Huit employées actives dans l’immobilier à Genève ont dénoncé leur directeur pour harcèlement sexuel et moral. S’il est toujours en place, l’OCIRT suit l’affaire de près. Témoignage
Des bises sur le coin des lèvres, des mains baladeuses, des regards déstabilisants, des SMS déplacés et des réflexions intimes qui dépassent l’entendement, le tout ponctué de colères extrêmement violentes et d’humiliations en public, voici ce que ferait endurer le directeur d’une grande société genevoise active dans l’immobilier à ses collaboratrices. A bout, huit d’entre elles ont décidé d’interpeller ses administrateurs en décembre dernier, dans un courrier accompagné de 13 pages de témoignages, afin de leur faire part du «calvaire» qu’elles vivraient au quotidien. Le but de leur démarche est clair: demander le départ immédiat de cet individu qui serait allé «trop loin, trop longtemps et contre trop de personnes».
Aujourd’hui, le directeur de la société en question est toujours en place. Il n’a plus de contact direct avec les salariées concernées mais n’a pas été inquiété. L’Office cantonal de l’inspection et des relations de travail (OCIRT), sollicité sur ce cas, compte bien suivre cette affaire de près.
Graves accusations
Pour y voir plus clair, L’Evénement syndical a rencontré l’une des signataires, Camille (prénom d'emprunt), qui a souhaité conserver l’anonymat. «Déjà, il faut savoir qu’il y a un gros turn-over: l’entreprise a huit ans, et la plus ancienne collaboratrice a tenu deux ans… En fin d’année dernière, la situation est devenue tellement intenable qu’on ne pouvait plus ne rien faire, il fallait agir. Les accès de colère de notre directeur étaient de plus en plus violents, il nous hurlait dessus, nous donnait des délais de plus en plus courts: chaque jour, on était plusieurs à ressortir en pleurs de son bureau. Cela a déclenché chez nous des insomnies, des angoisses, du psoriasis et, chaque matin, on avait la boule au ventre avant d’aller au travail.» La liste des griefs contre ce directeur est longue comme le bras. Les anecdotes, plus ahurissantes les unes que les autres. Selon les témoignages écrits, la question de la bise matinale serait récurrente: au coin des lèvres, mains sur les hanches ou caresses dans le dos. Une corvée dont, notent-elles, elles essaient de s’exempter en simulant des maladies ou des boutons de fièvre. Ce à quoi il aurait rétorqué: «Ici on ne fait pas la grève des bisous.» Mais aussi cette scène où il aurait dit à une collaboratrice qu’elle avait quelque chose de coquin dans le regard. Qualifié de «malsain» et de «pervers», l’homme est accusé de gestes encore beaucoup plus graves. Toujours selon cette même source, il y a cette employée qu’il aurait embrassée sur les lèvres au lieu de lui faire la bise; la même à qui, lors d’un déplacement professionnel, il aurait envoyé un message en lui disant que la porte de sa chambre d’hôtel était ouverte; une main passée sur la cuisse sous la jupe selon une autre ou encore un téléphone prétendument glissé expressément sous les fesses d’une dernière qui l’accompagnait en voiture.
Sentiment d’impuissance
«Il règne par la peur, reprend Camille. Au moins une fois par semaine, à la moindre contrariété, il nous menace de licenciement. Et il nous rappelle toujours qu’il est intouchable: le pire dans l’histoire, c’est que c’est vrai!» Depuis début janvier, certaines employées se seraient vues écarter des projets et de leurs tâches habituelles, dans l’impuissance totale. Sans oublier nombre de cadres et de collègues qui leur auraient tourné le dos. «C’est très humiliant, mais certaines d’entre nous n’ont pas envie de capituler, ils sont allés trop loin. Nous adorons notre travail mais nous l’exerçons en enfer... c’est pourquoi déjà trois collaboratrices ont décidé de démissionner et deux sont en arrêt maladie depuis plusieurs semaines.»
A la suite de l’envoi de cette lettre, la société a commandé un audit. «Nous avons tous été entendus, mais nous ne pouvons pas accéder au rapport, qui est confidentiel...» De l’esbroufe, selon Camille. L’OCIRT a également été mis sur le coup. L’entreprise avait jusqu’au 31 mars pour fournir les documents demandés. Selon nos informations, l’OCIRT devrait suivre de près le dossier pendant plusieurs années.
Aller plus loin
Quatre mois plus tard, les auteures de la lettre sont mitigées. «C’était un cri de désespoir, on ne pensait pas pouvoir tomber plus bas, mais aujourd’hui on se rend compte que si, car aucune mesure n’a été prise. On ne regrette rien, mais si on s’arrête là, on se sera ruiné la santé et on aura perdu nos emplois pour rien», souligne Camille, persuadée que les dernières en poste seront prochainement licenciées. «Foutues pour foutues, nous n’avons plus grand-chose à perdre...» La tentation de porter l’affaire devant les tribunaux est grande. «Tout cela doit servir à quelque chose, nous devons amener un changement pour celles qui nous succéderont.»