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Au cinéma en septembre

Image tirée du film Roubaix, une lumière.

Rentrée des classesImage tirée du film La Vie scolaire.

Grand Corps Malade et Mehdi Idir présentent leur deuxième film, une fiction qui raconte une année scolaire dans un collège de la banlieue parisienne, entre drame social et fous rires d’adolescents

Alors que leur premier long métrage, Patients, était une adaptation du roman autobiographique du slameur Grand Corps Malade et relatait son combat de rééducation à la suite du grave accident qui l’a laissé handicapé, La Vie scolaire s’inspire du parcours de son acolyte Mehdi Idir. La trame: Samia (la formidable comédienne Zita Hanrot), une jeune conseillère principale d’éducation (CPE) tout juste arrivée d’Ardèche, débarque dans un collège réputé difficile d’une cité de Saint-Denis. «Sauve-toi jeune CPE tant qu’il est encore temps!» lui lance un enseignant le jour de la rentrée… Le ton est donné. Samia fait la connaissance de son équipe de surveillants, mais également de la proviseure, des professeurs et, évidemment, des élèves, et découvre rapidement les problèmes récurrents de discipline, la réalité sociale régnant dans le quartier, mais aussi l’humour et la vitalité tant de ses collègues que des adolescents. Samia s’adapte rapidement et sa situation personnelle compliquée l’amène à se rapprocher de Yanis, un élève vif, volontiers insolent, mais intelligent et dont elle flaire le potentiel. Malgré son peu d’enthousiasme, son manque d’ambition et le fatalisme qui semble lui interdire tout projet – «Et si je ne valais pas mieux que ça?» répond-il aux encouragements – Samia va s’acharner à lui éviter un échec scolaire prévisible et tenter de l’amener à envisager son avenir.

Les deux réalisateurs, qui sont également les scénaristes du film, se sont inspirés de moments vécus ou observés durant leur passage au collège, d’anecdotes racontées, en s’appuyant même sur des personnes existantes afin de gagner en crédibilité. Le résultat en est, en marge du fil rouge composé des histoires de Samia et Yanis, un récit qui fourmille de personnages secondaires et de situations hautement comiques: des surveillants disputant le concours de la punition la plus absurde, un professeur de musique qui s’obstine à vouloir enseigner la flûte à bec à ces jeunes de cité, un élève atteint d’une hilarante mythomanie, un maître d’éducation physique très créatif et pour qui les insultes appartiennent au «champ lexical du sport», etc. Mais si ces nombreuses saynètes donnent au récit une forme clairement comique, son message central est quant à lui profondément grave et dramatique. Et le spectateur se surprend à passer, en l’espace de quelques minutes, du rire aux larmes dans cet univers où, ainsi que l’explique Grand Corps Malade, «l’humour règne malgré les drames».

Laissés-pour-compte du système

La question de l’éducation dans les banlieues sensibles – déjà maintes fois traitée dans le cinéma français ces vingt dernières années –, s’impose bien évidemment comme la thématique centrale. Mais La Vie scolaire se distingue en faisant le choix de ne taper sur personne: ni les élèves, ni les enseignants, ni les parents ne sont pointés du doigt. De plus, la palette de personnages est dépeinte sans caricature et tout en nuances, et rappelle notamment que les adultes peuvent être des fêtards désinhibés et des irresponsables notoires. En revanche, le film n’hésite pas à critiquer un système qui regroupe de plus en plus les jeunes en difficulté scolaire et sans perspectives et les sectarise en les reléguant dans des classes destinées aux laissés-pour-compte parmi les laissés-pour-compte de l’enseignement. En réponse à ces méthodes, les réalisateurs ont mis un point d’honneur à intégrer tous les habitants et notamment les enfants de la cité où ils ont tourné, ainsi que l’explique Grand Corps Malade: «C’était valorisant pour les gosses d’avoir été choisis, de devenir comédiens avec un salaire. On leur a fait sentir qu’on avait besoin d’eux. Ils se sentaient importants, respectés et avaient envie de bien faire.» En cette période de rentrée des classes, La Vie scolaire vient donc rappeler que l’école, bien avant de former de futurs employés adaptés au marché du travail, est là pour apprendre à apprendre et surtout à vivre en communauté. Un fondamental dont il fait bon se souvenir en ces temps de courses aux performances et aux résultats.

La Vie scolaire de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, sortie en Suisse romande le 28 août.

Que faire de la misère?Image tirée du film Roubaix, une lumière.

Fidèle à sa ville d’origine, le cinéaste français Arnaud Desplechin y plante une fois encore le décor de son nouveau film, Roubaix, une lumière. Un polar social avec quatre acteurs en état de grâce

Nuit de Noël dans la ville de Roubaix. Le commissaire Daoud (Roschdy Zem) sillonne, entre agressions, altercations et voitures brûlées, les rues qui l’ont vu grandir; alors que le jeune lieutenant Louis Coterelle (Antoine Reinartz), fraîchement diplômé, vient de rejoindre le commissariat. Les deux policiers vont bientôt devoir faire face au meurtre d’une vieille dame dans un quartier miséreux. Dans le cadre de l’enquête, ils interrogent deux jeunes femmes (Sara Forestier et Léa Seydoux), démunies, alcooliques et amoureuses.

Plus de dix ans après Un conte de Noël, Arnaud Desplechin revient à Roubaix durant la période des fêtes de fin d’année. Mais si son film de 2008 faisait le portrait d’une famille bourgeoise dans son confortable univers, Roubaix, une lumière présente l’envers du décor, à savoir une ville austère et violente qui a perdu son industrie textile depuis les années 1970 et où, aujourd’hui, tout est faillite et désolation avec 45% de la population vivant sous le seuil de pauvreté. «Comment vous faites avec la misère?» demande d’ailleurs le jeune lieutenant Coterelle à son supérieur, bien conscient que celle-ci est mère de la criminalité et de la violence dont souffre la ville.

Précision documentaire

L’exergue en début de film est par ailleurs clair: toutes les situations dépeintes dans cette histoire sont inspirées de la réalité et, plus précisément, du documentaire Roubaix, commissariat central de Mosco Boucault qui avait été le témoin du fait divers sordide raconté ici. «J’ai voulu ne rien offrir à l’imagination, explique Arnaud Desplechin, ne rien inventer, mais retravailler des images vues à la télévision il y a dix ans et qui n’ont cessé de me hanter depuis. Pourquoi n’ai-je jamais pu oublier ces images?» A cette interrogation, le cinéaste répond en expliquant que, pour la première fois, il y avait découvert des criminels qui étaient profondément humains et non pas seulement des bourreaux. Et cette question de l’humanité des malfaiteurs est bien au centre de son film, ainsi qu’il le développe: «Qu’est-ce qui est humain, qu’est-ce qui ne l’est plus? A travers le regard du commissaire Daoud, tout s’avère profondément humain. La souffrance comme le crime.» Quant aux policiers, ils sont dépeints, eux aussi, de manière ambiguë: à la fois manipulateurs dans leurs interrogatoires, mais compatissants envers ces suspects et ces criminels dont ils semblent comprendre la déchéance et les tourments liés à la misère sociale environnante.

La réussite de Roubaix, une lumière tient également à la technicité dont font preuve le réalisateur et son équipe. Outre la direction artistique – décors et costumes – très réaliste, ce sont surtout les images et la lumière qui confèrent au film son atmosphère envoûtante. Finalement, et c’est tout l’enjeu de ce récit centré sur l’humain, les quatre comédiens principaux parviennent à incarner de manière remarquable ces personnages si complexes. Avec une mention spéciale à la comédienne Sara Forestier qui réussit, au-delà de la justesse de son interprétation, à personnifier la misère en opérant une transformation physique et physionomique saisissante.

Pour ses premiers pas dans le genre policier, Arnaud Desplechin réussit à dresser brillamment le portrait d’une population déshéritée, sans jamais tomber dans le misérabilisme et tout en apportant humanité et profondeur à un milieu a priori binaire. A ne pas manquer!

Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin, dans les salles en Suisse romande depuis le 21 août.

Image tirée du film Insoumises.Lausannoise oubliée de l’Histoire

Débarquant à Cuba pour retrouver son fils en 1819, le jeune médecin d’origine vaudoise Enrique Faber découvre que ce dernier a été brûlé vif lors d’une rébellion d’esclaves. Mais ses compétences médicales modernes lui attirent rapidement les sympathies de certains notables éclairés de Baracoa où il va finalement s’installer, puis épouser Juana, une jeune femme jugée de mauvaise réputation. Ses combats contre l’esclavage et les inégalités – il soigne indifféremment les riches, les pauvres, les Noirs, les Blancs – ainsi que son allure frêle et androgyne vont toutefois attiser les quolibets, la méfiance et la jalousie. Une nuit, les hommes de main d’un puissant trafiquant d’esclaves pénètrent chez lui, le déshabillent et découvrent qu’Enrique est une femme: Enriqueta. C’est alors le début d’un procès déloyal et d’une incroyable violence.

Oubliée d’une histoire trop souvent écrite par les hommes, la vie de cette Lausannoise qui fut amenée à se travestir pour pouvoir pratiquer la médecine est, enfin, mise à l’honneur dans ce long métrage suisse et cubain, coréalisé par la Genevoise Laura Cazador et le Cubain Fernando Perez. A leurs côtés, la comédienne française Sylvie Testud saisit à bras-le-corps ce rôle exigeant. Mais la réussite du film tient en particulier à une immersion très convaincante dans le Cuba d’il y a 200 ans, imprégné d’une atmosphère frelatée, association de patriarcat, de racisme et d’obscurantisme religieux où ceux qui ne sont pas des hommes blancs sont mis au ban de la société. Dans cet environnement, Enriqueta, pionnière du féminisme, s’engage dans une convergence des combats basée sur le «Liberté, Egalité, Fraternité» en faveur des femmes, des esclaves et des malades. En cette année de luttes féministes, on se gardera toutefois bien de considérer Insoumises comme un film historique tant les situations dépeintes font écho à celles de notre société actuelle. Et on gardera en tête ce conseil donné par Enriqueta à une petite Cubaine: «Ne demande jamais l’autorisation de grimper aux arbres!», et qui n’a pas pris une ride.

Insoumises de Laura Cazador et Fernando Perez, sortie en Suisse romande le 28 août.