La photographe Jessie Schaer participe à une exposition collective au Musée de l’Elysée à Lausanne. La reconnaissance d’un travail original
Pas de photos prises sur le vif. Mais la quête d’un cadre, l’utilisation de matériaux triés sur le volet, et le souci d’une lumière servant ses desseins. Jessie Schaer crée ses clichés, s’écartant volontiers du réel. Avec une dimension artistique évidente. Et un souci de recherche et d’expérimentation. «Je suis comme un chimiste dans son laboratoire qui tenterait de réaliser le meilleur parfum, pareille à un peintre devant sa toile», image la jeune femme de 23 ans, qui se distingue dans son travail par la sobriété des décors choisis, des lignes épurées, une gamme de couleurs restreinte et une indéniable poésie. Une volonté assumée de limiter le nombre d’accroches visuelles présentes sur ses photographies, permettant ainsi aussi aux spectateurs une meilleure appropriation de ses œuvres. «Chacun les interprète alors selon sa sensibilité propre. C’est également une manière de faire écho à la pluralité des perceptions», explique la Vaudoise. Au volant de sa voiture, le coffre rempli de matériel utile à ses créations – bois, métal, câbles électriques, tissus, etc. – cette solitaire sillonne le paysage entre Vevey et Sainte-Croix afin de trouver le meilleur emplacement pour ses prises de vue. La courbe que dessine un champ, le rectiligne d’une construction en béton, la démarcation d’une forêt, le rendu d’une matière... sont autant d’éléments susceptibles de retenir le regard de cette femme indépendante qui ne craint pas la solitude de ses virées créatives. Les «accessoires emportés» sont, quant à eux, détournés dans des versions esthétiques. Croquis et notes précèdent souvent la démarche de Jessie Schaer qui devra aussi pouvoir miser sur une météo complice.
Lancer de drap
«Je mets en place des installations éphémères. Je travaille de la même manière que dans un studio mais à l’extérieur, réalisant des clichés qui, sans mon intervention, n’existent pas», détaille encore la photographe, parlant du travail – «Perception, du vide à la forme» – présenté au Musée de l’Elysée à Lausanne dans le cadre de l’exposition collective reGénération. Une initiative qui valorise de jeunes talents internationaux. «Trente-cinq projets ont été sélectionnés dont le mien. Je n’y croyais pas», poursuit la passionnée qui, à travers ses microperformances, ses jeux avec les formes, le corps, des objets du quotidien, a séduit le jury. Un exemple d’une image retenue? «Je me suis couverte d’un drap, puis l’ai lancé. J’ai utilisé la fonction “retardateur de déclenchement” de ma caméra, immortalisant l’objet en suspension, dans un environnement choisi avec soin. Chaque lancé a donné lieu à une photo unique en termes de forme et de lumière jusqu’à trouver la meilleure.» A la clef, une création belle et mystérieuse.
L’intérêt que voue Jessie Schaer à son art remonte à sa prime jeunesse: «Mon enfance a été spéciale. J’étais souvent seule. Ma maman m’a offert un appareil photo à Noël. J’avais 11 ou 12 ans.» Un cadeau qui ne quittera plus l’adolescente d’alors préférant toutefois aux clichés souvenirs réaliser des photos de ses mises en scène.
Les mots du cœur
«J’utilisais des chaises, un mannequin, j’organisais des ombres avec des lampes de bureau... Je recourais par ailleurs souvent à l’autoportrait, trop timide pour demander à des personnes de poser», raconte la délicate jeune femme, qui va aussi se familiariser avec la vidéo. Des clips où cette sportive, qui a fait des années d’athlétisme et de cirque, se filme en dansant, laissant son corps traduire ses émotions. Publiées sur les réseaux sociaux, ses créations rencontrent des échos positifs, encourageant Jessie Schaer à se lancer en professionnel dans l’aventure.
«La photo est venue à moi. Le déclic s’est opéré de manière naturelle», affirme la diplômée de l’école de photographie de Vevey, qui poursuit aujourd’hui ses études à la Haute école d’art et de design à Genève en vue de l’obtention d’un bachelor dans le domaine visuel. «Mon but? Apprendre à travailler le bois et le métal. J’ai besoin de mettre mes mains dans la matière», explique celle qui a aussi choisi les mots pour raconter la relation «compliquée avec un père absent», décédé il y a cinq ans. Un récit paru sous le titre Ne t’en fais pas. «Une sorte de journal intime dans lequel j’ai exprimé ce que j’avais sur le cœur. Si nous avions des rapports plutôt conflictuels, il a contribué à forger mon caractère. Et je le remercie pour cela.»
Sortir des cases
Explorant plusieurs médiums, Jessie Schaer rêve de fonder un collectif réunissant des créateurs dans des disciplines plurielles. Un projet qui, s’il échoue, poussera probablement la passionnée dans l’enseignement de la photographie et d’autres supports. «Tous se complètent et se nourrissent les uns les autres. Je trouve important de sortir des cases, de privilégier la polyvalence.» Un commentaire en phase avec la personnalité de Jessie Schaer, à l’aise dans différents milieux. «Je suis un peu un caméléon. J’apprécie d’élargir mon regard, de rencontrer des personnes de tous horizons», souligne la Vaudoise qui, si elle aime la vie, confie frayer aussi avec une certaine mélancolie. «C’est un peu les montagnes russes», sourit la photographe, tantôt animée d’une grande confiance en elle et son travail, puis rongée par le doute. «Ma plus grande peur? Ne pas atteindre mes objectifs. Echouer à réaliser mes rêves. Etre déçue de moi», répond après un silence hésitant l’artiste qui, quand tout va mal, préfère laisser libre cours à ses émotions. «J’écoute alors de la musique très triste, me poussant au fond du malheur. Je pleure. Cela soulage énormément. Et j’attends que cela passe, en m’orientant sur les éléments positifs de mon existence», précise cette native de la Balance qui, si elle devait réaliser un autoportrait, opterait pour la représentation d’un corps aux teintes sombres où interviendrait un rai de lumière, «pour amener de la chaleur». Une image où s’exprimeraient, à n’en pas douter, son indéniable sens esthétique et une sensibilité à fleur de peau...