travailleurs frontaliers. Le patronat et les syndicats français, qui n’emploient et ne représentent aucun frontalier, ne sont pas concernés et n’ont aucun intérêt à défendre les nôtres.»

Incurie de l’Etat français

Pour le GTE, les principaux coupables sont les gouvernements successifs depuis 18 ans. «Chaque année, nous leur suggérons de renégocier avec les pays limitrophes afin d’augmenter la part des prestations reversées à la France, comme c’était le cas dans l’accord de 1973, en vain. Il y a une incurie totale de la France, et si le trou s’est creusé, c’est uniquement la faute au gouvernement qui a laissé faire. Avant, l’accord fonctionnait très bien et les finances étaient beaucoup plus équilibrées.»

Outre la question de l’indemnisation, le projet d’accord comprend également une révision de la notion d’«offre raisonnable d’emploi»: en clair, les frontaliers ne pourront pas refuser une offre d’emploi en France, même si le salaire est beaucoup plus bas. 

Le GTE est déterminé à se battre contre la concrétisation de cet accord. Ce dernier doit encore passer par le gouvernement, puis être soumis au vote des Chambres, mais il pourrait déjà entrer en vigueur début 2025. «Nous avons déjà pris contact avec les députés, les sénateurs et les ministres pour leur faire part de notre position, souligne le président du GTE. Michel Barnier est un Savoyard d’origine et doit bien savoir de quoi on parle.»

Si le GTE ne parvient pas à ses fins et que la mesure entre en vigueur, il ira jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. «Cela prendra des années, mais la France finira par se faire retoquer par l’Union européenne.» 

La CGT et Unia aux côtés des frontaliers

D’après nos informations, avec ce projet d’accord, l’allocation moyenne des frontaliers ayant travaillé en Suisse pourrait baisser de 45%. Unia est solidaire de la position de la CGT, l’un des rares syndicats français à s’opposer à ce projet d’accord, qui relève selon lui de l’illégalité.

«En France et en Suisse, comme dans les autres Etats européens, les prétendues politiques d'austérité actuelles sont de la poudre aux yeux, souligne Marie Saulnier Bloch, secrétaire spécialisée sur les questions de migration chez Unia. Au lieu d'investir dans des politiques d'emploi qui consolident les conditions de travail et de salaire, le patronat et la droite attaquent sans vergogne les droits des travailleurs et des travailleuses. Ce n’est pas à eux de payer la note de politiques qui favorisent les intérêts des actionnaires et du patronat. Pour renflouer les caisses publiques, d'autres voies sont possibles. Des voies décentes, durables, respectueuses des droits des travailleurs.» Le syndicat Unia continuera de suivre attentivement le dossier. 

«Un cadre qui gagne 6000 euros par mois en France sera indemnisé différemment d’un frontalier qui gagne le même salaire. C’est un scandale!»
René Deléglise, président du Groupement transfrontalier européen
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