Dans les pays occidentaux, les êtres humains sont de plus en plus remplacés par des machines. Au Qatar, c’est le contraire: on prend les êtres humains pour des machines. Dans un récent rapport, Amnesty International s’est appuyé sur les témoignages de 34 agents de sécurité, recueillis entre 2021 et 2022. Employés par huit sociétés qataries différentes, notamment sur des projets liés à la Coupe du Monde qui aura lieu en décembre, tous sont migrants. L’ONG est catégorique: on peut parler de travail forcé. Les employés affirment travailler douze heures par jour, sept jours sur sept (soit 84 heures par semaine), pendant des mois, voire des années sans jamais prendre de congés. Pourtant, la loi impose un maximum de 60 heures et un jour de repos hebdomadaire. Mais entre la théorie et la pratique, il y a un fossé, et ceux qui se sont avisés de prendre ce fameux jour de repos ont été pénalisés sur leurs salaires. Il ne s’agit ni plus ni moins de la loi du plus fort…
Alors oui, depuis 2017, le Qatar a essayé de se montrer rassurant, en abrogeant les grands principes du système de la kafala que tout le monde dénonçait pour ses abus. Il a introduit d’importantes réformes juridiques, dont un salaire minimum et une amélioration de l’accès à la justice. Certes, on a fait des progrès, mais encore une fois, il y a la théorie et la réalité du terrain. Amnesty International parle d’un énorme déséquilibre de pouvoir entre les employeurs et les travailleurs migrants et de «profondes lacunes dans l’application du droit du travail» par les autorités. Car la plupart des travailleurs savaient que leur patron violait la loi, mais que faire? Qui pour les aider? Comment obtenir justice? Rappelons que l’adhésion à un syndicat est formellement interdite au Qatar… Dans ces conditions, il est difficile d’agir sans risquer de perdre son salaire, son travail ou son droit de séjour. Et le phénomène ne va que s’amplifier, car avec la Coupe du monde, le secteur de la sécurité privée va exploser ces prochains mois.
Les griefs ne s’arrêtent pas là. Les travailleurs interrogés rapportent des heures supplémentaires incorrectement payées, des pénalités de salaire pour «mauvaise conduite» après avoir osé «abandonner» leur poste pour aller aux toilettes ou encore une obligation de travailler en extérieur, en plein été, sans eau et sans abri. On ne parle même pas des logements insalubres aux conditions sanitaires déplorables… La FIFA a sa part de responsabilité et doit veiller à ce que les droits humains soient respectés dans la sécurité privée, et ailleurs, si elle ne veut pas une nouvelle fois ternir l’image de son événement. Il faudra agir vite, car il y a peu de chances que les pratiques changent vers le mieux une fois que les caméras et les supporters auront tourné les talons...