Des salariés témoignent de la persistance d’un climat délétère dans la société de haute horlogerie genevoise. Unia demande un audit indépendant
Les conditions de travail semblent toujours aussi pénibles chez Patek Philippe. Pour mémoire, la manufacture genevoise avait défrayé la chronique horlogère au printemps 2021. Soutenus par Unia, des employés et des ex-salariés avaient témoigné du stress, du harcèlement, du mobbing ou encore, pour l’un, du racisme, dont ils étaient victimes. Certains avaient été licenciés après avoir dénoncé ces faits à la hiérarchie, les autres étant poussés à se taire sous peine d’être sanctionnés. Le syndicat avait saisi l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail, qui avait constaté des «pratiques managériales et des lacunes en matière de prévention des risques psychosociaux», ayant un «impact sur la santé du personnel», et requis des mesures de mise en conformité. La direction de l’entreprise s’était alors excusée et engagée à identifier les problèmes et à favoriser le dialogue.
«Nous avons pu désigner deux délégués syndicaux, participer à des séances paritaires et tenir des échanges avec l’entreprise. L’avancée est réelle, mais reste insuffisante», explique Alejo Patiño, secrétaire syndical d’Unia Genève en charge de l’horlogerie. Si Patek Philippe a mandaté une société spécialisée dans la santé au travail et les risques psychosociaux, PMSE, pour mener une évaluation, celle-ci se révèle «problématique», selon le syndicaliste. «Tous les travailleurs ne sont pas entendus, comme ceux en arrêt maladie. Et les salariés sont invités à s’exprimer lors de séances collectives alors que l’on sait qu’il est parfois difficile de s’ouvrir devant des collègues. Pire, un responsable de PMSE a été engagé en tant que chef de la cellule risques psychosociaux de Patek Philippe alors que l’enquête est toujours en cours.»
«Je viens avec la boule au ventre»
«Cela nuit gravement à la confiance que nous pouvons avoir aussi bien dans l’entreprise que dans l’enquête de PMSE», affirme Antonio*, un salarié. «Nos chefs n’ont pas peur de la hiérarchie parce qu’ils se sentent protégés. Le chef a toujours raison. Le mien m’a pris en grippe et, tous les jours, il me harcèle, n’hésitant pas à me rabaisser devant la relève d’équipe alors que j’ai beaucoup d’ancienneté et d’expérience. J’espère qu’il va sauter ou que je vais changer d’atelier, mais les jours, les semaines et les mois passent, rien ne bouge, je viens travailler avec la boule au ventre et j’attends les vacances avec impatience.»
«Les 80% des RH ont été changés depuis 2021, mais l’ADN reste le même, il y a toujours autant de pression, de rabaissement, d’humiliation, de peur, et les RH surprotègent les responsables», souligne un autre horloger, Giovanni*. Lui aussi a fait l’expérience d’être dans le viseur d’un chef. «Du jour au lendemain, j’étais le plus mauvais des employés, à licencier.» Il en a fait un burn-out. «La performance que l’on nous demande est tellement haute que nous sommes complètement aliénés. Nous sommes crevés lorsque nous sortons et, en plus, nous subissons les pressions des supérieurs, il est impossible de ne pas péter un câble.»
Unia demande qu’un autre organisme, indépendant, soit mandaté pour mener un audit sérieux, indique Alejo Patiño. «Le syndicat doit avoir accès à la procédure et à l’ensemble des conclusions, il en va de la crédibilité de la démarche. Nous en avions fait la demande, mais cela nous a été refusé.»