Face aux tirs russes, les syndicats se réinventent
Le 25 février, des syndicats ukrainiens, européens et internationaux se sont réunis pour marquer les trois ans de guerre en Ukraine. Le point avec l’Union syndicale suisse.
«Trois ans de résistance héroïque et de travail pour protéger l'indépendance de l'Ukraine et la sécurité européenne». C’est sur ce thème que les syndicats ukrainiens et d’autres faîtières membres de la Confédération syndicale internationale (CSI) et de la Confédération européenne des syndicats (CES) se sont réunis, le 25 février, en ligne. Luca Cirigliano, secrétaire central responsable des dossiers internationaux de l’Union syndicale suisse (USS), a participé à l’événement.
Comment s’est passée cette rencontre et quelle est la situation sur place?
Tout d’abord, j’ai été surpris par le nombre de participants: plus de 170 personnes, ce qui est rare pour un événement en ligne. Mais, surtout, j’ai été impressionné par le travail remarquable des syndicats dans les villes en guerre, parfois à seulement quelques kilomètres du front. A Kharkiv, deux syndicalistes ont montré en vidéo la destruction du bâtiment de syndicats qui a été clairement visé par les bombardements russes. Il faut rappeler aussi que les hôpitaux et les arrêts de bus, donc les civils, sont délibérément pris pour cible. Dans les territoires occupés, des employés dans les secteurs des infrastructures ou de l’énergie, ainsi que des instituteurs opposés à la guerre, sont persécutés. Le travail forcé est utilisé pour déminer des sites, incinérer les morts… Il y a aussi les déportations de masse dans des goulags, les disparitions, les tortures…
Quelle est la marge de manœuvre des syndicats ukrainiens?
Dans les régions sous occupation, les syndicats ukrainiens libres FPU (Fédération des syndicats d’Ukraine) et KVPU (Confédération des syndicats libres d'Ukraine), considérés comme des organisations terroristes, ont été démantelés et remplacés par le FNPR russe (Fédération des syndicats indépendants de Russie) qui, malgré son nom, est fidèle au régime de Poutine.
En Ukraine, ils ont dû se réinventer, survivre avec moins d’argent. Beaucoup de leurs membres ne travaillent plus, parce qu’ils ont été enrôlés dans l’armée, ont dû fuir ou… sont morts. Malgré tout, les syndicats restent des porte-paroles du monde du travail, n’hésitent pas à critiquer les politiques néolibérales de leur gouvernement et à participer à la législation sur le droit du travail, tout en vivant littéralement sous les bombes russes.
En 2024, l’Ukraine est devenue, pour la première fois, membre du conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT). Après trois ans de guerre totale, les syndicats ukrainiens, avec la société civile et les ONG, ont réussi à se réinventer et à être des acteurs de la reconstruction.
N’est-ce pas un peu tôt de parler de reconstruction, alors que la guerre continue et que l’arrivée de Trump au pouvoir rebat les cartes?
En fait, la reconstruction est nécessaire à tout moment. Dès qu’il y a une attaque sur les infrastructures par exemple, il faut réparer. Que ce soit une ligne électrique ou un toit de maison.
Quant aux Américains, même s’ils n’étaient pas toujours en faveur des droits humains, cette volte-face de Trump qui rejoint le camp de la Russie, de la Chine et de la Corée du Nord et s’oppose au respect du droit international, c’est du jamais-vu! Par ailleurs, pour certains pays en voie de développement, la pression est énorme – il leur est difficile de voter contre ces puissances. Cela signifie que l’Europe doit repenser la situation. La Lituanie et les pays Baltes sont très inquiets. Des collègues moldaves expriment leur grande préoccupation quant à leur sécurité physique, face à l’évolution de la situation. L’Ukraine est le focus aujourd’hui, mais d’autres pays européens pourraient être touchés. Un collègue des syndicats américains a aussi questionné, lors de la rencontre du 25 février, le rôle déstabilisant des Etats-Unis à l’échelle de la planète, et a partagé sa grande préoccupation pour les droits des travailleuses et des travailleurs, et pour la démocratie.
Les syndicats européens se penchent sur l’Ukraine, mais qu’en est-il des autres pays en guerre, comme la Palestine, la République démocratique du Congo ou le Soudan?
C’est impossible d’établir une échelle des douleurs. Il y a en effet Gaza, le Soudan, le Congo, mais aussi Haïti et encore beaucoup d’autres horreurs… Reste que nous n’avons pas de liens aussi directs qu’avec les camarades ukrainiens qui font partie de structures syndicales européennes et qui nous demandent directement leur soutien.
En quoi consiste la solidarité syndicale internationale dans ce conflit?
Comme l’OIT a son siège à Genève, l’USS a un rôle important de soutien organisationnel. Par ailleurs, Unia, par exemple, a envoyé de l’aide très pratique, notamment en partageant ses connaissances concernant la problématique de l’amiante, omniprésent dans les bâtiments détruits en Ukraine. Lors de la reconstruction, les travailleurs ne se protégeaient pas, et les syndicats se sont rendu compte de l’urgence d’agir. Les organisations Solifonds et Solidar, soutenues par les syndicats, font également beaucoup. Plusieurs collectes syndicales ont été versées aux faîtières syndicales en Ukraine et dans les pays voisins pour l’accueil des réfugiés. Le président de l’USS, Pierre-Yves Maillard, a également, comme parlementaire, été très actif pour sanctionner la Russie dès le début de la guerre.
Plus largement, les syndicats représentent une force de paix et sont là pour protéger les travailleuses et les travailleurs. La CSI et la CSE ont d’ailleurs lancé une campagne pour la liberté et la démocratie dans le monde.