La condamnation vaudoise d’Uber entre en force
La société de transport n’a pas recouru contre la décision du Tribunal cantonal reconnaissant le statut de salarié d’un ex-chauffeur membre d’Unia
L’étau se resserre autour d’Uber dans la région lémanique. Alors que la Cour de justice genevoise vient de donner raison à l’administration, qui estime que les chauffeurs sont des employés et non des partenaires, dans le canton voisin, la plateforme de transport n’a pas recouru au Tribunal fédéral, offrant une victoire définitive au conducteur vaudois qui a réussi à faire condamner aux Prud’hommes, puis au Tribunal cantonal, la société californienne.
Engagé par une filiale de l’entreprise technologique, ce conducteur avait réalisé près de 10000 courses entre 2015 et 2016, avant que son compte ne soit désactivé en raison de la baisse de sa note d’évaluation. Membre d’Unia, le travailleur avait saisi le Tribunal des prud’hommes de Lausanne et obtenu au printemps 2019 la condamnation d’Uber pour licenciement abusif. Les Prud’hommes avaient jugé que le lien entre le chauffeur et la plateforme était relatif à un contrat de travail, qu’il était donc bien salarié, que la suppression de son accès à l’application devait être considérée comme un licenciement et un licenciement injustifié dans la mesure où le travailleur n’avait pas été informé des reproches des clients à son égard. La multinationale étasunienne avait été condamnée à verser à son ex-employé les deux mois de salaire du congé légal, ainsi qu'une indemnité pour tort moral et les vacances auxquelles il aurait eu droit. Saisi d’un recours d’Uber, la Cour d’appel civile a, cette année, confirmé la décision de première instance et débouté le conseil de la société sur deux aspects centraux de la procédure. Elle reconnaît, d’une part, l’existence d’un «rapport de subordination». C’est Uber qui sélectionne les conducteurs, donne les ordres de courses, fixe les itinéraires, le prix et la part revenant aux conducteurs. Et, d’autre part, la justice vaudoise rejette la clause d’arbitrage avancée par Uber selon laquelle les litiges doivent être jugés aux Pays-Bas où est installé le siège européen de la transnationale. «Les rapports des parties doivent être examinés à la lumière des dispositions suisses en matière de droit du travail», peut-on lire dans l’arrêt.
Une première
«Ce jugement est un jalon important: dans tous les litiges que j’ai suivis, Uber a transigé, c’est la première fois qu’un jugement est définitif», se félicite Roman Künzler, responsable logistique et transport d’Unia. Estimant que ses chances de succès étaient bien minces, la société a, en renonçant à saisir le Tribunal fédéral, sans doute voulu s’épargner une sentence à caractère national. «Reste qu’à mon sens ce jugement fera jurisprudence dans tous les cantons, nous allons nous servir de l’analyse des juges vaudois pour nos recours aux Prud’hommes.» Puisque Uber est un employeur, les chauffeurs ont le droit à un salaire approprié, à des vacances payées, au remboursement des frais, aux cotisations aux assurances sociales ou encore à une protection contre les licenciements. Des milliers de chauffeurs qui ont travaillé pour la multinationale depuis son arrivée en Suisse en 2013 pourraient prétendre à une indemnisation. Unia évoque une somme due de l’ordre de plusieurs centaines de millions de francs. «Nous allons demander à Uber de négocier un accord pour tous les chauffeurs, même si nous nous attendons à un refus, nous voulons agir collectivement. Tous les chauffeurs peuvent s’adresser à Unia, nous leur donnerons de bons conseils, nous sommes d’ailleurs en train d’élaborer une check-list des documents à préparer. Il faut aussi rappeler que nos membres ont le droit à la protection juridique», explique Roman Künzler.
«Sur le plan politique, il faut mettre un terme aux excuses de la plupart des autorités cantonales qui ont toujours indiqué qu’il n’existait pas de jugement exécutoire sur la question des rapports de travail chez Uber, elles ont de fait protégé la multinationale et participé à précariser les travailleurs.»