Un théâtre populaire pour commémorer la grève générale et faire renaître dans nos mémoires un événement majeur et occulté de notre histoire
11 novembre 1918. La guerre est finie, c’est l’armistice. La révolution a éclaté en Allemagne. La France s’inquiète du peu d’action du Conseil fédéral contre les bolcheviques. A Zurich, on fait grève et on commémore la Révolution d’octobre. Cent ans plus tard, dans la cour des anciens ateliers principaux des CFF à Olten, les spectateurs sont rassemblés. Sur les toits, des soldats, des bourgeoises, des diplomates scrutent les quatre coins de l’horizon. Sur des avant-toits, des secrétaires, des enfants, un chef de gare moustachu. Le décor historique est planté. En suisse-allemand, avec hélas seulement de rares répliques en français ou en italien. De la masse des spectateurs, évoquant les cheminots grévistes d’il y a 100 ans, s’élèvent des chants. Un chœur populaire, disséminé dans le public, qui l’entraîne dans une des halles pour assister au spectacle «1918.ch» commémorant la grève générale des 12, 13 et 14 novembre 1918.
Cela se passe dans la ville soleuroise, emblématique de la grève, qui a donné son nom au comité d’action l’ayant dirigée. Une grève générale qui a vu 250000 personnes cesser le travail pendant trois jours, et le reprendre, non sans résistances, face au déploiement de l’armée. Dans la halle magnifique, le spectacle se poursuit. Une mise en scène magistrale, utilisant tous les recoins de la vieille bâtisse, contemporaine de la grève. La centaine d’acteurs, hommes, femmes, jeunes, enfants, tous amateurs, nous happent dans un tourbillon d’événements. Soupe populaire, travail des enfants, des femmes dans les fabriques de munitions, une jeunesse la rage au cœur, un général et son auto rutilante, une délégation russe, des politiciens, des représentants du comité d’Olten. Le spectateur est embarqué dans un climat de révolte et de tensions. Des ombres, des bruits de bottes, des soldats sous les fenêtres. Il y a aussi la mort de ces trois jeunes grévistes, horlogers à Granges, et d’autres victimes innocentes. Il y a ces ouvrières exigeant le droit au travail et «l’indépendance économique et la pleine égalité». Ces vieillards courbés, sans revenu. L’AVS, une des neuf revendications de la grève, mettra encore quelques années avant de naître.
Visuellement, musicalement, grâce l’orchestre Basel Sinfonietta, et émotionnellement, «1918.ch» offre un grand moment de théâtre populaire. Malheureusement pour les francophones, les surtitres, ténus, ne sont pas d’une grande aide. Le français est néanmoins à l’honneur lorsqu’une jeune fille interprète La gosse, cette ouvrière doreuse de La Chaux-de-Fonds: Lucie Ablitzer, jeune socialiste révoltée par la guerre et engagée pour la cause des femmes.
Ce soir-là à Olten, à la fin du spectacle, un soldat dépenaillé surgit, mégaphone à la main. Il emmène les spectateurs dans un autre coin des ateliers CFF. C’est Blaise Carron, syndicaliste d’Unia à Monthey, dans la peau d’un déserteur, gélothérapeute sur le front. La masse des spectateurs et des figurants se déplace jusqu’à une petite estrade. Là, l’officier de l’administration militaire de Brigue l’interroge sur les raisons de sa désertion. Accompagné d’un jeune soldat hilare, le déserteur raconte son travail de guérison par le rire: «Sur le front, les soldats sont morts la joie au cœur»… Répliques, mimiques, éclats contagieux, le public est conquis. Le petit groupe fait partie de la vingtaine de troupes de différents cantons animant une partie du spectacle. A découvrir encore une fois le 15 septembre!