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La grève féministe et la grève du climat, même combat?

Manifestation à Lausanne. Sur une pancarte on peut lire: "Pour le climat et contre le patriarcat mêmes combats"
© Neil Labrador

Détruire les inégalités plutôt que la planète? La question était posée à Lausanne lors de la grève pour le climat du 24 mai, alors qu’à Neuchâtel (photos ci-dessous), la convergence des luttes était aussi présente.

Un débat s’est déroulé à Lausanne sur la convergence des luttes. Avec les femmes et les jeunes, un changement de société est en marche

Le 23 mai dernier, à la veille de la troisième journée de grève pour le climat des jeunes en Suisse et à deux semaines de la grève des femmes, des militantes des deux mouvements ont débattu à Lausanne, au centre socioculturel de l’Union syndicale vaudoise Pôle Sud, sur les convergences possibles de leurs luttes respectives.

Franziska Meinherz, militante écologiste, doctorante à l’EPFL, a rappelé le caractère international du mouvement né en Suède d’une jeune femme, Greta Thunberg, ainsi que les trois revendications principales à l’attention des gouvernements: admettre l’urgence climatique, zéro émission de gaz à effet de serre d’ici à 2030, justice climatique. Sur ce dernier point, ceux qui polluent – les personnes morales surtout – doivent agir; les plus pauvres – ceux qui vivent déjà les conséquences de la pollution et de la perte de la biodiversité – être protégés; et les mesures qui affectent les prix doivent intégrer la dépendance inégale à la mobilité.

Diminuer le temps de travail

«Les inégalités de genre doivent être prises en compte. Si les liens entre justice climatique et féminisme ne sont pas toujours bien compris, une revendication essentielle émerge de nos deux grèves: la diminution du temps de travail», explique Franziska Meinherz pour qui la baisse de la production permettrait de ralentir la dégradation des ressources de la planète et l’appauvrissement des sols ou encore de diminuer l’utilisation des énergies fossiles. «L’écosystème se dégrade. Produire moins et mieux, et surtout avec une meilleure redistribution est essentiel. Si pour y arriver, il faut changer de système, alors changeons-le!»

Manifestations, groupes de travail à l’échelle régionale et à celle nationale, discussions avec des parlementaires et des exécutifs, Plan climat vaudois, conférences, la mobilisation des jeunes ne se fait pas que dans la rue et tend à s’étendre. «Durant notre congrès national, il y a deux semaines, nous avons décidé d’élargir le mouvement au-delà de la jeunesse», fait remarquer la jeune femme.

«La diminution du temps de travail, la lutte contre la surproduction et la surconsommation, ou le soutien aux migrantes climatiques renvoient à la grève pour le climat. Ces points font partie des 19 revendications de la grève féministe et des femmes, a expliqué Marine Ehemann, du collectif vaudois, secrétaire syndicale au Syndicat des services publics (SSP). Notre appel est très large. A chacune de transmettre un point ou l’autre. On n’est pas obligées d’être d’accord sur tout.» L’histoire du mouvement repose lui aussi sur une mobilisation internationale des femmes, des dénonciations de violences sexuelles sur les réseaux sociaux aux manifestations sur les pavés pour les droits des femmes (dont celui de l’avortement) en Islande, en Espagne, en Argentine ou encore en Pologne… La syndicaliste souligne aussi les différents échelons, régionaux et nationaux, et les actions déjà menées. «Je crois que nos mouvements sont parfois un peu trop cloisonnés, alors que la Suisse est face à un nombre de manifestations record, qui durent dans le temps, signe qu’un éveil politique et sociétal croît pour un changement de société», note Marine Ehemann.

Vers une grève générale?

Si les efforts sont focalisés sur le 14 juin, la question de la suite se pose déjà, avec notamment le nouveau combat à venir sur l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. Qui fait écho aux caisses de pension qui investissent dans les énergies fossiles, cible de la grève du climat du 24 mai. «Grâce à notre pression dans la rue, nous avons réussi à ce que le débat écologique soit à la une des programmes politiques, même du PLR. Mais pour le moment, cela ne reste que des paroles, et nous voulons des actes. Il y a urgence. Et pour ce faire, il nous faut organiser une véritable grève, d’où notre volonté de nous rapprocher des syndicats, des travailleuses et des travailleurs. Mais jusqu’à présent, on nous dit qu’il faut attendre que le 14 juin soit passé», lance Franziska Meinherz sans perdre son sourire. «Il nous faut changer le rapport de force. Lors d’un débat avec un parlementaire PDC au Palais fédéral le 14 mai, alors que tout le monde semblait nous trouver sympathiques, la température a chuté dans la salle lorsque nous avons remis en question le système productif actuel. Preuve que l’on est sur le bon chemin.» La militante parle aussi de la politique institutionnelle solidaire d’un côté, mais qui réprime de l’autre, en évoquant notamment les amendes infligées à la suite d’actions pacifiques. «La répression augmente», renchérit-elle, avant de mentionner quelques notions d’écoféminisme: «L’exploitation du féminin, associé à la nature, fait écho à l’exploitation de l’écosystème. La soumission des femmes et la soumission de la nature sont étroitement liées.»

Médiateur de la discussion, Steven Tamburini, étudiant à la Faculté des lettres, militant au sein de la grève du climat, ajoute: «Lors de notre Congrès national, nous avons prévu un plan d’escalade, au cas où le gouvernement ne répond pas par des actes à nos demandes, et un codex d’actions et de solidarité pour protéger notamment les camarades qui seraient dans des actions de désobéissance civile plus directes. La question de la radicalité se pose. La grève féministe est clairement radicale dans ses revendications, mais beaucoup moins dans ses actes. Nous, c’est plutôt le contraire.» Pour Marine Ehemann, c’est la preuve que les deux mouvements ont beaucoup à s’apporter l’un à l’autre. Dans la salle, Geneviève de Rham, féministe, résume: «Nos deux mouvements représentent des batailles pour la Vie. Et nous nous heurtons à des réactions qu’on n’avait pas imaginées. Il s’agit dès lors d’apprendre ensemble à construire dans le conflit, hors du compromis suisse.»

Le mouvement pour le climat s’élargit

Le 24 mai, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Lausanne et plus de mille à Neuchâtel (comme ailleurs en Suisse et dans le monde) avec un focus sur les investissements fossiles* et l’élargissement de la mobilisation. Pour la première fois, une femme, secrétaire syndicale, s’est exprimée à l’issue du cortège bruyant et coloré. Marine Ehemann a ainsi pu rappeler l’importance de se mobiliser le 14 juin et après. «Nos deux mouvements se complètent, car le système capitaliste met nos vies en danger. C’est un mouvement historique, jeunes et femmes, populations oubliées, écartées de la politique, ensemble. N’ayant jamais eu le droit à la parole, aujourd’hui nous la prenons pour faire changer les choses, alors que le gouvernement rejette un congé paternité de deux semaines, alors qu’on boursicote avec notre argent et que l’on vient de faire des cadeaux gigantesques aux multinationales. Les politiques s’acharnent. Nous prenons la rue et ferons grève pour qu’ils perdent de l’argent, puisque c’est la seule chose qu’ils comprennent. Une autre voie est nécessaire!»

Une jeune militante, Layla Outemzabet, a rappelé que 95% des émissions de CO2 de la Suisse viennent de sa place financière: «Nos salaires, nos retraites et nos primes d'assurance sont utilisés contre notre gré, pour la destruction de notre planète! Ils investissent notre argent dans l’extraction de gaz, de pétrole, de charbon ainsi que dans l’armement et dans des multinationales irresponsables!» Zakaria Dridi, 17 ans, a dit sa colère et sa tristesse de devoir comparaître au Tribunal des mineurs pour avoir fait un sit-in aux Retraites populaires avec une vingtaine d’autres manifestants. Le 18 juin prochain à 14h, ses camarades appellent à la mobilisation antirépression devant le tribunal. Une militante a encore lancé: «Onze ans, c’est ce qu’il nous reste pour agir! Notre futur dépendra de ce que nous ferons ces prochains mois!» La jeune femme a ensuite demandé à tous de fermer les yeux, de se projeter dans l’avenir… pour peindre une nouvelle fresque.

*A noter que plusieurs personnalités romandes, dont Jacques Dubochet, ont annoncé l’ouverture du site divest-cpev.ch pour demander à la Caisse de pension de l’Etat de Vaud (CPEV) de développer une stratégie d’investissement respectant l’accord de Paris sur le climat.

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