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Genève prouve que l’ubérisation n’est pas une fatalité

Umberto Bandiera dans une mobilisation
© Neil Labrador/Archives

«Malgré une crise générale, nous sommes parvenus cette année et pour la première fois au monde à faire plier ces multinationales présentes à Genève, elles ont finalement signé des contrats avec leurs livreurs», se réjouit Umberto Bandiera, ici lors d’une action menée par Unia en novembre 2018, peu après l’arrivée d’Uber Eats en Suisse. Une mobilisation parmi d’autres qui aura porté ses fruits.

Alors que toutes les sociétés de livraison de repas actives au bout du lac reconnaissent le statut de salarié de leurs employés, la justice genevoise donne raison à l’Etat contre Uber

Genève est avec Zurich un laboratoire de l’ubérisation. C’est en effet dans ces deux villes que les plateformes numériques sont les plus actives en Suisse. Mais Genève constitue aussi un modèle de riposte à ces sociétés technologiques qui se jouent des frontières et des lois, notamment des règles sociales. Et on le doit beaucoup à l’activisme d’Unia, qui a organisé deux grèves de chauffeurs d’Uber, en 2017 et en 2018, et qui a harcelé les autorités pour qu’elles interviennent. Celles-ci ont commencé à sérieusement se bouger à la faveur du remplacement de Pierre Maudet par Mauro Poggia à la tête du Département de l’emploi début 2019. Le Canton n’a alors pas hésité à s’attaquer frontalement au géant Uber. Après différentes procédures, la multinationale californienne s’est d’abord fait tordre le bras sur son service Uber Eats. Elle est obligée depuis le 1er septembre dernier de salarier ses livreurs genevois. En arrière-plan, les autres sociétés actives au bout du lac dans la livraison de repas, comme Eats et Smood, ont été poussées à sortir petit à petit de l’illégalité et à se mettre en conformité. Ce n’est pas négligeable, sachant que cette activité a profité du confinement pour prendre son envol. Depuis l’arrivée de la deuxième vague et la fermeture des établissements publics, des centaines de livreurs à vélo sac au dos parcourent la cité en tous sens. «Selon nos estimations, certains restaurants réalisent près de la moitié de leur chiffre d’affaires à travers ces plateformes numériques, la nécessité de faire des contrôles et de réglementer ce secteur est donc indispensable», souligne Umberto Bandiera, secrétaire syndical d’Unia à Genève.

23 francs l’heure à Uber Eats

«Le point positif est que toutes les plateformes numériques actives à Genève dans la livraison de repas reconnaissent désormais le statut de salarié de leurs employés. DeinDeal, la dernière arrivée sur le marché, a bien compris la leçon même si le contenu des contrats de travail n’est pas forcément satisfaisant. Nous contestons en particulier le salaire de base de 20 francs l’heure, qui n’est pas conforme au salaire minimum cantonal de 23 francs.» Unia a obtenu qu’Uber Eats verse à ses employés ce salaire minimum depuis son entrée en vigueur le 1er novembre.

«Malgré une crise générale, nous sommes parvenus cette année et pour la première fois au monde à faire plier ces multinationales présentes à Genève, elles ont finalement signé des contrats avec leurs livreurs. Cela nous permet de disposer d’une base solide de membres qui comprennent les enjeux et l’intérêt de lutter collectivement, cela donne de l’espoir pour la suite, se félicite le secrétaire syndical. Le problème, c’est que, dès qu’on passe la Versoix, on est au point zéro, il y a un manque de volonté politique au niveau des Cantons, c’est inadmissible dans un pays comme la Suisse où le respect de l’état de droit devrait être la règle.»

Pas de casque ni de gel

La lutte se déplace maintenant sur le plan du contenu de ces contrats. «Nous sommes encore éloignés, en matière de salaires ou de vacances, des conditions prévues par la CCT de l’hôtellerie-restauration qui doit s’appliquer. Nous devons aussi trouver un accord en ce qui concerne le matériel et les équipements de protection individuelle, il n’y a pas d’entrée en matière sur ce point des plateformes, qui estiment, à l’encontre de la loi, que ces éléments sont à la charge des travailleurs.» On voit ainsi nombre de livreurs rouler sans casque sur les vélos les plus divers.

Umberto Bandiera remarque aussi qu’après neuf mois de pandémie les livreurs d’Uber Eats «n’ont toujours reçu aucune consigne sanitaire et ne disposent ni de gel ni de masques»…

 

Pour la justice genevoise, Uber est bel et bien un employeur

La Chambre administrative de la Cour de justice de Genève rejette le recours d’Uber contre l’interdiction d’exercer une activité de transport de personnes prise par le Canton il y a une année, a annoncé 20 Minutes la semaine dernière. Le tribunal considère que la société étasunienne est bel et bien une exploitante d’une entreprise de transport et, à ce titre, doit se soumettre aux obligations légales qui l’encadrent, en particulier aux dispositions relatives au travail et à la protection sociale des travailleurs, si elle veut continuer à exercer cette activité.

«Ce jugement prouve bien que les Cantons ont les moyens d’agir et de rétablir l’Etat de droit. S’il y a quelques années encore, on pouvait se demander si un canton était en droit d’agir, il n’y a désormais plus d’excuse. Il faut espérer que cette décision servira d’exemple non seulement en Suisse, mais aussi dans d’autres pays, car c’est un peu une première internationale, commente Umberto Bandiera. Ce jugement est d’autant plus important dans une ville comme Genève qui dénombre un millier de chauffeurs d’Uber et d’autres plateformes. Ils ont été durement frappés par la crise et, faute de statut, n’ont pu s’adresser au chômage ni même à l’Hospice général et se sont retrouvés dans une situation d’extrême précarité. J’ai discuté avec certains d’entre eux et ils sont clairement très satisfaits de cette décision. Uber et toutes les sociétés qui ont adopté ce modèle doivent tirer les conséquences de ce jugement et faire en sorte que les chauffeurs soient désormais au bénéfice d’un contrat de travail, d’un salaire et de cotisations sociales payées.»

Uber a la possibilité de recourir au Tribunal fédéral, mais le jugement est exécutoire sur-le-champ. «Rien ne va changer dans l’immédiat, a toutefois mis en garde le bras droit de Mauro Poggia, interrogé par le quotidien gratuit. Nous voulons une décision définitive de la justice et attendons donc de voir si l’entreprise fera recours.» Pour le service Uber Eats, le Canton avait pourtant exigé une mise en conformité immédiate et un jugement définitif est encore attendu du Tribunal administratif fédéral. Avocat de plusieurs sociétés et d’associations de taxis, Me Jacques Roulet a écrit au conseiller d’Etat pour le prévenir que «l’attentisme serait préjudiciable à tous les chauffeurs travaillant à Genève dans le transport de personnes, aux chauffeurs de taxi et aux chauffeurs VTC (pour voiture de transport avec chauffeur, ndlr), y compris aux chauffeurs Uber». Même son de cloche du côté d’Umberto Bandiera et d’Unia: «Je ne comprends pas sur quelle base légale le jugement ne serait pas exécuté. Nous demandons son application immédiate comme cela avait été le cas pour Uber Eats.»

 

DERNIERE MINUTE: Au moment où ce journal était mis sous presse, lundi, nous apprenions que le jugement de la Cour d’appel du canton de Vaud reconnaissant à un chauffeur d’Uber le statut de salarié est entré en force. Uber a renoncé à recourir. Nous y reviendrons dans notre prochaine édition.

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