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Contrat avec le vivant

Portrait de Ondine Yaffi.
@ Olivier Vogelsang

Ondine Yaffi, ni dieux ni maîtres, mais un sens prononcé du partage et de la nécessité inconditionnelle de vivre en accord avec ses principes.

En rupture avec le système capitaliste néolibéral, Ondine Yaffi se définit comme une exploratrice d’un autre modèle économique et social. Une posture radicale, courageuse et intègre

Ondine Yaffi vit comme elle pense. Hors système. Dans une forme d’illégalité assumée. En paix avec ce qu’elle redonne au monde et le contrat conclu entre elle et le vivant. Cette rebelle sensible, à la réflexion aiguisée, appréciant peindre, écrire et chanter, explore un autre modèle économique et social. Et tourne avec trois fois rien, donnant des coups de main à son voisinage direct. Engagée dans une dynamique de dons mutuels. La «marginale» de 40 ans incarne l’idée qu’on peut vivre différemment «avec peu et pourtant dans l’abondance, et sans gaspiller». Autodidacte, elle est aussi à l’aise dans la rédaction d’articles – elle a notamment écrit pour Bon pour la tête – que dans le maniement d’outils. Et a récemment posé son baluchon dans une ancienne ferme à La Vraconnaz, sur la commune vaudoise de Sainte-Croix. Une bâtisse en piteux état que la bricoleuse retape et loue avec son compagnon pour une bouchée de pain. Dans ses vieux murs sis au cœur d’un écrin de verdure, Ondine Yaffi a pris un nouveau départ. Et rêve de créer un lieu ouvert et chaleureux. Une maison «magique» où elle pourra accueillir «sa tribu» mais aussi des créateurs, des gens de passage. Un havre où l’on pourra échanger, partager. Ce projet succède à des années de vie consacrées à l’organisation de collectifs culturels autogérés dans des usines désaffectées comme la Baze à Sainte-Croix, anciennement le Pantographe à Moutier. Des expériences qui ont forgé la personnalité de l’ancienne occupante. Non sans générer pas mal de désillusions entre les limites et les paradoxes de structures aux visées idéales face à un monde «prédateur, sexiste, violent» et les désaccords internes.

Dons mutuels

«J’ai tourné la page. Trop d’ego, de concepts, de dogmes et de non-dogmes qui enferment, de pièges cérébraux. J’aspire au calme, à l’équilibre», lance-t-elle pensive, de la déception et de la fatigue dans la voix. On la sent blessée... Mais pas de quoi détourner la jeune quadragénaire du chemin choisi. Aujourd’hui, Ondine Yaffi cultive des liens forts dans son entourage direct, offrant son soutien au voisinage sans attendre de contreparties financières. Et affirmant, dès lors, recevoir bien davantage que si elle monnayait son temps. Elle aide par exemple sa voisine et désormais amie dans la gestion d’un cinéma qui, de son côté, la gratifie de cadeaux. Idem avec un paysan du coin à qui elle donne des coups de main en surveillant son bétail. Elle prend soin d’une personne âgée malade... Ondine Yaffi s’investit sans compter auprès de ceux qui la côtoient, avec attention, bienveillance et humilité. Défendant la notion d’économie circulaire et solidaire. «Les personnes me partagent ce qu’elles ont en trop. J’ai divisé mes besoins en argent par dix», souligne celle qui envisage aussi de créer un potager et, une fois installée, réalisera également des savons et des remèdes à base de plantes médicinales. Une activité déjà éprouvée. «Les articles seront proposés à prix libre, je mettrai une tirelire», ajoute la nouvelle venue qui ne s’inquiète pas pour le loyer grâce à l’argent gagné par son ami au Festival de la Cité à Lausanne. «Nous serons tranquilles pour une année.» Un éventail de solutions de subsistance en accord avec la posture sans concession adoptée, qui a poussé cette femme aussi entêtée qu’attachante dans l’illégalité...

Héritière, orpheline et ennemie

D’origine française née à Genève, Ondine Yaffi a toujours vécu dans nos frontières. Elle s’est pourtant vu retirer son permis C en l’absence d’adresses de domicile: l’antisystème a habité dans une cabane, un tipi, des maisons occupées – objets d’arrangement avec les propriétaires – un autocar... «Absurde! De toute façon, je suis opposée au principe d’appartenir à un Etat, une commune. Et je ne fais rien d’autre que de partager tout ce que j’ai et mon temps», s’indigne la quadragénaire. Qui s’est aussi plusieurs fois mise en porte-à-faux avec la loi, refusant de payer ses déplacements en train. Cette attitude lui a valu quantité de procès-verbaux et parfois des jours-amende en prison. Pas de quoi la déstabiliser. Livres et échanges avec d’autres détenues ont donné du sens à ce temps entravé. La rebelle ne cotise pas non plus à l’assurance maladie, dénonçant un système «qui gagne de l’argent» sur la mauvaise santé des personnes. Ondine Yaffi a également tourné le dos aux milieux militants qui «tentent de concilier des choses inconciliables». Même les mouvements en faveur des femmes la déçoivent, critiqués pour leur reproduction de «combats binaires». «J’ai besoin des hommes et suis naturellement féministe sans avoir besoin de le clamer.» Des opinions et des choix d’existence qui l’isolent... «Je me sens très seule. Je suis l’héritière de millions d’années d’évolution, de culture, de savoir-faire et l’orpheline d’une humanité qui s’est égarée n’ayant pas conscience de son héritage. Je suis la plus fidèle ennemie de tout ce qui se positionne en prédation du vivant», affirme la rebelle non sans s’interroger, elle qui consacre son énergie au service des valeurs qui l’animent.

Agitation dans un bocal

«Je vois des gens s’agiter dans un bocal plongé dans l’océan alors qu’ils sont libres et peuvent dire non. Cela m’attriste. Des consciences s’ouvrent mais les démarches restent inscrites dans une pensée capitaliste, patriarcale.» Pessimiste quant au futur – «On pêchera jusqu’au dernier poisson, on forera jusqu’à la dernière goutte de pétrole» – Ondine Yaffi garde malgré tout confiance en l’être humain. En sa capacité de résilience et d’entraide. Et vit dans le présent affirmant être «indécemment heureuse». Mère de deux grands fils avec qui elle entretient d’excellentes relations, la Genevoise n’a jamais dévié de son cap. A la fin de l’école obligatoire, elle a quitté le domicile familial, voyagé, vécu de petits boulots, sans jamais profiter du système décrié ou nuire à autrui. Sa peau tatouée, comme un livre codé, raconte plusieurs étapes de son existence. «J’ai toujours beaucoup travaillé», ajoute cette personne inspirante qui se ressource avec son amoureux et dans la simplicité. Une simplicité liée à un sentiment de se trouver à sa juste place. Sans doute. Sans peur.