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Au cinéma en décembre

Image tirée du film Où est Anne Frank!

Image tirée du film "Où est Anne Frank!" d'Ari Folman.

"Où est Anne Frank!" d'Ari Folman, "L'Evénement" d'Audrey Diwan, et "Les Magnétiques" de Vincent Maël Cardona sont à découvrir dans les salles obscures


Retour dans les années 1940

Le film d’animation Où est Anne Frank! retrace la dramatique histoire de la jeune diariste juive durant la Seconde Guerre mondiale tout en faisant des parallèles avec les enjeux migratoires actuels. Un long métrage didactique, poétique et engagé, œuvre du réalisateur israélien Ari Folman

Image tirée du film Où est Anne Frank!

 

Amsterdam, de nos jours... Par une nuit d’orage, Kitty – l’amie imaginaire d’Anne Frank à qui était dédié le célèbre journal – prend mystérieusement vie. Elle est surprise de ne pas retrouver la jeune écrivaine dans la cachette où elle s’était réfugiée avec sa famille il y a plus de 75 ans. Munie du précieux manuscrit, Kitty part alors à sa recherche dans les rues de la capitale. Et fait rapidement la connaissance de Peter, un jeune voleur qui vient en aide aux réfugiés clandestins. Au fil de la lecture du journal, des nombreuses rencontres et d’explorations à travers l’Europe, Kitty va devoir faire face au tragique destin de son amie. Pour finalement réaliser qu’Anne est à la fois partout et nulle part, et trouver le moyen de redonner à son héritage tout son sens et sa force.

Amorcé par le Fonds Anne Frank à Bâle, ce projet de film d’animation a pour objectif d’expliquer aux nouvelles générations la Shoah et la destinée de cette adolescente face à l’horreur nazie. Egalement scénariste du long métrage, le réalisateur israélien Ari Folman a décidé de faire de Kitty la véritable protagoniste, évoluant dans l’Europe des années 2020. Un choix scénaristique audacieux qui permet de faire le lien entre passé et présent pour atteindre les jeunes spectateurs. L’amie imaginaire d’Anne devenant au fil du récit une adolescente d’aujourd’hui. Un parti pris qui vient surtout «dépoussiérer» les atrocités des années 1940 et les présenter sous un angle actuel. «Le film ne parle pas seulement de la Shoah, qui bien évidemment ne doit jamais tomber dans l’oubli, mais des leçons qu’on peut en tirer pour notre propre quotidien», analyse un producteur.

Hypocrisie européenne

Si Où est Anne Frank! se veut didactique et s’appuie sur des éléments avérés, il fait également appel au pouvoir de l’imaginaire. Notamment dans sa représentation d’Auschwitz et de l’enfer concentrationnaire, afin de ne pas choquer et effrayer les plus petits.

Mais le long métrage vient également mettre le doigt sur l’hypocrisie des Etats européens. Des Etats dans lesquels Anne Frank et d’autres martyrs de la barbarie sont partout. Des écoles, des hôpitaux, des bibliothèques, etc., portent leurs noms. Et pourtant le message de tolérance et de solidarité que leur persécution devrait porter semble s’être, quant à lui, évaporé. En faisant se rencontrer Kitty et des familles migrantes menacées d’expulsion, le film d’animation devient un touchant plaidoyer en faveur de l’accueil et du partage face au populisme, au racisme et à la xénophobie. «Depuis toujours les gens tiennent les minorités pour responsables des épreuves qu’ils traversent», explique Anne Frank à une Kitty incrédule. Et le producteur d’ajouter: «Je ne pense pas qu’un film puisse changer quoi que ce soit, mais je crois qu’il est important que nous mettions tout en œuvre pour que le cinéma puisse contribuer à faire bouger les mentalités et les idées politiques.»

Où est Anne Frank!, d’Ari Folman, sortie en Suisse romande le 8 décembre (dès 8 ans).


Retour dans les années 1960

En adaptant le roman L’Evénement, la cinéaste française Audrey Diwan nous plonge dans l’univers cauchemardesque des avortements clandestins durant les années 1960. Un film fort, cru et sans fioriture qui a obtenu le Lion d’or lors du récent Festival de Venise

Image tirée du film L'Evénement.

 

Anne est étudiante en lettres dans la France des années 1960. Issue d’un milieu prolétaire, elle est la première de sa famille à accéder à des études supérieures. Pleine d’espoir, la jeune femme se rêve écrivaine. Mais c’est tout son univers qui s’effondre lorsqu’elle tombe accidentellement enceinte. N’ayant aucun moyen d’interrompre légalement cette grossesse, Anne est confrontée au dilemme suivant: soit la stigmatisation sociale d’une mère célibataire et la fin de ses ambitions professionnelles, soit un avortement illégal avec le risque d’y laisser sa vie ou de finir en prison. L’étudiante a toutefois peu de temps devant elle: les examens approchent et son ventre s’arrondit. Une véritable course contre la montre s’engage…

Consacré lors du Festival de Venise, L’Evénement est l’adaptation du roman autobiographique éponyme d’Annie Ernaux. «Vous avez réalisé un film juste, écrira l’écrivaine française à la cinéaste Audrey Diwan. Juste, c’est-à-dire au plus près de ce que signifiait pour une fille de se découvrir enceinte dans les années 1960.» Le long métrage se présente en effet comme une chronique crue, implacablement minutieuse et sans fioriture du calvaire que représentait alors une grossesse non désirée. «J’ai été marquée par la différence entre une formule balisée: avortement clandestin, et la réalité concrète de ce processus. […] L’Evénement raconte un moment de notre histoire dont nous avons peu de représentations», explique à ce propos la réalisatrice.

Une réalité éprouvante

Audrey Diwan dresse ainsi le portrait éloquent d’une jeune femme qui rêve d’une vie meilleure. Un rêve brisé par ce drame personnel que lui impose la société et auquel elle fait face avec désarroi, mais surtout avec détermination. Le détachement des autres personnages face à sa situation vient encore souligner la solitude de la jeune étudiante dans cette épreuve: «S’il n’y a pas de héros parmi eux, tous ne condamnent pas cet acte pour autant. […] Je ne voulais poser aucun jugement sur mes personnages, mais les prendre tous à l’endroit où ils étaient: un reflet de leur époque.» «On ne risque rien, tu es déjà enceinte», lui lance d’ailleurs un flirt, mettant en évidence son incompréhension et l’isolement de la jeune femme. Et soulignant par là le combat intérieur et la souffrance taboue auxquels elle est condamnée, dans un film où le mot «avortement» n’est même jamais prononcé.

Mais L’Evénement se veut également une expérience physique parfois éprouvante. Avec des scènes qui témoignent de la réalité brutale des pratiques auxquelles les femmes ont dû recourir. Des séquences nécessaires mises en scène dans leur intégralité et sans coupe au montage. «Il me semblait primordial de ne pas détourner le regard aux moments les plus durs», explique la réalisatrice. Et Annie Ernaux de conclure: «C’est seulement ainsi, dans le dérangement par ces images, qu’on peut prendre conscience de ce qui a été infligé au corps des femmes et de ce que signifierait un retour en arrière.»

L’Evénement, d’Audrey Diwan, sortie en Suisse romande le 8 décembre.


Retour dans les années 1980

Le réalisateur français Vincent Maël Cardona trace le parcours d’un jeune garagiste de province au lendemain de l’élection de François Mitterrand. Entre radios pirates, service militaire et histoire d’amour, Les Magnétiques est un premier film rock et plein de nostalgie

Image tirée du film Les Magnétiques.

 

En France, dans une petite ville de province au début des années 1980, Philippe vit dans l’ombre de son grand frère Jérôme. Face à cet aîné de tous les excès, provocateur et survolté, le cadet est effacé et quasi mutique. Employés dans le garage paternel, les deux garçons sont surtout aux manettes d’une radio pirate que Jérôme anime, alors que Philippe en assure la technique. Mais leur univers est sur le point d’être chamboulé: l’arrivée d’une jeune apprentie coiffeuse prénommée Marianne, l’élection de François Mitterrand à la présidence et le service militaire sont autant d’événements qui vont bousculer leur existence. Les deux frères ignorent alors qu’ils vivent les derniers moments d’un monde sur le point de disparaître.

Premier long métrage du réalisateur et scénariste Vincent Maël Cardona, Les Magnétiques a pour toile de fond l’émergence des radios pirates. Un phénomène qui a foisonné dans la France des années 1970, réprimé par Valéry Giscard d'Estaing, puis légalisé par la gauche de François Mitterrand. Pour finalement immédiatement disparaître, englouti par les radios commerciales. Ainsi, avec sa bande-son franco-allemande d’anthologie (Camera Silens, Joy Division, Marquis de Sade, Die Krupps ou encore D.A.F.), ses cassettes audio qu’on rembobine à l’aide d’un crayon, ses baladeurs et autres accessoires vintage, le film est une immersion soignée et totalement réussie dans les années 1980. Une immersion qui ne manquera pas de réveiller une certaine nostalgie chez celles et ceux qui avaient alors 20 ans.

Résonance actuelle

Si Les Magnétiques est avant tout l’histoire d’un triangle amoureux, il vient également mettre l’accent sur les changements sociétaux qui pointent – avec notamment un héros qui ne répond pas aux «critères du mâle alpha». Et le film permet, ainsi que le souligne son réalisateur, de «mesurer combien la révolution numérique a transformé le monde».

De plus, en choisissant cette période spécifique du XXe siècle, le cinéaste ne fait pas uniquement preuve de mélancolie. Il vient mettre le doigt sur un épisode qu’il considère comme étant charnière: entre les attentes et les folles espérances portées par l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et le tournant de la rigueur pris par le gouvernement en 1983. «L’aube d’une décennie qui doit tout changer et qui changera que dalle», résume le protagoniste. La mort de Bob Marley au lendemain de l’élection du socialiste étant considérée déjà comme un mauvais présage. Mais pour le réalisateur, le désenchantement des personnages a surtout une résonance qui s’inscrit totalement dans la société de 2021: «L’époque actuelle n’est qu’une intensification de ce qui se joue dans la période 1978-1983: le chômage de masse est devenu la norme, la parenthèse libérale ne s’est jamais refermée et les inquiétudes écologiques n’ont fait que s’intensifier.» Et de compléter, pessimiste: «Le no future d’alors contenait en germe celui d’aujourd’hui.»

Les Magnétiques, de Vincent Maël Cardona, sortie en Suisse romande le 8 décembre.