Fumer, une pratique de droite!

«Au-delà des arguments médicaux, l’arrêt du tabac est la seule alternative politiquement justifiable si on se considère anticapitaliste.» Cette phrase résume à elle seule la philosophie d’Olivier Milleron, cardiologue hospitalier, militant du service public et ancien fumeur, qui a récemment publié Pourquoi fumer, c’est de droite, un ouvrage qui brise beaucoup de tabous.

Identification aux classes dirigeantes
Le tabac est nocif, individuellement et collectivement. Mais pourquoi a-t-il connu un tel succès? Le D^r Olivier Milleron avance les explications suivantes: le tabac est un produit qui a joui à l’origine de son caractère exotique (c’est une plante du Nouveau Monde); on lui a trouvé des vertus thérapeutiques (même récemment en disant que fumer protégerait du Covid) jusqu’à ce qu’on arrive à prouver ses effets néfastes sur la santé; fumer a une signification symbolique, mystique et psychanalytique forte; sa consommation permettait une identification aux classes dirigeantes qui l’ont adopté au XVI^e siècle, aux stars qui en feront la promotion au XX^e siècle, à la virilité et à la liberté grâce au travail de la publicité et, enfin, sa commercialisation qualifiée de très rentable, car les coûts de production sont faibles.

Acteur du capitalisme
Le D^r Olivier Milleron s’attache à dénoncer l’industrie du tabac non pas sur le plan sanitaire, mais d’un point de vue social et politique, tout en s’étonnant que, dans les cercles de la gauche politique et syndicale qu’il fréquente, la question du tabac en tant qu’acteur du capitalisme n’est jamais soulevée. Et pourtant! La culture du tabac en Amérique est profondément liée au développement de l’esclavage, trouver une main-d’œuvre à bas coût étant primordial pour tirer profit de cette culture, comme de celle de la canne à sucre. Le classement de l’humanité entre les Blancs et les autres contribuera par ailleurs à la division des classes populaires. A la fin du XIX^e siècle, la production du tabac entre dans une phase de forte industrialisation. Un jeune mécanicien américain, James Bronsack, invente une machine capable de fabriquer 120000 cigarettes par jour, alors que les ventes de l’entreprise Duke, toujours aux Etats-Unis, passent de 30 millions de cigarettes en 1883 à 100 millions en 1889. Les 20% des bénéfices sont réinvestis dans la publicité.

Pouvoir sexuel du mâle
Selon les psychanalystes lacaniens, la cigarette est un symbole phallique, «parce qu’elle évoque l’organe masculin et qu’elle a été longtemps réservée aux hommes et surtout parce qu’elle représente la puissance de feu, l’arme absolue, le bâton de pouvoir». A partir de là, le D^r Olivier Milleron formule cette hypothèse: «Le fait de porter une cigarette, symbole phallique, à la bouche des femmes, serait un début de prise de pouvoir sur les hommes, de même que prendre la parole en public.» Il s’appuie sur une étude portant sur 109 pays qui fait apparaître ces deux extrêmes: l’Islande et la Suède (où les femmes fument plus que les hommes) ont un indice de participation politique, sociale et économique des femmes élevé; à l’autre pôle, on trouve l’Iran, l’Algérie et l’Arabie saoudite, pays dans lesquels les femmes fument peu et participent peu à la vie collective.

Liberté de droite
Le tabac est synonyme de travail des enfants (en 2011, plus de 1,3 million d’enfants de moins de 14 ans travaillaient dans des champs de tabac dans le monde), de dumping social et environnemental, de manipulation des recherches scientifiques sur les effets du tabac par les multinationales de la branche (alors que le tabagisme fait 7 millions de morts par année, surtout dans les pays pauvres). Des pratiques qui mettent la santé, mais aussi la démocratie en danger. D’où cette conclusion du D^r Olivier Milleron: «Oui, fumer, c’est de droite et arrêter de fumer est un acte politique!» Fumeurs de gauche, il est temps de faire votre autocritique!