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Bouffée d’oxygène pour les précaires

Femme de dos, poussant un caddie dans l'épicerie.
© Thierry Porchet

Le magasin propose des tarifs préférentiels aux bénéficiaires de l’aide sociale et des prestations complémentaires ainsi qu’à ceux relevant du domaine de l’asile.

Récemment ouverte à Sion, une épicerie solidaire et durable permet aux personnes confrontées à la précarité d’acquérir des produits de qualité à des prix préférentiels. Reportage

C’est une jolie épicerie, bien achalandée, que rien ne distingue d’une autre enseigne. Rien, à la différence que les produits vendus dans cet espace de quelque 110 m2 coûtent nettement moins cher que dans les autres magasins pour les personnes confrontées à la précarité. Ouvert à Sion à la mi-décembre par l’œuvre suisse d’entraide ouvrière (Oseo), Obonmarché s’adresse directement aux bénéficiaires de l’aide sociale et des prestations complémentaires ainsi qu’à ceux relevant du domaine de l’asile.

Une retraitée pousse la porte, accompagnée de son fils. Tirant son caddie, elle évolue entre les rayons, compare les prix, sélectionnant avec soin ses denrées en fonction de son budget. «Je viens de toucher ma rente AVS. Cette épicerie, c’est vraiment une bonne idée. On peut faire de bonnes affaires», affirme l’acheteuse, un large sourire illuminant son visage. «Vous connaissez cette salade grecque? Délicieuse. Il y en a une autre dans la même gamme, mais trop chère pour moi. Je reviendrai le mois prochain, poursuit-elle, reposant à regret la marchandise vantée. A côté, un couple d’origine étrangère termine ses emplettes. Arrivé à la caisse, il présente la carte l’identifiant comme usager, délivrée à tous les ayants droit, et s’apprête à s’acquitter du montant dû. Inquiète du total, l’épouse retire néanmoins à la dernière minute deux produits du panier. Chaque franc compte, malgré des tarifs préférentiels.

Des produits à la caisse.
Plus des deux tiers des produits coûtent 25% de moins que dans un magasin traditionnel. Pour le reste, les rabais peuvent s’élever jusqu’à 70% des prix standards. © Thierry Porchet

 

Accueillant et élégant

«Les prix pratiqués se révèlent entre 25% et 70% inférieurs à ceux du marché», chiffre Guillaume Sonnati, une des chevilles ouvrières de l’initiative. Et le responsable du secteur Adultes à l’Oseo, d’expliquer les raisons qui ont conduit à l’ouverture d’Obonmarché: «La crise sanitaire a mis en lumière et accentué une précarité méconnue, dont de nombreuses “petites mains” que la pandémie a fait basculer dans la pauvreté. L’Oseo, avec le soutien des autorités, a souhaité à travers cette épicerie épauler les personnes vulnérables. Un complément aux prestations existantes.» Particulièrement bienvenu. Plusieurs dizaines de clients – «Un nombre qui ne cesse de croître» – fréquentent déjà chaque jour l’agréable magasin. «Nous avons eu à cœur de créer un espace accueillant et élégant, avec des marchandises de qualité et un choix varié. Une manière aussi de rendre de la dignité aux bénéficiaires.» Pour favoriser le vivre-ensemble, les collaborateurs de l’Oseo et ses membres peuvent également s’approvisionner dans le commerce, mais alors aux prix usuels. L’épicerie, première du genre en Valais, a par ailleurs été créée dans un esprit de durabilité, privilégiant une offre locale, de saison, des fruits et des légumes non calibrés et une revalorisation des invendus. «Une trentaine de fournisseurs, sensibles à la cause, collaborent à l’entreprise», ajoute Guillaume Sonnati. Le financement de départ a été assuré par le Service de l’action sociale avec qui l’Oseo a signé un mandat de prestation d’un an et demi. «Nous avons reçu 400000 francs pour mener à bien le projet, acheter les frigos, les étagères, etc., et constituer le stock de base. Nous visons l’autonomie.»

Une cliente présente sa carte.
Une carte, à présenter à la caisse, est délivrée aux ayants droit aux tarifs préférentiels. © Thierry Porchet

 

«J’ai envie de crier»

Gabriella*, 28 ans, élève seule son petit garçon de 4 ans et demi. Et fait régulièrement ses courses à l’épicerie. Elle apprécie le commerce à plus d’un titre: pour son potentiel d’économie, la variété des produits – dont des marques sur lesquelles, ailleurs, elle ne poserait même pas les yeux – et surtout les conseils du personnel. «Génial. On me signale toujours les meilleures affaires», note la jeune femme qui, au grand cœur, souligne encore les possibilités de cadeau de qualité que lui permet désormais Obonmarché. «Quand je suis invitée à un anniversaire, un repas, etc., je peux amener, par exemple, un excellent jus de fruit.» Ayant interrompu ses études en soins infirmiers incompatibles avec sa situation de maman, Gabriella s’est battue pour maintenir la tête hors de l’eau. Elle a d’abord vécu avec son enfant chez ses parents, puis rejoint la Maisonnée, un foyer pour personnes dans sa situation, avant de disposer, depuis avril 2021, de son propre appartement. Chômeuse en fin de droits, elle termine aujourd’hui un stage à l’Oseo dans la vente de jouets de seconde main et espère trouver un emploi dans le commerce de détail. «Je tourne avec 3000 francs par mois environ. Je suis un peu une artiste en matière de budget, mais je ne me trouve jamais à découvert», ajoute Gabriella qui, révoltée par les injustices sociales, s’est autrefois engagée en politique. «Face aux disparités grandissantes, avec des pauvres qui le sont toujours davantage et des riches de plus en plus riches, j’ai envie de crier. On a tendance à cacher la misère en Suisse. Même ici, l’épicerie est décentrée, à l’abri des regards. Je n’ai pas honte d’être pauvre pour ma part. Je suis riche d’expériences. Je vis chichement, ma vie est compliquée, la charge mentale pesante, je suis à deux doigts de l’épuisement, mais je suis heureuse.» Questionnée sur ce qui lui manque le plus, Gabriella répond:. «De l’énergie et les moyens de faire, de temps à autre, une excursion en Valais», son canton d’adoption. Quant à son job de rêve, elle se verrait bien devenir enseignante. «J’adore transmettre. J’aimerais bien reprendre des études.»

Présentoirs de l'épicderie, identiques à une épicerie "standard".
L’épicerie solidaire compte quelque 2000 produits alimentaires et d’hygiène. © Thierry Porchet

 

«Encore 50 francs à la fin du mois, le bonheur!»

Outre sa vocation d’aide aux plus démunis, Obonmarché a pour mission de favoriser l’insertion professionnelle. Cinq adultes tributaires de l’aide sociale ou issus du domaine de l’asile en profitent. «Ils effectuent des stages pratiques d’un à six mois au maximum qui leur permettent de développer des compétences, de restructurer leur quotidien, d’acquérir une expérience professionnelle. Avec l’idée de les réintégrer dans le marché du travail», note Guillaume Sonnati. Dans cette perspective, un programme personnalisé est établi pour chaque candidat avec son assistant social et un conseiller en insertion. «Un costume trois pièces», illustre le dynamique et enthousiaste responsable, soulignant encore que, au besoin, un formateur d’adultes peut aussi intervenir pour organiser des cours de français, de familiarisation avec les outils informatiques, etc. Depuis janvier dernier, Mélanie*, 30 ans, travaille trois jours par semaine à l’épicerie. La Valaisanne a suivi en France une formation d’etiopsychologie non reconnue dans nos frontières. De retour en Suisse, elle a notamment travaillé comme garde d’enfants, entamé un CFC de gestionnaire de vente arrêté en cours de route ou encore, plus récemment, suivi des cours de massages interrompus par la pandémie. Des problèmes de santé ont largement compliqué le parcours de la trentenaire. Victime d’une relation amoureuse toxique terminée il y a plusieurs années, Mélanie garde les séquelles des coups de son ex-compagnon. «J’espérais pouvoir le changer... J’ai une mâchoire déboîtée, une déviation du bassin, une hernie discale... Mais je suis vivante», raconte la menue jeune femme, qui se plaît beaucoup à l’épicerie. «Top! Une petite structure, une bonne ambiance, beaucoup d’échanges et de partage, un bon encadrement et des denrées de qualité, y compris des produits carnés pour moi qui ai manqué de fer. Et on m’aidera à retrouver du travail à l’issue du stage», résume, souriante, celle qui se débrouille pour survivre avec ses 1067 francs par mois, soit environ 200 francs de plus qu’à l’aide sociale. «J’ai toujours vécu dans la précarité. On s’habitue. On apprend les astuces pour s’en sortir. C’est aussi une chance de savoir se contenter de peu. J’arrive désormais vers la fin du mois avec encore 50 francs dans le portemonnaie. Le bonheur! Le frigo est encore bien rempli et mes deux chats ne manquent de rien.» De son côté, Marc*, 42 ans, a commencé son stage il y a trois jours. Son dos, les muscles de ses jambes le font souffrir après une longue période d’inactivité. Cet ancien vendeur, licencié en 2012 à la suite de son cancer, a effectué depuis différents jobs, en Suisse et à l’étranger. Il rêve aujourd’hui de retrouver un poste fixe dans son domaine. «Parce que j’adore le contact et rendre service. Une vraie motivation pour se lever le matin.»

* Prénoms d’emprunt.

Homme de dos choisit des fruits.
Plusieurs dizaines de clients dans la précarité fréquentent chaque jour l’épicerie. © Thierry Porchet