Regard sur les mobilisations en Espagne
Les conséquences de la crise de 2007-2008 ont été terribles pour l’Espagne, quelle est la situation aujourd’hui?
De manière très schématique, il y a des exigences très fortes du capitalisme financier, qui intervient à travers le FMI et l’Union européenne, auxquelles le Gouvernement, très faible, ne peut s’opposer et, dans le même temps, il y a des revendications sociales qui n’arrivent pas à s’imposer. Celles des retraités, des femmes ou encore des étudiants, se battant contre une réforme de la loi sur l’enseignement qui introduit des limitations pour l’obtention des diplômes. Leurs mobilisations nous montrent que la volonté de la classe laborieuse est très forte. Mais la situation sans issue s’explique par la responsabilité des directions du mouvement ouvrier qui ne prennent pas en main les tâches qui sont les leurs.
En février et en mars, il y a eu d’importantes mobilisations de retraités. Quelles en sont les raisons?
Le capital financier exige de faire des coupes dans le régime des retraites, une conquête des salariés. On nous dit qu’il y a un problème de financement à cause du vieillissement, mais ce n’est pas vrai, car la productivité a énormément augmenté. Il y a 60 ans, 40% de la population travaillait pour la production alimentaire, aujourd’hui ce chiffre est tombé à 3%. Le problème est de nouveau politique. Les coupes, la retraite à 67 ans, ces mesures sont discutées dans un espace de négociation qui est le Pacte de Tolède. Pourquoi le Parti socialiste et Podemos participent-ils à ce pacte, soutenus de l’extérieur par les syndicats? S’ils veulent défendre les travailleurs comme ils le disent, ces partis ne peuvent faire partie d’une institution dans laquelle l’intention est d’attaquer la retraite. Aujourd’hui déjà, pour beaucoup de travailleurs, la retraite est synonyme de pauvreté.
Le 8 mars, plus de 5 millions de femmes ont fait grève en Espagne. Un mouvement gigantesque qui a surpris par son ampleur. Comment l’expliquer?
Dans le cadre de la société capitaliste, la femme travailleuse est doublement opprimée. Ses intérêts sont une concrétisation des revendications de l’ensemble de la classe laborieuse. C’est important que la femme travailleuse soit organisée, mais pas à l’extérieur des organisations générales de la classe ouvrière. Dans la préparation de la manifestation du 8 mars, il n’y avait pratiquement pas de revendications concrètes, par exemple exiger que toutes les garderies soient subventionnées par le Gouvernement. A Madrid, seules 20% le sont. Il y avait une orientation de division, se focalisant sur la dénonciation, ce qui ouvrait à la confusion. Le mois suivant, il y a de nouveau eu de fortes mobilisations après la sentence scandaleuse niant le viol subit par une jeune femme. Or, il ne peut pas y avoir de justice non patriarcale, non machiste, quand cette dernière est la continuité de la dictature franquiste.
Pour l’ampleur de la participation le 8 mars, le point décisif a été que les syndicats UGT et CCOO ont appelé à la grève. Leur appui à la mobilisation a modifié la situation et a rendu possible que plus de 5 millions de femmes soient dans la rue. L’appel des syndicats permet de dire qu’il ne s’agit pas d’une grève féministe mais d’une grève pour les droits des femmes.
Pour faire grève légalement en Espagne, une convocation officielle est nécessaire. Et quand les syndicats demandent la grève, ils ne peuvent le faire que pour tous les travailleurs. La plupart des grévistes étaient des femmes, mais il y avait aussi des hommes appuyant leurs revendications. Dans mon université, à l’exception de deux ou trois classes, tout le monde a fait grève, étudiants compris. C’était une grève massive, des femmes comme des hommes.