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Autonome, la petite maison dans la prairie

La ferme La Solide, sur le versant nord du Mont-Pèlerin.
© Neil Labrador

La ferme La Solide, sur le versant nord du Mont-Pèlerin.

Depuis dix ans, Delphine Girod et Yannik Vallotton, avec leurs deux enfants, tendent à l’autonomie. Une vie de recherches, entre construction et jardinage, sans dogmatisme. Visite

Delphine Girod était horticultrice pour la ville de Genève. Yannik Vallotton responsable marketing à Lausanne. A eux deux, ils gagnaient bien, très bien. Au point d’économiser chaque sou pour réaliser leur rêve, celui de vivre dans la nature et le plus autonomes possible. L’achat, il y a dix ans, d’une vieille ferme mise aux enchères, est le début d’une aventure qui ne cesse de se dérouler depuis, avec ses hauts et ses bas. Cette maison inhabitée depuis des années, au nord du Mont-Pèlerin, était alors coupée de tous réseaux. «Notre eau provient d’une source filtrée mécaniquement, mais qui ne subit ni traitement chimique ni ultraviolet. C’est une eau vivante. On sent la différence dès que l’on boit l’eau du robinet ailleurs», indique le couple en cette journée pluvieuse.

Pour en arriver à leur chez-soi chaleureux et confortable, il a fallu deux ans de travaux aux deux autodidactes pour rénover, isoler, poser des panneaux solaires et thermiques, créer une fosse de décantation… Une formation sur le terrain pour Yannik Vallotton qui a, depuis, monté son entreprise de rénovation écologique. Une spécialisation dans la biodynamie et la permaculture pour Delphine Girod qui a, depuis, expérimenté mille et une manières de valoriser les plantes de son jardin, tout en développant l’autoproduction de semences et de plantons. Des savons, des baumes, des produits de nettoyage, autant de réapprentissage des savoir-faire qu’elle partage lors de ses ateliers chez elle et ailleurs.

Deux activités professionnelles, l’entreprise de rénovation et la ferme, qui portent le nom de La Solide – appellation qui sied parfaitement aux projets du couple dont les épaules sont aussi larges que leurs idées.

Le solaire même à l’ombre

La Solide ressemble ainsi à un laboratoire. «Si on peut vivre quasi en autonomie ici, dans la forêt, orienté au nord, avec très peu de soleil, une seule heure le 21 décembre, c’est possible partout ailleurs», s’enthousiasme Yannik Vallotton. «L’autonomie n’est pas si compliquée. Le surcoût est minime pour les panneaux solaires, thermiques, et le poêle. En Suisse, nous avons tout le bois dont on a besoin.» Reste que la famille a dû faire des choix, après avoir testé de nombreux appareils. Dix panneaux solaires orientés dans diverses directions ne permettent pas, durant les mois d’hiver, de maintenir le congélateur allumé (remplacé par une case dans le congélateur communal) ni l’utilisation du toaster ni de la machine à laver la vaisselle. Bref le moins d’électroménager possible, surtout de novembre à mars. «En hiver, on fait la lessive, à froid, et quand il fait beau. C’est toujours mieux d’utiliser en direct l’énergie du soleil. En la stockant, il y a toujours une perte», explique le couple, qui utilise dès lors que très rarement leur génératrice (environ 50 litres d’essence par an).

Pas de dogmatisme

«Notre consommation est de 2 kWh par jour, soit 8 à 10 fois moins qu’un ménage traditionnel, estime Yannik Vallotton. En été, on est en surproduction. Mais on a dû tout penser en fonction des mois les plus difficiles. La cuisinière est à gaz, pour éviter les plaques électriques hyperénergivores. Si on devait être à court de gaz, on peut toujours utiliser notre fourneau à bois. Dans l’idéal, on pourrait même créer notre propre biogaz avec notre fosse de décantation…»

A La Solide, tout est réfléchi, remis en question et ouvert. A l’image de la scolarité de leurs enfants: Timothé, 10 ans, fait l’école à la maison, alors que sa petite sœur, Katleya, 8 ans, saute dans le bus scolaire tous les matins. «A chaque enfant ses besoins», soutiennent leurs parents. Consciente de l’urgence des changements face à la crise climatique, la famille ne peut toutefois pas se passer de voiture. «C’est un gros point noir dans notre bilan carbone», confie Yannik Vallotton.

Résilience

Depuis dix ans, la météo s’ancre dans leur quotidien. Un coup dur: la sécheresse de 2018 a tari leur source d’août à octobre. «On a créé des toilettes sèches, pris des douches à la piscine et rempli des bidons d’eau chez les voisins, se souvient Delphine Girod. C’est certain que notre chemin est celui de la décroissance. Les gens veulent du changement, mais ne sont pas prêts à changer. Les années à venir vont être très intéressantes, mais risquent d’être difficiles… C’est une question de résilience plus que de choix.» Et d’ajouter en souriant: «Au début, on nous a tellement dit que notre projet était impossible que cela nous a encore davantage motivés.» Bosseuse et déterminée, tout comme son mari, Delphine Girod se veut optimiste, la situation ombragée de leur site pouvant aussi devenir un atout. «La forêt diminue les températures et conserve l’humidité. Je commence à réfléchir à une agriculture sans eau…»

Conseiller communal à Chardonne, son époux (du mouvement Chardonne sans parti) est critique sur la politique des petits pas. «On est vite taxé de dictateur dès qu’on veut des actions écologiques fortes. Or, on ne peut pas se contenter de demi-mesures ni de développement durable. Mais tant que les gens ne se retrouveront pas devant leur robinet ouvert qui ne coule plus, ils ne vont pas conscientiser. Ils sont encore dans le déni. Je continue à essuyer des railleries à la suite de notre coupure d’eau de trois mois. Reste qu’on a réussi à bien le vivre, car notre mode de vie est résilient. Ici, on peut aller pisser dans la forêt. En ville, les gens iront où?»

Une réflexion au quotidien

L’année 2019 aura été une année de réflexion pour le couple qui a remis en question ses fonctionnements. «Je faisais des paniers de légumes sur abonnement, avec l’impression de pouvoir, à mon échelle, changer les mœurs, conscientiser. Mais le manque d’empathie de certains face aux aléas du climat, et donc des cultures, m’ont un peu dégoûtée», avoue Delphine Girod en se baladant entre ses serres et ses buttes de cultures permacoles, expliquant: «C’est une anarchie organisée, où nombre de plantes se resèment seules.»

Cette année, la famille s’est permise de prendre quelques vacances, de réfléchir. Dès le printemps prochain, elle accueillera de nouveau des stagiaires et des bénévoles du réseau international «Wwoof» (World wide opportunities on organic farms) qui, en échange du logis et des repas, travaillent dans des fermes biologiques quelques heures par jour. Un self-service est prévu dès 2020, alimenté de légumes et de produits issus des cultures, ainsi que des moments de fête tels qu’un rituel populaire de bouse de corne. De la biodynamie pour enrichir la terre, et de la convivialité pour donner du baume au cœur. Autant d’alternatives lumineuses face à un avenir incertain.

Plus d’infos: lasolide.ch

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