La caisse unique au coeur des débats
Mardi 06 février 2007
Au fil des assemblées, les partisans lèvent les inquiétudes
Le matraquage des assureurs et de Couchepin contre la caisse maladie unique continue en perspective de la votation du 11 mars. Les partisans de l'initiative répondent à l'offensive. Partout, des débats, des assemblées, sont organisés. Les questions fusent. Incursion dans l'un d'eux.
Trop petit le salon rouge du Casino du Rivage à Vevey. Face à l'afflux de 150 participants répondant à l'invitation d'Unia, de l'Avivo, de la Fédération vaudoise des retraités, d'Alternatives, des Verts, du POP et du PS, il a fallu réquisitionner la grande salle. Anne-Catherine Menétrey, conseillère nationale Verte et membre dès la première heure du comité d'initiative, ainsi que la doctoresse Hedi Decrey Wick, médecin de famille et vice-présidente de l'Association des omnipraticiens vaudois, étaient présentes, ce 29 janvier, pour défendre la caisse unique et répondre aux nombreuses questions.
Anne-Catherine Menétrey a rappelé les principaux changements qu'introduirait la caisse unique et les économies que représenterait la suppression des 87 caisses actuelles, notamment sur les salaires des directeurs, la publicité ou la représentation. «Un parlementaire appelé à conseiller une caisse, touche 5000 francs par séance!» note-t-elle, suscitant l'indignation dans la salle... La caisse unique permettra un meilleur pilotage du système grâce à des données fiables sur les coûts réels, explique-t-elle; elle imposera un financement plus solidaire entre les assurés et mettra fin à la fausse concurrence entre les caisses et à leur chasse aux bons risques pour vendre des complémentaires.
Réorientation du système
«La caisse unique permettra de réorienter tout le système de santé en prenant en considération les causes des maladies et non plus les techniques les plus coûteuses», souligne-t-elle, avant de s'en prendre à Pascal Couchepin qui dit combattre «à mort» la caisse unique. Ce dernier avance en effet des promesses comme le financement du dépistage du cancer du sein qu'il a toujours refusé, alors que son seul but «est de préserver un système qui permet aux caisses de faire du business».
La doctoresse Hedi Decrey Wick a expliqué les raisons du soutien des professionnels de la santé à la caisse unique. Parmi eux, plus de 60% des médecins vaudois, 75% des genevois, une majorité des neuchâtelois et 55% des médecins de famille en Suisse. «Le système actuel n'est pas capable de relever les défis de demain dus au vieillissement de la population et à l'augmentation des maladies liées à ce vieillissement et à notre mode de vie. La prévention n'y a pas sa place. La caisse unique posera les bases pour aborder ces défis du point de vue éthique et humaniste et pas uniquement économique», relève-t-elle.
Le patient d'abord
Elle s'inquiète aussi que le principe de solidarité ancré dans la LAMal s'étiole et que de plus en plus de personnes, comme celles qui ne paient pas leurs primes, sont exclues des soins. «La caisse unique replacera le patient au cœur du débat.» Autre souci des médecins, la surcharge de travail administratif et l'ingérence de plus en plus intolérable des assureurs dans leur pratique, mettant en danger le secret médical. «Nous recevons des lettres nous accusant de coûter trop cher et nous demandant de justifier des traitements, sans autres explications. Il s'agit généralement des cas de patients souffrant d'une maladie qui coûte cher.» Et d'évoquer ces formulaires à rallonge à remplir au détriment du temps passé avec les patients. «On nous demande de quantifier la perte d'urine lors d'une prescription de couches de protection d'un patient âgé incontinent afin de décider d'un remboursement par la caisse ou non!»
Un riche débat s'est ouvert à la suite de ces deux interventions (voir ci-dessous).
Sylviane Herranz
Petit survol de questions surgies de la salle...
... et des réponses des intervenantes
Paiera-t-on plus ou moins avec la caisse unique?
«Un pauvre ouvrier comme moi, qui n'a pas le droit de vote, paie déjà 2080 francs par année. Avec Comparis, on me dit que je payerai 3000 francs de plus... Que faire pour combattre ce grand mensonge?» s'inquiète un participant.
Comparis se base sur des chiffres donnés par Santésuisse, relève Anne-Catherine Menétrey. Des chiffres totalement farfelus! Ainsi, Santésuisse a déjà introduit une augmentation des coûts de 3 milliards. «Comme si tout le monde va se précipiter chez le médecin avec la caisse unique!» dit-elle. D'autre part, les subsides versés par les pouvoirs publics ne sont plus comptés, alors qu'il n'a jamais été question de renoncer aux subsides. Santésuisse a encore ajouté à la facture globale le montant des franchises qu'ils ont estimé à 5 ou 6 milliards.
«Le comité d'initiative n'avait pas envie d'entrer dans une guerre des chiffres. Mais face aux préoccupations des assurés, nous allons transmettre un modèle de financement à Comparis, probablement celui du PS. La publication est prévue ces jours.»*
Les Suisses allemands vont-ils nous aider?
«Regardez n'importe quelle caisse et comparez les primes à Zoug, Bâle ou sur la Riviera, nous sommes toujours une ou deux classes au-dessus! Je ne sais pas si les Suisses allemands viendront nous aider» s'inquiète un retraité.
«Effectivement, en Suisse alémanique, les primes sont beaucoup plus basses qu'ici. Quand on leur dit qu'une famille avec enfants paie 1000 francs par mois, ils n'en sont pas plus solidaires, ils ne veulent pas payer pour les Vaudois. C'est pourquoi les primes resteront différentes d'un canton à l'autre avec la caisse unique», répond Anne-Catherine Menétrey qui espère ainsi le soutien des Alémaniques. Hedi Decrey ajoute que même si l'initiative ne passe pas, le nombre de «oui» sera important. «Après la votation, les choses ne seront plus comme avant, la Suisse ne pourra plus continuer dans l'opacité actuelle.»
Si la caisse unique passe, les caisses vont-elles dilapider les réserves?
L'initiative indique que ces réserves reviendront à la caisse unique. «Couchepin prétend qu'elles appartiennent aux caisses. Pour nous, il est clair qu'elles appartiennent aux assurés», souligne Anne-Catherine Menétrey.
Le système de franchise sera-t-il maintenu?
«La question est encore ouverte. Rien n'est fixé, mais rien n'empêche qu'on maintienne les franchises. C'est compatible avec l'initiative. Ce qui ne l'est pas, c'est la suppression de l'obligation de contracter, qui équivaut à une interdiction professionnelle des médecins», indique Anne-Catherine Menétrey. Et Hedi Decrey d'ajouter qu'elle est persuadée que, dès la votation passée, Couchepin ressortira sa proposition qui supprimera le libre choix du médecin.
Si l'initiative passe, ne va-t-on pas mettre 50 ans avant de l'appliquer?
L'initiative prévoit que 3 ans au plus tard après la votation, le système doit être en place. Comme une loi doit être élaborée, les citoyens pourront encore faire pression s'ils ne sont pas d'accord avec son contenu, explique Anne-Catherine Menétrey.
Va-t-on garder les primes ou passer à un impôt supplémentaire?
«Pour l'instant, je paie mes primes et je me fais soigner pour cela; ce n'est pas la même chose qu'un impôt», note un retraité. Une participante ajoute que les impôts sont attribués à un budget global et non à des prestations.
Actuellement, les pouvoirs publics participent, avec les impôts, au financement des hôpitaux et des subsides. Cela représente le 25% du financement global de la santé, relève Anne-Catherine Menétrey. Qui dit augmentation des subsides, comme le prévoit le modèle du PS, dit augmentation de cette part des impôts, mais les assurés continueront à payer des primes. Il existe également l'option de la cotisation sur le salaire, sur le modèle AVS.
La caisse unique menace-t-elle les emplois dans les caisses actuelles?
«La décentralisation est pour nous une évidence, note Anne-Catherine Menétrey, comme cela existe pour les caisses de compensation AVS ou les caisses chômage. Je ne pense pas qu'il y aura beaucoup de pertes d'emplois et le développement de la prévention pourrait en créer. On peut même imaginer que les caisses actuelles continuent, pour autant qu'elles arrêtent les assurances complémentaires, mais je ne suis pas sûre que cela les intéresse.»
SH
* A guetter sur www.comparis.ch
Quel financement?
Les deux modèles proposés par le comité d'initiative
«Il y a deux modèles de financement et non des dizaines comme le prétend Santésuisse. Les coûts de la santé vont rester, mais il s'agit, avec l'initiative, de les répartir différemment.» Anne-Catherine Menétrey a rappelé que l'initiative proposait un principe constitutionnel et qu'il reviendra aux politiques de préparer la loi devant mettre en place la caisse unique. Elle a présenté les deux modèles, parfaitement réalistes, souligne-t-elle, qui ont la faveur du comité d'initiative: le modèle du Parti socialiste et le modèle autrichien.
Le modèle du PS tient compte du budget des familles. Enfants et étudiants seraient exonérés. Il prévoit un allègement des primes pour la classe moyenne par une augmentation des subsides. Actuellement, seuls 30% de la population touche un subside couvrant totalement ou partiellement les primes. Le modèle socialiste propose que 25% de la population supplémentaire (dont le revenu se situe entre 75 000 et 100 000 francs) en bénéficie. Les hauts revenus, soit 10 à 15% de la population, paieraient 3% de plus.
Le modèle autrichien est celui de la caisse unique qui existe depuis longtemps dans ce pays. Il s'agit d'un prélèvement sur le salaire. Le conjoint et les enfants ne paient rien. Les cotisations s'élèvent à 7,5% du salaire, payées paritairement par l'employé et l'employeur. Les indépendants, selon les métiers, paient entre 7,5% et 9,1% du revenu. Ces cotisations sont déduites jusqu'à un plafond de 5990 francs par mois.
SH
La caisse unique autrichienne: un exemple!
Comparaison du système de santé actuel en Suisse et du système de caisse unique en Autriche, système tout aussi performant en matière de soins mais bien moins cher.
Suisse Autriche
Coût de la santé par personne et par année: 5220.-- 4000.--
Part du PIB des dépenses de santé: 11,6% 9,6%
Augmentation des dépenses de 1999 à 2004: 3,5% 1,9%
Frais administratifs: 5,4% 3,0%