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Au cinéma en octobre

Image tirée du film Un pays qui se tient sage.

Image tirée du film.Qui a le droit d’être violent?

Alors que de nombreuses manifestations citoyennes font l’objet de répressions de plus en plus brutales, le réalisateur français David Dufresne présente Un pays qui se tient sage. Un film d’une rare perspicacité qui invite à s’interroger sur la légitimité de l’usage de la violence par l’Etat

Dans une petite salle de cinéma, deux protagonistes qui ne se connaissent pas, une table et deux verres d’eau. Sur l’écran, on projette des vidéos amateurs d’affrontements manifestants-policiers. La conversation entre le binôme se met alors en place autour des images diffusées. Voici, dans les grandes lignes, le concept du documentaire Un pays qui se tient sage, réalisé par le lanceur d’alerte, auteur et cinéaste français David Dufresne. Les intervenants? Des manifestants et des représentants des forces de l’ordre, mais surtout des historiennes, écrivains, sociologues, avocats, etc., qui viennent encore élever et complexifier un débat a priori binaire. Mais la fonction des uns et des autres ne sera pas révélée avant le générique de fin. Toute l’intelligence de ce documentaire consistant à écouter chacun sans préjugés, ainsi que l’explique le réalisateur: «Si je précise qu’Untel est secrétaire national d’Alliance Police, qu’Untelle est chercheuse, etc., le spectateur va plaquer d’emblée ses opinions préconçues sur la parole de l’intervenant, avant même que ce dernier prononce sa première phase.» Un choix judicieux et qui vient encore donner plus de force à des discours et des analyses d’une rare pertinence.

De plus, en montrant sur grand écran des images immortalisées généralement par les téléphones portables des manifestants, David Dufresne vient leur redonner toute leur puissance et leur brutalité. Ce que l’écran d’un ordinateur ou d’un smartphone ne pourra qu’effleurer.

Légitimité versus légalité

Soutenu par ces supports formels impeccablement soignés, le cinéaste égrène un discours rigoureux sur la distinction entre la légitimité et la légalité des violences policières. En rappelant que le maintien de l’ordre est un choix politique ou encore que la police se doit d’être au service du peuple et non du gouvernement. Au centre de sa réflexion, la citation du sociologue allemand Max Weber qui affirme que «l’Etat revendique le monopole de la violence physique légitime». «Il n’y a que l’Etat qui a le droit d’être violent», paraphrase à ce propos une intervenante. Pire encore, le pouvoir estimerait être le seul légitime à être autorisé à dire ce qui est brutal et ce qui ne l’est pas. «Qu’il y ait de la violence du côté de certains manifestants est une évidence, explique encore David Dufresne, mais la question est: cette violence est-elle délictuelle ou politique?... Il y a dans notre société une violence sourde, invisible, d’ordre économique, social, politique, et c’est cette violence diffuse, impalpable, qui appelle en réponse la violence d’une partie des manifestants. La police me reproche parfois d’oublier le contexte d’une violence policière, de ne pas m’arrêter à ce qui s’est passé dix ou vingt secondes avant… Mais le contexte, ce n’est pas seulement dix secondes avant, c’est trente ans!» Et c’est bien à cela qu’invite brillamment et implacablement Un pays qui se tient sage: prendre du recul pour appréhender les rouages de ces dérives. A ne pas manquer!

Un pays qui se tient sage, de David Dufresne, sortie en Suisse romande le 7 octobre.

Image tirée du film. Héroïnes nationales

Primé lors du Festival de Locarno 2019, Overseas suit le quotidien d’un centre de formation aux Philippines préparant des femmes à la domesticité à l’étranger. Un documentaire intimiste qui traite de la servitude contemporaine

Aux Philippines, des centaines de milliers de personnes quittent chaque année le territoire pour travailler à l’étranger. Parmi elles de très nombreuses femmes qui s’engagent comme aides ménagères dans des foyers à travers le monde. Elles laissent très souvent derrière elles leurs enfants pour se jeter dans l’inconnu. Dans un centre de formation au travail domestique – comme il en existe beaucoup à travers le pays – un petit groupe de femmes se préparent au départ et visent à décrocher la certification nécessaire pour toute Philippine désireuse de partir. Elles se retrouvent coupées du monde dans une sorte d’«antichambre» de l’exil: «Je voulais que le film fasse ressentir le temps de la formation comme une étape transitoire, une sorte de salle d’attente pour toutes ces femmes qui sont sur le point d’abandonner leurs vies», explique la réalisatrice d’Overseas, Yoon Sung-A. Accompagnée d’une équipe de tournage réduite, cette cinéaste franco-coréenne s’est ainsi plongée en immersion durant plusieurs semaines au contact de ces candidates au départ en formation. Une formation aux tâches ménagères à proprement parler (nettoyage, service à table, etc.) mais surtout une préparation au mal du pays et aux maltraitances qui pourraient attendre ces futures employées. Techniques anti-stress pour éviter les suicides ou encore méthodes pour se défendre d’un viol font notamment partie d’un programme qui fait froid dans le dos. Dans ce contexte, la directrice et les formatrices du centre tiennent un rôle ambigu. Ces dernières ayant pour la plupart connu l’expérience du travail domestique à l’étranger, affirment de manière palpable leur volonté de transmettre aux élèves la manière de surmonter les difficultés. Mais elles répètent également aux candidates qu’elles ne sont que des esclaves aux yeux des employeurs et les encouragent à ne jamais se plaindre, pleurer ou faire appel à la police.

Jeux de rôle

Faisant fi de toute information factuelle par l’intermédiaire d’une voix off ou d’intertitres, le documentaire donne toutefois un certain nombre de renseignements à travers les échanges entre élèves. On y apprend notamment que ces femmes sont considérées comme des «héroïnes de l’économie» aux Philippines tant les retombées financières sont bénéfiques au pays.

Mais l’intérêt principal du film, qui souffre de quelques longueurs, consiste en la mise en scène de jeux de rôle faisant partie intégrante de la formation et réalisés dans des appartements reconstitués. Les femmes se mettent dans la peau tant de l’employée que de l’employeur faisant ainsi flirter le film entre fiction et documentaire. Des exercices destinés à préparer les domestiques à gérer les cas de maltraitances en reproduisant des situations de crises aiguës et d’humiliations violentes. Et on s’étonnera, non sans une certaine gêne, de la facilité et du plaisir qu’elles prennent à incarner la figure de la patronne tyrannique. Mettant ainsi en lumière le discernement, la clairvoyance et le réalisme de ces femmes, comme l’explique la cinéaste: «En réalisant ce film, je voulais déjouer le stéréotype de la femme de ménage immigrée, peu instruite, victime passive et sans volonté.»

Overseas, de Yoon Sung-A, est présenté en exclusivité au cinéma CityClub de Pully durant tout le mois d’octobre.

Image tirée du film. Si j’étais un mec…

Hyperréaliste et émouvant, Never Rarely Sometimes Always plaide en faveur du droit à l’avortement et de l’égalité. Un film nécessaire, emmené par deux jeunes comédiennes époustouflantes

Automn a 17 ans et vit dans une petite ville minière, conservatrice, de Pennsylvanie. Elle partage sa vie entre le lycée et un supermarché où elle travaille comme caissière à mi-temps. Un matin, face à son miroir, elle réalise que son corps est en pleine mutation et une visite au planning familial lui confirme la grossesse redoutée. Ne pouvant recourir à un avortement sans la bénédiction de ses parents dans l’Etat de Pennsylvanie, elle monte alors dans un autobus direction New York où la législation est plus libérale. Sa cousine, amie et confidente Skylar l’accompagne sans hésitation. Les deux jeunes femmes déboulent alors dans la mégapole, sans toit et sans argent.

Réalisatrice et scénariste new-yorkaise, Eliza Hittman offre avec Never Rarely Sometimes Always un portrait intimiste et émouvant de deux adolescentes qui, face à l’adversité, font preuve de courage, de compassion et de sororité. Très engagée, la cinéaste s’emploie ici à dénoncer l’immobilisme, voire l’intégrisme, de certaines régions des Etats-Unis face aux interruptions de grossesse. Le choc sociétal entre New York et la petite ville minière est d’ailleurs au centre de son film: «La Pennsylvanie ne se trouve qu’à deux ou trois heures de New York, mais on a une impression de retour dans le passé, explique-t-elle. J’étais fascinée par ces petites villes qui se sont développées avec l’essor du charbon. Aujourd’hui, les mines ont fermé et ces petites villes se retrouvent isolées au milieu de nulle part.»

Mensonges et amateurisme

Les entretiens entre Automn et les différentes assistantes sociales viennent également brillamment soutenir le propos. Dans sa ville d’origine, ce sont des informations volontairement tronquées qui lui seront présentées; et garder l’enfant ou le donner à l’adoption semble la seule alternative. Mensonges, amateurisme et désinformation sous couvert de bienveillance ont pour objectif de détourner la jeune femme de tout projet d’avortement. Le face-à-face avec la travailleuse sociale new-yorkaise offre en revanche une scène bouleversante de compréhension et de tolérance qui vient donner son titre au film. Quand Automn est amenée à se confier au travers d’un questionnaire à choix multiple en répondant par «jamais, rarement, parfois ou toujours», elle trouve enfin une oreille attentive.

Face à un duo féminin incarné de manière sidérante par deux jeunes actrices qui effectuent leurs premiers pas sur grand écran, les personnages masculins sont en revanche présentés de manière écœurante. Figure répugnante de machisme primaire, exploiteur de la faiblesse des adolescentes ou tout simplement absent en ce qui concerne le «petit ami» d’Automn, la cinéaste vient mettre le doigt sur la difficulté, encore et toujours, d’être femme. «Tu ne voudrais pas être un mec parfois?» questionne Skylar. «Tout le temps…» répond Automn. Tout est dit…

Never Rarely Sometimes Always, d’Eliza Hittman, sortie en Suisse romande le 7 octobre.