Dans son dernier rapport, le GIEC donne des pistes sur de nouvelles façons de produire et de consommer afin de ralentir le réchauffement climatique. «Chaque action compte», selon son vice-président
Chaque jour, notre planète doit accueillir, nourrir et supporter plus d’humains. Aujourd’hui, plus de 70% des terres émergées et non recouvertes par les glaces sont utilisées directement par les hommes, selon le très récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), approuvé par les 195 pays membres et présenté à Genève le 8 août dernier. Si l’expansion de l’agriculture, de l’élevage intensif mais aussi l’exploitation des forêts ont permis de nourrir une population croissante, elles ont aussi causé la hausse des émissions de gaz à effet de serre et porté atteinte aux écosystèmes ainsi qu’à la biodiversité. Le rapport est formel: un quart de la surface occupée est dégradée par l’activité humaine.
Le rapport de 1200 pages, interdisciplinaire, souligne l’importance d’agir vite, et de manière globale: notre utilisation actuelle des terres n’étant pas durable, elle a un impact direct sur le changement climatique qui, à son tour, affecte nos sols, créant par exemple des problèmes de désertification.
Pistes
La sonnette d’alarme est tirée; cela dit, les douze experts présents lors de la conférence de presse se montrent encourageants. «Il est possible de changer la donne, s’est exprimée la Française Valérie Masson-Delmotte. Nos terres peuvent nourrir la planète entière, fournir des biomasses pour fabriquer des énergies renouvelables tout en conservant la biodiversité, mais il faut agit maintenant!»
Comment limiter le réchauffement climatique à 1,5 ou en dessous de 2 degrés? Les solutions sont plurielles, existent déjà pour la plupart et touchent toute la chaîne alimentaire. Revoir sa façon de produire (agriculture biologique, rotation des cultures, permaculture, etc.), repenser sa manière de consommer (manger moins de viande, privilégier les circuits courts et les produits de saison, etc.) et en finir avec le gaspillage alimentaire. Le rapport se montre plus précis: «Des régimes équilibrés reposant sur des aliments à base de plantes, tels que ceux fondés sur les céréales secondaires, les légumineuses, les fruits et les légumes, les fruits à coque et les graines et des aliments d'origine animale produits dans des systèmes résilients, durables et à faibles émissions de gaz à effet de serre présentent d'importantes opportunités.»
D’autres stratégies de développement durable sont évoquées, comme la réduction de la déforestation, le reboisement ou encore des solutions fondées sur les bioénergies, ces dernières visant à produire de l’énergie tout en retirant du CO2 de l’atmosphère.
«Le GIEC ne prend pas position et ne fait aucune recommandation, insiste le Britannique Jim Skea. Il se contente de faire un état des lieux précis de la situation. Nous n’imposons donc aucun régime alimentaire, mais il est évident que l’empreinte carbone est plus importante lorsque l’on consomme de la viande.»
Accompagner le changement
Les gouvernements peuvent aussi largement s’inspirer de ce rapport, le plus complet à ce jour sur le sujet. Afin de réhabiliter et de restaurer les sols, le GIEC propose qu’ils investissent et qu’ils accompagnent les exploitants dans la transition vers des technologies et des pratiques de gestion durable des terres, «rentables dans les trois à dix ans». «Il ne s’agit pas seulement d’encourager la coopération entre les pays du Nord et du Sud, souligne Debra Roberts, d’Afrique du Sud. Il est question de permettre à tous les exploitants d’accéder au financement pour changer leur façon de faire.»
Ils ont également un rôle à jouer dans les politiques de santé publique quant à l’évolution de nos régimes alimentaires. Enfin, le GIEC suggère le développement des technologies telles que les applications, les drones ou encore les capteurs pour mesurer les évolutions des sols et la désertification.
Le GIEC insiste: si beaucoup de chemin peut être fait dans le domaine de l’utilisation des terres, son amélioration ne suffira pas, à elle seule, à freiner le changement climatique et l’insécurité alimentaire. Sortir des énergies fossiles reste l’un des piliers. Un nouveau rapport du GIEC sur les océans et la cryosphère sera en outre publié fin septembre.
«Chaque action compte»
Entre deux portes, deux questions à Youba Sokona, hydrologue malien et vice-président du GIEC
Durant la réunion du GIEC, de jeunes militants européens de la cause climatique se sont retrouvés à Lausanne. Que pensez-vous de leur mobilisation?
Nous avons justement une rencontre prévue avec eux dans quelques instants (sourire). C’est une initiative importante qui suit la ligne de la conclusion du rapport spécial du GIEC sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C. Je suis très heureux qu’ils se saisissent de ces questions. Ils nous rappellent que chaque action compte, même petite. Qu’on les lance aux niveaux individuel, régional, national ou global: à tous les niveaux, c’est bénéfique.
Le GIEC refuse de prendre position, mais à l’heure de l’urgence climatique, n’est-il pas nécessaire de bousculer les Etats?
Notre premier rapport indique clairement que si des mesures concrètes ne sont pas prises maintenant, il sera impossible d’atteindre les objectifs que les gouvernements se sont fixés dans le cadre de l’Accord de Paris. Si les émissions nettes ne sont pas réduites de 45% d’ici à 2030, il sera impossible de réagir avec nos technologies actuelles, et les autres n’ont pas encore prouvé leur efficacité.