Des lendemains qui chantent à la peur du lendemain
Ça paraît tellement loin, et pourtant c'était hier. Souvenez-vous. Fin 2018, la Grève du climat, lancée par Greta Thunberg en Suède, fait tache d'huile dans le monde entier. Sous la pression de la jeunesse, la problématique du réchauffement climatique est inscrite parmi les priorités à l’agenda politique. Les élus de tous bords se convertissent à l'écologie, avec plus ou moins de sincérité. S'ensuit une vague verte qui déferle sur de nombreux scrutins électoraux. L'urgence climatique est décrétée dans les Parlements. On nous promet un monde et une économie décarbonés. Les gens jurent de renoncer à l'avion et à la viande, et de ne plus changer de smartphone ou de garde-robe à tout bout de champ.
Un an plus tard, la pandémie de Covid met la planète sur «pause». Les avions sont de fait cloués au sol, même si la lutte contre le changement climatique n'y est pour rien. Le gel des activités économiques non essentielles impose un sérieux coup de frein à notre frénésie consumériste, et les nombreux salariés et salariées au chômage forcé – ce qui est toutefois loin d'être le cas de tout le monde – redécouvrent qu'il y a une vie après le travail. En quête de sens ou d'une meilleure qualité de vie, beaucoup quittent leur emploi, emportés par l'élan de la Grande Démission. La brutale prise de conscience de notre dépendance envers l'industrie chinoise, notamment soulignée par la pénurie de masques hygiéniques, rend plus flagrantes que jamais les limites de la mondialisation à tout crin. On ne parle plus alors que du «monde d'après», riche en promesses d'une vie meilleure.
Seulement voilà, en quelques années à peine, on est passé sans transition des lendemains qui chantent à la peur du lendemain. Les guerres en Ukraine et au Proche-Orient ont ravivé le spectre d'un conflit à large échelle. La crise énergétique déclenchée par l'agression russe sur son voisin est en train de remettre le nucléaire au goût du jour. Avec la récession, la remise en cause du consumérisme a cédé le pas à l'obsession du porte-monnaie, et dans les programmes électoraux, les thèmes du pouvoir d'achat et de la sécurité ont supplanté celui du climat. Du coup, les Verts reperdent du terrain dans les urnes, au profit des populistes et de l’extrême droite, comme on l'a vu aux élections européennes ou récemment aux municipales genevoises. Aujourd'hui, hélas, les bruits de bottes nous ont rendus sourds aux autres défis de l'époque. De plus, la dépendance de l'Europe envers la puissance militaire des Etats-Unis est cruellement mise en lumière par la diplomatie de marchand de tapis de Donald Trump. Et désormais, quand on parle de réindustrialiser le Vieux-Continent, c'est surtout pour produire des armes. Y a pas à dire, le monde d'après, c'était mieux avant...