Edité par Unia, l’ouvrage «Grèves au 21e siècle» met en lumière des mouvements sociaux de l’autre côté de la Sarine
La Suisse, pays de la paix du travail? Edité par Unia fin 2017, l’ouvrage Grèves au 21esiècle fait mentir cette idée. Depuis le tournant du siècle seulement, le syndicat a accompagné une centaine de conflits collectifs du travail. A côté de son importante partie analytique, le livre revient sur le déroulement d’une série de ces grèves, qu’elles soient défensives – protéger les emplois ou les salaires – ou, au contraire, offensives – améliorer les conditions de travail ou d’embauche. Il y a bien sûr les arrêts de travail à la Boillat et aux Offices CFF de Bellinzone, les débrayages chez Novartis, Merck Serono et dans le secteur principal de la construction, que l’on connaît plutôt bien, mais un des mérites de l’opuscule est aussi de braquer le projecteur sur des mouvements moins connus s’étant déroulés de l’autre côté de la Sarine et qui ont eu une influence certaine sur les rapports sociaux. Petit tour d’horizon.
«No pasaran!»
Alors que le nouveau siècle n’est âgé que de quelques mois, 80 femmes soutenues par les syndicats SSP et SIB se mettent en grève à la Zeba, la blanchisserie centrale bâloise qui travaille pour les hôpitaux et les EMS. Sa direction entend faire passer les salaires de ses employées de 4200 à 3100 francs en moyenne! L’accès aux locaux est bloqué par les grévistes formant une chaîne humaine en scandant: «No pasaran!» La direction appelle la police, porte plainte pour violation de domicile et pour contrainte, tout en envoyant des lettres de licenciement. Au bout de six jours de grève, les travailleuses obtiennent toutefois satisfaction sur presque toutes leurs revendications. «On a fait des bonds de joie en apprenant ce résultat, on a chanté et dansé», se souvient une salariée. Les bases d’une nouvelle Convention collective de travail (CCT) seront posées et aujourd’hui la Zeba, qui est passée dans le giron du groupe allemand Bardusch, est un partenaire conventionnel d’Unia.
Grande victoire
Il est encore question de femmes, cette fois chez Spar à Heimberg (BE). En 2009, les 22 salariées du shop de la station-service de l’autoroute n’en peuvent plus d’accumuler les heures supplémentaires. Aidées par Unia, elles montent un piquet de grève. «On fait la grève parce que Spar économise sur notre dos et ne respecte pas la loi», expliquent les vendeuses aux clients étonnés de trouver porte close. Accompagné d’employés d’autres points de vente, un vigile est envoyé ouvrir le magasin, mais les grévistes parviennent à les convaincre de repartir. Le lendemain, l’équipe reçoit des menaces de licenciement. On est le 1erMai, Unia en profite pour donner de l’écho au mouvement. Le soir même, la direction accepte d’accorder une majoration de 25% pour les heures supplémentaires, de créer deux postes à plein temps en sus, de fixer des salaires minimaux et de renoncer à tout licenciement. Certaines collaboratrices bénéficient ainsi d’une hausse de 700 francs par mois. Grande victoire!
«On n’avait pas le choix»
Mais grosse défaite quatre ans plus tard lors d’une nouvelle grève dans un Spar d’autoroute, cette fois à Dättwil (AG). Un matin, dix employées débraient, protestant encore contre le sous-effectif chronique et les bas salaires. Une grève de courte durée est projetée, elle va durer onze jours et sera la plus longue qu’ait connue le secteur de la vente. Cette fois, la direction de l’enseigne de supérettes reste inflexible et dépose une série de plaintes. La justice ordonne l’évacuation des lieux. Et les dix travailleuses sont licenciées avec effet immédiat après avoir manifesté devant le siège de l’entreprise à Saint-Gall. Echec complet. Interrogée dans Grèves au 21esiècle, une travailleuse licenciée ne regrette pourtant rien: «On avait bien réfléchi avant, on n’avait pas le choix. On préférait une telle fin que pas de fin du tout.» Elle reste convaincue que la grève a permis des avancées dans le Spar de Dättwil. Ces deux grèves auront au moins montré la nécessité d’une Convention collective de travail (CCT) réglementant les conditions de travail et d’embauche des 13000 employés de shops de stations-service en Suisse. Après de longues négociations avec l’association patronale, ce sera chose faite en 2015 et la CCT est devenue de force obligatoire en février dernier.
Contact dans un bar punk
Changement de décor. Nous sommes à Schaffhouse en 2012. De jeunes paysagistes fréquentent un bar punk de la vieille ville et y rencontrent des secrétaires syndicaux d’Unia. Autour d’une bière, l’idée est lancée d’agir contre les difficiles conditions de la branche verte. Le secteur est dépourvu de CCT, à l’exception de Genève et de Bâle et, malgré un travail très pénible, qui exige de solides qualifications, les jardiniers gagnent 1000 francs de moins que leurs collègues de la construction. Des actions de sensibilisation sont lancées, mais Matthias Frei, le président local de Jardin Suisse, la faîtière patronale, refuse de reconnaître Unia comme partenaire social. Qu’à cela ne tienne, le 3 juillet 2013, 80 travailleurs de différentes sociétés paysagères se mettent en grève et défilent à travers le centre-ville. Du jamais vu dans la petite cité rhénane! Au bout de huit jours, le conflit se dénoue au profit des grévistes, qui obtiennent un relèvement des salaires minimaux de 900 francs. Si la grève ne débouche pas sur une CCT cantonale, elle lança cependant un signal de mobilisation dans toute la Suisse. La branche verte organisée par Unia fait aujourd’hui preuve d’un beau dynamisme.
Une autre grève aura été propice à la mobilisation syndicale, celle de Primula. En 2014, sept infirmières de cette société privée d’aide et de soins à domicile de Küsnacht (ZH) ont cessé le travail durant deux semaines. Le salaire de ces garde-malades recrutées en Pologne n’atteignait pas les 3500 francs brut. Appuyées par Unia, les travailleuses parviennent à faire capituler sur toute la ligne leur employeur. Un salaire minimal correct est fixé, un treizième salaire introduit et la durée du travail limitée à 42 heures hebdomadaires. Ce mouvement a prouvé que des conditions de travail équitables sont possibles dans les soins et que la grève peut faire bouger les choses dans ce secteur.
Grèves au 21esiècle explore encore d’autres conflits, chez Zyliss (Lyss, 2003), à la centrale de distribution Denner (Lyss et Egerkingen, 2003), au Schauspielhaus (Zurich, 2006) et à Exten (Mendrisio, 2015), que le lecteur aura le plaisir de découvrir.
Vania Alleva et Andreas Rieger (éditeurs), Grèves au 21esiècle, Editions Rotpunktverlag, 168 pages, 25 francs, disponible en librairie ou auprès des secrétariats d’Unia.