Directeur du Centre Pro Natura de Champ-Pittet, Thierry Pellet voue à la nature une passion aux racines profondes
Il peut passer des heures, immobile, à guetter derrière ses jumelles la présence d’un chevreuil; contempler, à quatre pattes, l’éclosion des premières orchidées, «ces ambassadrices de la beauté des fleurs»; admirer l’organisation d’une fourmilière et leurs habitantes sorties se gorger des premiers rayons de soleil... Ce spectateur patient et attentif trouve dans sa profession un prolongement à sa passion. Engagé en 2012 comme directeur du Centre Pro Natura de Champ-Pittet, Thierry Pellet a opéré un «virage professionnel vert», intéressé depuis longtemps par la thématique. «J’ai grandi au milieu de moutons, poules et lapins. Mon père visait l’autosuffisance alimentaire. Nous habitions dans une maison coincée entre l’aéroport de Cointrin et l’autoroute», sourit l’homme de 56 ans. Au fil des ans, le Genevois, féru de balades, devient un fin observateur de l’environnement. Et étoffe ses connaissances autodidactes par des formations en immersion organisées dans le cadre de sorties. Aussi, quand une place de directeur se libère à Pro Natura, il y a dix ans, il n’hésite pas à postuler. S’il ne dispose pas du bagage scientifique généralement privilégié par l’organisation pour ce type de fonction, le licencié en économie politique possède d’autres atouts.
Vie de château
Thierry Pellet a œuvré de nombreuses années au sein de la Déclaration de Berne devenue Public Eye. Il a travaillé ensuite à l’Hospice général, puis comme secrétaire général à la Chambre de l’économie sociale et solidaire, rejoignant cette structure dès son origine. Sans oublier, auparavant, un contrat à durée déterminée pour le compte du Centre de contact Suisses-immigrés. Une trajectoire riche et variée qui a fait de lui un manager d’ONG expérimenté, sensible, de surcroît, à la cause écologique. «Animé par cette envie de changement, j’ai découvert l’annonce de Pro Natura et tenté ma chance. J’ai pris ce train qui passait», illustre Thierry Pellet. Une image au sens figuré mais aussi au sens propre. Vivant dans la Cité de Calvin, le directeur du Centre est un abonné du rail et rallie par ce moyen son lieu de travail. Il effectue aussi volontiers la dernière partie du parcours à pied ou à vélo. «Le trajet en vaut vraiment la peine», souligne Thierry Pellet, séduit par la diversité de son activité professionnelle comme par son cadre «magnifique»: un château du XVIIIe siècle au cœur d’une extraordinaire réserve naturelle. A la tête d’une vingtaine de personnes, le responsable ne connaît pas de journée type, entre l’organisation de séances, les questions informatiques, les sorties sur le terrain pour échanger avec ses employés, rencontrer le public, etc. De quoi diversifier le quotidien de ce directeur profondément humaniste – un trait de sa personnalité qui se reflète dans sa manière de mener son équipe – et soucieux de développer, de faire rayonner le site. Une démarche en phase avec l’engouement pour l’environnement qui n’a cessé de croître profitant aussi à Pro Natura, la plus vieille organisation écologique du pays fondée en 1909.
Optimiste par défaut
«Cette recrudescence d’intérêt s’est notamment concrétisée par une augmentation des membres passant, en une décennie, de 105000, à 170000.» Enthousiasme également renforcé pour les produits locaux et le bio. La pandémie de Covid a en outre généré, à Champ-Pittet, un afflux massif de visiteurs, dont nombre de jeunes privés de lieux de loisirs en raison de leur fermeture. Le plus souvent pour le meilleur. Mais pas toujours. «Une majorité s’est montrée respectueuse du site, mais certains ignoraient les codes. Séance de fitness et musique à fond, abandon de déchets... Face à des incivilités, il a fallu parfois rappeler les règles, canaliser, expliquer», précise Thierry Pellet, qui porte sur la préservation de la nature un regard tantôt confiant, tantôt noir. «D’un côté, je suis un indécrottable optimiste, sinon je déprime. Je veux croire que, dans notre sagesse humaine, nous réussirons à relever ce défi. Mais de l’autre, j’observe l’évolution négative de la planète, la nature prédatrice des humains. Mon pire cauchemar? Que le frein à main ne soit pas tiré à temps, que nous foncions droit dans le mur. L’effondrement est plus qu’une hypothèse», s’inquiète Thierry Pellet, qui nourrit de la sympathie pour les différents mouvements pour le climat.
Cohérent
«A titre personnel, j’estime qu’ils représentent une grande source d’espoir. L’engagement de jeunes, au-delà des débats sur la légalité de certaines actions, s’avère nécessaire pour secouer la société, l’échiquier politique, alors que nous connaissons tous, via les alarmes répétées des scientifiques, les risques qui pèsent sur la Terre.» Le cinquantenaire, divorcé et père de deux garçons de 23 et 24 ans, agit encore pour sa part en tant qu’artisan de la transition, animant des soirées de réflexion sur les écogestes. A son niveau, il a par exemple renoncé à posséder une voiture et limite ses voyages en avion – «Un tous les deux ans en y donnant du sens». Il a par ailleurs opté pour les prestations d’une banque alternative et des assurances coopératives. Se définissant comme une personne profondément reliée au vivant – «Le sacré se trouve partout» – cultivant l’humour, cet adepte de la méditation se ressource dans les relations humaines et, bien entendu, la nature. Sportif, féru de randonnées et de photographie, ce fan du naturaliste Robert Hainard voue, outre aux orchidées, une passion toute particulière au lynx. «Le graal», image l’écologiste, qui s’est déjà rendu à six reprises en Andalousie dans l’espoir de l’apercevoir. «Je suis rentré cinq fois bredouille. C’est comme un cheminement qu’effectue un pèlerin à la recherche de quelque chose qui ne s’offre pas. Avec un aspect mystique de la quête, à l’affut des heures durant d’un félin insaisissable...» Un animal sauvage, secret et iconique d’une nature appréhendée par Thierry Pellet comme une source inépuisable d’inspiration et d’émerveillement...