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23 francs: le minimum du minimum pour Genève

Stand d'information Unia dans le cadre de la campagne pour le salaire minimum.
© Olivier Vogelsang

La campagne d’Unia et des autres syndicats pour le salaire minimum bat son plein à Genève où 10% de la population active, soit environ 30000 employés, dont deux tiers de femmes, gagnent moins de 4000 francs pour un plein-temps. La moitié de ces personnes touchent même un salaire inférieur à 3500 francs…

Le 27 septembre prochain, les Genevois devront se prononcer sur l’initiative des syndicats pour un salaire minimum cantonal de 23 francs de l’heure. Aujourd’hui, 10% de la population active du canton gagne moins de 4000 francs par mois. Difficile dans ces conditions de vivre dignement de son travail dans l’une des villes les plus chères du monde

Orlena a travaillé durant trois ans et demi comme femme de chambre dans un palace genevois. Un emploi exigeant. «Je travaillais 9 heures par jour, debout, avec des mouvements répétitifs», explique-t-elle, en assurant malgré tout aimer ce métier. Le problème est que sa feuille de paie affichait chaque mois 3470 francs brut seulement. «Cela surprend tout le monde pour un hôtel de luxe, mais si on ne le dit pas, personne ne le saura.» Depuis l’année dernière, elle est au chômage et suit une formation de gestionnaire en intendance. Pour s’en sortir, elle a dû économiser «chaque centime». «Je ne vais boire un café à l’extérieur ou me faire un cinéma qu’une fois tous les deux mois et je passe la frontière pour faire mes courses.»

Sito (prénom d’emprunt) est également au chômage depuis peu. Il a travaillé six ans dans une blanchisserie pour 3100 francs brut. «Soit un salaire net de 2700 à 2800 francs. C’est compliqué de vivre à Genève avec un tel revenu, j’habite chez mes parents et, sans leur aide, je n’arriverais pas à finir le mois», témoigne-t-il.

Judith est, pour sa part, employée comme femme de ménage par une plateforme. «Déclarée, mais mal payée: 20,45 francs l’heure, mais certaines de mes collègues ne touchent que 19 francs. Et, faute d’heures de travail, on doit cumuler d’autres emplois, on n’a pas le choix, on est toutes des mamans. Moi, je fais de la vente et de la coiffure en tant qu’indépendante», dit-elle.

30000 personnes concernées

Au bout du lac, selon la Communauté genevoise d’action syndicale, environ 30000 personnes, soit 10% de la population active, dont deux tiers de femmes, gagnent moins de 4000 francs par mois pour un plein-temps, la moitié touche même moins de 3500 francs. Des salaires qui ne permettent pas, dans l’une des villes les plus chères du monde, de vivre dignement de son travail. Déposée par les syndicats et soutenue par les partis de gauche et des organisations progressistes, l’initiative «23 francs, c’est un minimum» est soumise en votation le 27 septembre. Elle propose l’instauration d’un salaire minimum de 23 francs l’heure pour toutes les branches, correspondant à 4086 francs mensuels pour 41 heures de travail hebdomadaires, ou 4186 francs pour 42 heures, avec des exceptions pour les jeunes en formation et le secteur de l’agriculture, ainsi que des contrôles et des sanctions pour les employeurs qui ne s’y conformeraient pas. Vingt-trois francs, c’est, d’après le calcul des initiants (voir tableau ci-dessous), le niveau des minima sociaux. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un salaire minimum cantonal ne peut d’ailleurs être fixé au-dessus, afin de ne pas se retrouver en porte-à-faux avec la sacro-sainte liberté économique garantie par la Constitution fédérale.

«Vingt-trois francs, ça pourrait bien aider, car le travail est quand même difficile», estime Judith. Pour Orlena, «ça change tout, c’est une reconnaissance».

Augmenter le pouvoir de négociation

La votation ne tombe-t-elle pas un peu mal dans le contexte de la crise du Covid-19? Secrétaire syndical d’Unia Genève et coordinateur de la campagne, Alejo Patiño conteste cette idée: «Cette crise a révélé que les personnes qui étaient engagées au front, à l’hôpital, dans les EMS, les magasins ou le nettoyage, et qu’on applaudissait le soir, ont justement souvent de bas salaires et de la peine à s’en sortir. Et une crise économique a tendance à tirer les salaires vers le bas. Un salaire minimum permettrait dès lors de disposer d’un socle et d’augmenter le pouvoir de négociation tant collectif qu’individuel. Cela profiterait à tous les salariés d’avoir un salaire en dessous duquel on ne peut pas descendre. Dans le canton de Neuchâtel, le chômage n’a ainsi pas augmenté après l’introduction d’un salaire minimum, il a, au contraire, diminué et la situation des personnes faiblement rémunérées s’est améliorée.»

Neuchâtel, Jura et le Tessin, cantons frontaliers comme Genève, ont déjà plébiscité en votation le salaire minimum. A Neuchâtel, qui a été le premier canton à introduire la mesure en 2017, la vague de licenciements agitée par certains milieux patronaux et bourgeois ne s’est pas produite. Au contraire, le canton a vu l’emploi évoluer plus favorablement que le reste de la région du Mittelland. L’Allemagne a connu la même histoire lors de l’introduction du salaire minimum en 2015, lorsque la droite criait à la catastrophe. Quatre ans plus tard, le pays affichait le taux de sans-emploi le plus bas depuis la réunification. «Lorsqu’on augmente les bas salaires, c’est de l’argent injecté directement dans l’économie. Je suis persuadé que les gens qui ont un salaire correct ne feront plus des kilomètres pour aller faire leurs courses en France», souligne Alejo Patiño.

Que répondre au Conseil d’Etat qui met en garde contre le salaire minimum «le plus élevé du monde»? «En comparaison du PIB et du coût de la vie, on se retrouverait plutôt dans la fourchette basse. Le niveau de vie à Genève n’est pas le même qu’ailleurs, les loyers sont extrêmement hauts, une famille nombreuse devra débourser au moins 2000 francs pour un appartement en HLM. Alors lorsqu’on ne gagne même pas 4000 francs… On se retrouve souvent mal logé ou alors il faut cumuler plusieurs boulots pour arriver à tourner. Nous estimons qu’un salaire en dessous de 4000 francs relève de la pauvreté, il n’est pas possible de vivre dignement et il faut faire appel aux aides de l’Etat. Est-ce que c’est à la collectivité publique de subventionner de fait les mauvais salaires? C’est certes le rôle de l’Etat d’aider, mais c’est aussi celui des entreprises de verser des salaires convenables.»

Unia face au MCG le 8 septembre

Sous le slogan de «Protégeons les salaires, pas les frontières», les syndicats genevois mènent une campagne de front en faveur de l’initiative sur le salaire minimum et contre celle de résiliation de la libre circulation. «Ces deux objets de votation sont les deux faces d’une même médaille ou plutôt d’un même combat, celui de la protection des salaires contre ceux qui rêvent de pouvoir exploiter les travailleuses et les travailleurs sans aucune limite», indique Davide De Filippo, président de la Communauté genevoise d’action syndicale. Pour cerner les enjeux, Unia organise le 8 septembre au Lignon un débat, modéré par Christiane Pasteur, journaliste au Courrier, qui mettra aux prises Aldo Ferrari, vice-président d’Unia, et un représentant du Mouvement citoyens genevois (MCG).

Débat le mardi 8 septembre à 20h (ouverture des portes à 19h30) au Centre de quartier du Lignon (place du Lignon 32).

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