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Elle donne une voix aux victimes de guerre

Portrait de Maurine Mercier.
© DR

La semaine dernière, dans le centre-ville de Dnipro, en Ukraine, la journaliste Maurine Mercier a demandé à une bonne âme de la prendre en photo.

Après six ans en Afrique du Nord, la journaliste Maurine Mercier a posé ses valises en Ukraine pour tenter de comprendre

Sa voix grave fait vibrer les ondes, tout autant que ses reportages puissants, qui donnent la parole à celles et ceux qui vivent les violences des guerres ou de l’exil. Journaliste, Maurine Mercier a sillonné la Libye, la Tunisie, et embarqué sur le bateau de sauvetage SOS Méditerranée, entre autres dangers physiques et émotionnels.

En 2014, elle avait couvert la guerre dans le Donbass. Huit ans après, au début de l’invasion par la Russie en février, elle est retournée en Ukraine. Avant de décider d’y vivre. Après un été à se ressourcer dans les montagnes suisses, la Vaudoise a emménagé à Kiev peu avant les 6 mois de l’invasion russe et le début de la contre-offensive ukrainienne.

«J’ai besoin de comprendre et de faire comprendre. C’est ce qui m’a fait partir à Tunis après les printemps arabes, alors que les médias n’en parlaient presque plus. J’essaie de combattre, à mon échelle, ce déséquilibre médiatique, entre overdose et indifférence», explique-t-elle au téléphone, avec calme et chaleur, lors d’un rare répit. Car, depuis un mois, la reporter ne dort pas plus de 3 heures par nuit et se nourrit de pain. «Alors qu’il y a tout ce qu’il faut dans les magasins, je ne prends pas le temps de cuisiner», précise-t-elle, sans se plaindre. La stakhanoviste cumule, en effet, les reportages et les heures de travail. Des doubles journées où les interviews du jour sont montées la nuit avant leur diffusion sur de multiples radios francophones, dont la RTS.

Accompagnée d’une interprète, une professeure d’anglais devenue sa complice de terrain, elle va à la rencontre des gens, mue par sa curiosité insatiable et son amour de l’humain. Ses armes: le temps, l’empathie, l’écoute, l’humanité... Pour ne rien manquer, Maurine Mercier laisse tourner son enregistreur pendant des heures. «Je prends le temps, je respecte mes interlocuteurs, et je ne les lâche pas. C’est une sorte de danse», raconte-t-elle. Elle sait aussi taire les confidences destinées au tête-à-tête ou qui pourraient mettre son interlocuteur en danger, malgré le grand atout qu’offre le micro: l’anonymat. «La radio est magique. Elle restitue la parole sans filtre, au contraire de l’écriture, et offre beaucoup plus de liberté qu’une caméra», raconte la Vaudoise et Québécoise, qui a débuté à la télévision, puis a travaillé notamment aux Matinales de Couleur 3, dont elle garde des souvenirs rayonnants, malgré les réveils douloureux à 3 heures du matin.

Passion du monde

C’est sa passion des gens et du voyage qui l’ont amenée à embrasser le journalisme. Son déclic: une exposition du photographe Salgado au Musée de l’Elysée. «Je devais avoir 8 ans et je détestais les musées. Or, à ce moment-là, j’ai pris conscience que le monde existait. Le journalisme – mais cela aurait pu être l’aide humanitaire – a été d’abord un moyen de voyager.» Pendant ses études en relations internationales, elle passera quatre mois à Cuba, puis découvrira l’Argentine, le Chili, la Bolivie, le Venezuela… La Chine aussi.

De mère québécoise, elle se sent résolument binationale. «J’ai toujours eu l’impression de n’avoir pas les codes pour être totalement intégrée dans le canton de Vaud», rit celle qui aime le côté chaleureux et tactile des gens de l’autre côté de l’Atlantique ou de la Méditerranée.

En 2016, à 35 ans, elle s’installe à Tunis. «Je m’y suis sentie bien, tout de suite. Les gens non seulement t’accueillent, mais t’adoptent», raconte-t-elle avec émotion, en pensant à ses nombreux amis, si loin. Elle se rend alors régulièrement en Libye, découvre la guerre et ses ambivalences. «On vit d’autant plus qu’on peut mourir une seconde plus tard. Les gens en sont conscients sur place. On oublie parfois à quel point la vie est précieuse, surtout en Suisse, dont la situation représente une anomalie dans ce monde. La normalité est ailleurs.»

D’une extrême sensibilité et d’une grande générosité, elle préfère rester discrète sur sa vie privée. Mariée à un homme «merveilleux» qui la suit tant que possible dans ses pérégrinations, elle ne s’est jamais imaginé devenir mère. «On ne peut pas tout faire dans la vie. Et surtout, je n’ai pas envie d’enfants, même si je les aime!» lâche-t-elle simplement.

La bonté humaine

Maurine Mercier ne se sent pas en mission, le journalisme n’ayant, selon elle, pas le pouvoir de changer le monde. «Je crois que l’être humain a une propension à réitérer les mêmes erreurs tant sa mémoire est courte. L’humain est ce qu’il est. En chacun de nous, il y a une part très obscure. C’est important de la connaître pour développer la lumière.» Sa lucidité ne l’empêche pas d’avoir une vision positive de l’humain. «Les 98% des personnes sont formidables! En Libye, comme ailleurs, c’est l’infime minorité qui est infiniment nuisible.»

Pour faire face aux témoignages de viols ou aux visions des corps torturés ou des morts, la journaliste débriefe régulièrement avec une ancienne déléguée du CICR. «Sur le terrain, je pleure quand il le faut. Et le rire est un formidable exutoire. C’est une manière de vomir ce qu’on a vu durant la journée.»

Le sentiment de peur, elle en parle comme d’une alliée. «La peur est essentielle, car elle te permet d’avoir des antennes, de sentir les limites. Par contre, la panique est mauvaise conseillère. En tant que femme, je suis hyperattentive quand je suis avec des groupes d’hommes. Mais c’est aussi un atout, car les gens se confient davantage. Le fait que j’ai décidé de vivre ici m’ouvre aussi des portes. Les gens me remercient.»

Primée par le Swiss Press Award à deux reprises, elle est sélectionnée pour le prix Bayeux qui rend hommage aux correspondants de guerre. «Mon travail est reconnu et ça fait du bien. Mais cela permet surtout aux personnes qui ont témoigné, notamment des femmes violées sur les routes de l’exil, ou à Boutcha en Ukraine, d’être entendues plus largement», souligne celle qui ne se définit pas comme «reporter de guerre», mais comme «une journaliste qui couvre des pays qui subissent la guerre, mais où la vie est intense».