Gérante du café-restaurant du Musée cantonal des Beaux-Arts à Lausanne, Delphine Veillon promeut une cuisine issue de produits locaux et biologiques. De la créativité au menu
Etonnante reconversion professionnelle que celle de Delphine Veillon passée de la restauration d’art à la restauration tout court. Troquant pinceaux et crayons contre recettes et ustensiles de cuisine, la Vaudoise s’attèle depuis une vingtaine d’années à concocter de bons petits plats servis dans différents établissements lausannois. Depuis octobre dernier, elle gère avec Johans Valdivia, son associé péruvien, le café-restaurant Le Nabi, ouvert dans le Musée cantonal des Beaux-Arts. Ce nom, qui signifie en hébreu «le prophète», fait référence au mouvement pictural postimpressionniste éponyme revendiquant son détachement de contraintes académiques. «Nous l’avons choisi car, outre sa résonance artistique, il correspond à notre vision innovante de la cuisine. A notre souci d’amener de nouvelles idées de mets, hors des standards habituels, et de promouvoir une alimentation saine et de proximité, d’autant plus importante dans le contexte des déséquilibres environnementaux actuels», précise Delphine Veillon, particulièrement sensible à la question et chargée, entre autres, de la sélection des produits. «J’assure le lien avec les fournisseurs. Je visite maraîchers, agriculteurs, vignerons locaux. Nous bannissons toute nourriture industrielle. Et valorisons les saveurs de nos terres, les poissons du lac ou issus de piscicultures régionales», poursuit, enthousiaste, la gérante toute menue, citant quelques plats proposés. Une carte inventive permettant des découvertes gustatives faisant aussi la part belle à des céréales méconnues, comme l’avoine nue, ou à des plats d’inspiration vaudoise et péruvienne...
Plus qu’un restaurant
«Nous avons rapidement rencontré le succès, mais aujourd’hui, il nous faut regagner la confiance de la clientèle», temporise Delphine Veillon qui, après deux mois d’arrêt imposés par la pandémie de coronavirus, est retournée à son activité. «Entre les masques, le gel désinfectant, la distanciation nécessaire, le lieu est moins accueillant, une certaine méfiance s’est installée.» Pas de quoi toutefois décourager cette battante de bientôt 50 ans qui, en reprenant Le Nabi, a aussi trouvé un espace la reliant à son intérêt pour l’art, ancré dans sa formation initiale. «Au musée, je suis en contact permanent avec des œuvres. Elles nourrissent mon regard. Le Nabi accueille aussi des artistes de passage. C’est plus qu’un restaurant. Stimulant», affirme celle qui a entamé sa vie professionnelle comme restauratrice d’art à Florence où elle s’est initiée à la pratique. «Au terme d’un cursus de trois ans, j’ai été engagée dans un atelier à Prato, en Toscane, où j’ai travaillé plusieurs années», raconte Delphine Veillon qui, de retour en Suisse, poursuivra sur cette même voie, chargée, dans une structure veveysane, de la rénovation d’œuvres contemporaines. Un travail qui la retiendra deux ans avant d’opérer un virage à 180 degrés.
Juste du bon sens
Entre deux jobs, la jeune femme d’alors travaille en effet temporairement comme serveuse à la Folie Voltaire, un pavillon attenant à une jolie terrasse au cœur d’un parc lausannois. Avant que, hasard de la vie ou destinée, les responsables de l’établissement lui proposent de le reprendre. «Je ne m’y attendais pas du tout. Mais, comme j’étais libre, j’ai saisi l’occasion et effectué la patente. J’aimais déjà beaucoup faire la cuisine», précise Delphine Veillon, soulignant l’impact de son séjour en Italie en la matière. «Je vivais à la campagne, en contact avec des paysans. Ils privilégiaient une cuisine simple, goûteuse, des pâtes artisanales, des produits frais... Juste du bon sens. Cette situation m’a largement influencée.» L’aventure à la Folie Voltaire durera près d’une quinzaine d’années, couplée également avec des événements culturels, entre concerts et projections de films en plein air. Parallèlement, Delphine Veillon s’occupera encore du bar du théâtre du Sévelin, assurant la restauration des artistes et du public. Autant dire beaucoup de pain sur la planche pour cette mère de quatre enfants – aujourd’hui âgés de 8, 10, 12 et 22 ans – prise alors dans un tourbillon astreignant. «Du lourd. Et j’avais à cœur de faire plaisir aux hôtes, peinant à déléguer. A cette époque, je me suis nettement moins bien nourrie que mes clients», confie Delphine Veillon, capable pourtant de gérer le stress avec une certaine décontraction.
Ralentissement apprécié
«Il fallait aller vite, mais je n’étais pas angoissée. Probablement aussi parce que j’ai une certaine confiance en moi. En couple, entre ma famille et ma profession, je mène beaucoup de projets de front», déclare, posée, la gérante du Nabi qui, avant ce dernier poste, travaillera encore au réfectoire de l’école Steiner fréquentée par ses enfants. «J’apprécie l’approche pédagogique globale et bienveillante de cette structure», note Delphine Veillon qui, durant ce mandat, a aussi œuvré à sensibiliser les élèves au bien-manger et à développer un jardin potager en permaculture «pour qu’ils puissent voir les légumes pousser». Toujours ce même souci de proximité alimentaire pour cette écolo dans l’âme qui sillonne la ville à vélo et garde de la période du semi-confinement des impressions positives. Notamment en termes de ralentissement général et de limitation de la pollution. «J’ai adoré cette absence de trafic. Cette prise du temps de vivre. Ce rapprochement avec mes enfants, même s’il a fallu parfois batailler pour l’école à la maison. Mais aujourd’hui, tout semble reparti de plus belle. J’ai peur que nous ne sachions prendre le tournant environnemental. Que nous ne soyons qu’une minorité à vouloir consommer différemment», souffle Delphine Veillon qui, quand tout va de travers, trouve du réconfort en écoutant de la musique ou en grignotant quelques cœurs d’artichaut. Plutôt attirée par le salé, même si elle ne manque pas de douceur...